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CHAPITRE 2 Les PME françaises versus PME allemandes : entre similitudes et divergences

C) La transmission de la culture

La culture d’une société ou d’une nation se transmet principalement au travers d’interactions informelles et la répétition d’habitudes observables et imitées par les individus de façon inconsciente. L’éducation joue un rôle important dans la transmission d’un modèle de comportement de l’apprentissage (culture d’utilisation du langage, l’écoute et interprétation de discours, comment apprendre et quelles sources d’apprentissages font autorité, les formes de

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créativité qui sont encouragées ou découragées, la formulation des priorités, l’emploi des méthodes d’essai et erreurs etc.), elle forme aux connaissances, aux méthodes pour les acquérir, aux attitudes et compétences sociales, elle donne ainsi à chaque individu un curriculum caché

(Jackson et Meighan, 1986). Si on admet que le système d’éducation comprend un curriculum

caché, on comprendra également son importance dans la construction culturelle en dehors de l’école et notamment dans les relations professionnelles. Les valeurs ainsi établies et relevées par le curriculum caché sont appliquées à l’ensemble des transactions entrepreneuriales. Geert Hofstede (1991) différencie les cultures qualifiées de « collectivistes » des cultures qualifiées d « individualistes ».

Les cultures dites « collectivistes » considèrent l’acte de partager comme une valeur prioritaire, positive alors que les cultures dites d’« individualistes » placent l’individu au centre de l’univers. L’individu est le seul responsable de sa réussite, doit faire ses preuves et se distinguer par ses performances. Dans une culture dite « collectiviste » chacun va également chercher à réussir par soi-même mais saura qu’il a besoin du groupe pour le faire. Ainsi, le fait de mobiliser le groupe semble légitime et obligatoire pour réussir. L’attitude de l’entrepreneur français est plutôt à qualifier d’individualiste. Il va avoir comme comportement, de vouloir réussir seul au lieu de s’associer avec ses concurrents pour aborder un nouveau marché.

A défaut de « chasser en meute » comme le font les allemands qui sont par exemple présents à plusieurs sur une foire étrangère ou un marché étranger, pour bénéficier des avantages du groupe pour mutualiser les frais d’une foire, les entreprises françaises se privent des avantages de la coopération en raison de la méfiance qu’ils ont envers leurs concurrents directs. Leurs craintes se situent dans le fait que s’ils coopèrent, les autres entreprises vont les concurrencer sur leur propre terrain en captant leur clientèle potentielle.

Ce qu’ils oublient c’est que si on loue à plusieurs un stand dans une foire la surface louée est plus importante et la visibilité auprès des clients est augmentée et de ce fait le nombre de clients potentiels qui peuvent s’arrêter pour se renseigner et éventuellement passer commande est également plus grand. Par conséquent, chaque entreprise bénéficiera d’une potentialité de commandes supérieure et des coûts moindres en coopérant avec les autres.

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2.1.2. La culture nationale versus la culture de l’entreprise

La culture nationale est un constituant essentiel de la culture d’entreprise puisqu’elle va intégrer certaines valeurs de la société dans le fonctionnement et l’organisation de l’entreprise. Pourtant, la culture nationale n’est pas figée, selon l’ouverture de la société sur l’environnement, elle va subir des évolutions plus ou moins importantes à travers le temps qui se manifestent par l’apparition de nouvelles valeurs, normes ou règles qui vont guider les actions des citoyens et vont avoir avec le temps des répercussions sur la culture d’entreprise. Les systèmes d’interaction entre l’entreprise et son environnement local, national et international constituent une source de développement particulièrement puissante. Notamment, le système économique choisi par l’Etat va avoir un impact majeur sur la manière d’entreprendre puisque les règles applicables à l’économie nationale doivent être respectées par l’ensemble des entreprises évoluant sur le territoire national. De cette façon, le modèle économique choisi, que ce soit l’économie de marché ou une économie planifiée, a un impact direct sur la gestion et l’organisation de l’entreprise et les normes de comportements qui vont régir la culture d’entreprise.

La culture d’entreprise est à la fois marquée par la culture de son pays d’origine mais aussi par son histoire propre. L’entrepreneuriat est un moteur de croissance économique et « l’ouverture des marchés n’a en aucun cas supprimé les spécificités nationales » (D. Mendel, 91 ; p.31). La plupart des recherches effectuées dans le domaine interculturel entrepris par les anthropologues, les sciences sociales et sociologues qui concernent l’analyse de l’organisation des activités dans différentes cultures, sociétés et organisations arrivent au résultat qu’elles peuvent être directement reliées au type de management (Hall, 1984 ; Bollinger et Hofstede, 1987). Davidsson (1995) montre que l’impact des variables institutionnelles et macro - économiques sur la vitalité entrepreneuriale est modéré par les spécificités culturelles. La culture d’entreprise est de ce fait influencée par la culture nationale mais elle est aussi composée de valeurs propres, les normes qui vont guider les choix stratégiques et les préférences collectives qui s’imposent au groupe, la philosophie de l’entreprise qui va déterminer la façon d’agir (Jamet, 2009).

Les entreprises passent par des étapes décisives majeures qui vont laisser des traces et marquer la culture de l’entreprise : les changements de dirigeants, l’évolution de la structure, la mondialisation, les impacts de l’environnement, etc. Parmi les influences de base on trouve l’empreinte de la culture « métier ». La « culture de métier » est construite autour des spécificités professionnelles et du savoir-faire de l’entreprise qui lui procurent son avantage

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concurrentiel sur le marché. A ce titre, la culture d’entreprise va être contrainte par les exigences particulières de certains marchés ou de produits. En cas de changement de l’offre en termes de produit, la culture doit être révisée soit pour une partie soit structurellement. A cette « culture de métier » dominante (le cœur de métier de l’entreprise) se superposent des cultures propres aux différents métiers qui sont les fonctions de la finance, de la R&D, du commerce, de l’achat etc. qui vont avoir une organisation et un fonctionnement propres.

Ainsi, la culture de l’entreprise est marquée non seulement par celle de son pays d’origine mais aussi par sa propre culture qui s’est formée au cours du temps par un processus d’apprentissage autour des mythes et valeurs construits, de la « culture métier » et les changements stratégiques induits par l’environnement concurrentiel. Partant de ce constat, la manière dont sont dirigées les PME dépend non seulement des compétences de leur dirigeant et de l’équipe de salariés qui y travaillent mais aussi de la culture sociétale qui a donné son empreinte culturelle et des contraintes imposées par l’écosystème concurrentiel dans lequel elle évolue.

2.1.3. Les modèles français et allemands de gestion

« L'entreprise allemande a toujours été mieux reconnue et mieux intégrée dans sa société que l'entreprise française » (Merkens et Demorgeons, p.60). C’est à Geert Hofstede et James Stevens que l’on doit la métaphore sur le modèle allemand de gestion présenté comme une « machine bien huilé e», non seulement comme nous l’indiquent Christoph Barmeyer et Eric Davoine (2008, p.3) « parce qu’elle est appliquée aux entreprises d’un pays renommé pour l’exportation de ses machines-outils, mais aussi parce qu’elle evoque une vision instrumentale, mécaniste de l’organisation ». Le contrôle dans les entreprises allemandes est plutôt lié à la forte compartimentation des responsabilités ainsi qu’à une forte standardisation des routines et du processus de travail. La conception de l’organisation est moins pyramidale qu’en France, et se caractérise par des relations plus collégiales entre les différents niveaux hiérarchiques qui se distinguent par la recherche de consensus dans les processus de décision. Le cadre général des conventions collectives et la cogestion favorisera les pratiques de concertation et la culture de consensus négociées à différents niveaux de l’entreprise allemande (ibid.)

L’étude de Gert Hofstede (1987) analysa les interactions entre les cultures nationales et la culture d’entreprise sur un panel de 53 filiales d'une grande entreprise internationale. Les résultats obtenus de l’analyse de la culture d’entreprise de la France et de l’Allemagne (cf. Annexe 4), mettent en évidence que la France se caractérise par une grande distance

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hierarchique. Appliquée à l’entreprise, cette distance hiérarchique se manifeste dans l’organisation de l’entreprise de la manière suivante : en France, c’est le patron qui a le pouvoir de décision, il a la plus grande autorité et les employés ne participent pas à la prise de décsion. Alors qu’en Allemagne, la distance hierarchique est faible, les employés sont impliqués dans le processus de décision qui se déroule de manière plus collégiale. Autrement dit, le pouvoir français part du haut vers le bas de façon très hiérarchique, un management de type top/down , alors qu’en Allemagne le pouvoir est davantage décentralisé et les responsabilités sont bien définies.

La distance hiérarchique se remarque également dans les relations Etats organisations ou par rapport à l’autonomie des personnes. L’Etat français par exemple intervient quand il le juge nécessaire dans les institutions alors que les institutions allemandes sont beaucoup plus autonomes et responsables de leurs décisions. Le pouvoir de décision dans les entreprises allemandes est l’affaire des personnes qui ont la responsabilité assignée et la compétence dans le dommaine.

Un deuxième paramètre étudié était la dimension de l’incertitude qui démontre la tolérance au changement. Les deux pays présentent un indice d’incertitude supérieur à 50, ce qui indique que les deux pays sont peu tolérants au changement, en sachant que la France présente un indice de 86 qui la caractérise comme une culture peu tolérante au changement, alors que le score de l’Allemagne est de 60, beaucoup plus proche de l’indice 50 à partir duquel la culture du pays est considérée comme tolérante au changement. Cela implique pour les deux pays une formalisaton et une planification des activités par le moyen de règles, lois et organigrammes. Dorothéa Mendel (1991) explique qu’on rencontre une plus forte planification dans les entreprises allemandes, et plus particulièrement en ce qui concerne les plans à long terme et les manuels écrits. En Allemagne les règles vont définir les responsabilités de chacun permettant la résolution de la plupart des litiges.Tous les accords sont écrits, ne laissant aucune place à l’interprétation. « La volonté des Allemands d’éviter les conflits et d’arriver à un consensus ainsi que de prendre des décisions communes, montre leur souci permanent de préserver la sécurité, la stabilité et l’harmonie de leur société » (ibid. ).

La société francaise surmonte cette incertitude par l’importance accordée à l’Etat et de ce fait par un transfert de responsabilités sur l’Etat et une prise en charge par ce dernier. Les Français attendent de l’Etat qu’il reconnaisse leurs droits et privilèges, ils se méfient des règlements qui peuvent limiter leurs droits. Alors qu’en Allemagne la sécurité est affaire de tous et le respect des règles et des lois est une nécessité et une garantie pour le bon fonctionnement de la société.

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On note également une grande différence dans le domaine de la masculinité/féminité. Avec un score de 43, la France peut être considérée comme une société à caractère féminin, c’est-à-dire l’accent sera mis sur les êtres humains et leur environnement, la qualité de vivre et les relations humaines sont privilégiées. Par contre, l’Allemagne figure parmi le groupe des pays à culture masculine (score : 66), qui va mettre en avant la réussite matérielle, l’assurance, l’esprit de compétition et le sens de la décision.

La dimension de l’individualisme selon le barème de l’étude de Hofstede est très prononcée pour les deux pays avec un indice de 71 pour la France et de 67 pour l’Allemagne, se caractérisant par la performance individuelle, l’autonomie au travail et la concurrence entre salariés, mettant l’individu au centre dans les grandes entreprises.

Selon ce modèle nous pouvons constater que les deux pays se différencient dans les valeurs concernant la qualité de la vie et celles de la réussite, mais aussi au niveau de la distance hiérarchique sur une moindre mesure sur la gestion de l’incertitude. Ils vont se rejoindre sur l’individualisme où la différence est peu prononcée même si la France soit est un peu plus individualiste que l’Allemagne.