• Aucun résultat trouvé

L’influence de la culture nationale sur la manière d’entreprendre

CHAPITRE 2 Les PME françaises versus PME allemandes : entre similitudes et divergences

2.1. L’influence de la culture nationale sur la manière d’entreprendre

L’anthropologie fut une des premières disciplines qui a défini le concept de la culture. La définition du contenu de la culture donnée par Edward Burnett Tylor55 en 1871 dans Primitive Culture56, considéré de nos jours comme fondatrice, est « l’ensemble des connaissances, croyances, arts, lois et coutumes acquis par l’homme en tant que membre d’une société ». Elle est transmise entre les individus majoritairement par le biais d’interactions informelles, la répétition d’habitudes et rites observables et imitées par tous les individus appartenant à un groupe spécifique. Autrement dit la culture nationale correspond à l’ensemble des valeurs, des mythes et rites et des façons d’agir qui sont partagés par les citoyens de cette nation.

La culture est d’abord un phénomène collectif qui s’inscrit dans l’inconscient des individus appartenant à un groupe social, une société qui organise les façons de faire et s’applique à l’ensemble des composantes sociales de ce groupe. Elle véhicule des références qui permettent aux membres du groupe de réagir à des évènements par des comportements connus inscrits dans la mémoire de la culture collective. De cette façon, « l’appartenance culturelle constitue l’une des caractéristiques sociales s’ajoutant à l’ensemble des éléments à l’origine de la diversité des individus » (S.Chevrier, 2013; p.3). En s’intéressant à la culture des individus d’une société, on découvre des comportements propres qui sont partagés par les personnes qui en font partie. Les attitudes au travail ont des caractéristiques spécifiques selon l’appartenance à un pays (Bollinger et Hofstede, 1987 ; Hall et Hall, 1984 ; Maurice, 1994).

Diverses analyses vont s’intéresser plus spécifiquement à l’Allemagne ou à des pays proches et prendre en compte certains aspects du management pour distinguer des comportements spécifiques selon la nationalité des individus. Philippe d’Iribarne (1989) va constater des différences entre la gestion du personnel de production aux Etats-Unis, en France et en Hollande (les observations pour la Hollande pouvant être dans une grande partie être appliquées à l’Allemagne). L’ouvrage de M. Maurice, F. Sellier et J. Sylvestre (1983) examine la politique d’organisation et de formation industrielle française et allemande. Selon ces auteurs, les différences existantes dans les deux systèmes se reflètent également dans les différences

55 Sir Edward Burnett Tylor (1932-1917), titulaire d’une chaire en anthropologie à l’Université d’Oxford en 1895 est considéré aujourd’hui comme le fondateur de l’anthropologie et notamment célèbre pour sa définition ethnologique de la culture.

56 Primitive Culture (1871), “Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art, and Custom”, London: John Murray

124

sociétales. L’analyse sociétale, développée par une équipe de chercheurs du LEST (Laboratoire d’économie et de sociologie du travail), a mis en évidence les rapports entre les systèmes éducatifs et systèmes productifs, en comparant respectivement les « modèles » japonais, allemands et français. Les chercheurs arrivent à la conclusion que ni l’école ni l’entreprise sont des entités isolées mais au contraire participent l’une comme l’autre au développement de la société.

« […] chaque société, à travers son histoire et à partir des pratiques de ses acteurs, construit des formes d’interdépendances entre l’école et l’entreprise, entre les « faits de socialisation » et les « faits d’organisation ». Se constituent dès lors entre le système éducatif et le système productif un ensemble de « rapports sociaux » qui contribuent à la construction sociale des acteurs, qu’il s’agisse – on le verra – de l’ouvrier qualifié, du contremaître ou de l’ingénieur, et des relations qu’ils entretiennent entre eux » (Maurice, 1994 ; p.2). Les recherches s’intéressant aux comparaisons internationales vont identifier les caractéristiques nationales dans la manière de diriger, d’organiser les activités (Bollinger et Hofstede, 1987 ; Hall, 1984), la gestion du personnel de production (D’Iribane, 1989), etc., et nous font découvrir qu’il y a des différences fondamentales dans le comportement au travail des Allemands par rapport à celui des Français. Ces différences se sont développées en raison d’influences diverses subies par les pays à travers le temps.

2.1.1. Les facteurs déterminant la culture nationale et l’impact sur la culture d’entreprise

Plusieurs facteurs ont eu un effet sur la culture nationale et ont fait évoluer les pratiques, les valeurs et les façons d’agir des citoyens. La culture nationale est en constante évolution en raison de l’avènement d’évènements historiques, de l’évolution des mœurs, de la morale, des innovations technologiques etc. qui vont induire de nouvelles valeurs qui se traduisent par des changements dans la culture des individus. Certains facteurs comme la religion ont eu une grande influence sur la façon de voir la société et les activités économiques. D’autres se sont développés en raison de la structure de l’Etat qui a obligé les citoyens à adapter leur comportement. La transmission de la culture se fait en premier lieu dans la famille par l’apprentissage des codes de comportements transmis et les relations sociales des individus. En deuxième lieu, elle est transmise par le système d’éducation et dans les relations professionnelles.

125

A) La religion

La religion a été un des facteurs déterminants dans la construction de l’histoire et de la culture des pays européens. La majorité des religions pratiquées en Europe sont des religions monothéistes ou religions du Livre car basées sur l’héritage de la bible57. A partir du XVIe siècle existent alors plusieurs formes de religion implantées dans différentes régions européennes : la religion catholique plutôt dans le sud de l’Europe, les protestants davantage au Nord, les orthodoxes étant concentrés principalement en Europe orientale. L’influence de ces religions se trouve dans les modes d’organisation de la société. Par conséquent, l’Eglise orthodoxe a maintenu une forte présence de la tradition et de l’histoire des Pères de l’Eglise. L’Eglise catholique, extrêmement hiérarchisée, a développé un pouvoir vertical de nature monarchique sur la société, de même pour l’Eglise anglicane (Royaume-Uni) où la religion est directement liée au trône royal.

Et finalement les différentes Eglises protestantes, non hiérarchisées, qui ont développé un sens horizontal de la communauté et un partage de la responsabilité du bien-être commun. Par conséquent, la pratique religieuse a un impact sur l’attitude face à l’autorité. D. Bollinger et G. Hofstede (1987) indiquent que dans les cultures des pays qui présentent une grande distance hiérarchique, les religions s’associent avec le pouvoir en place alors que dans les cultures de pays présentant une faible distance hiérarchique, les religions constituent souvent un contrepoids au pouvoir.

C’est Max Weber qui va mettre en évidence dans son ouvrage l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905) le lien qui unit l’éthique protestante et ce qu’il appelle le capitalisme moderne. Il montre « comment la conduite religieuse oriente ou conditionne en partie les autres activités humaines et respectivement se trouve conditionnée par elles » (J.Freund cité par F. Raphael, 1988). Pour Max Weber, l’origine du capitalisme n’est pas à chercher dans le protestantisme mais il note une concordance entre l’esprit du capitalisme et l’esprit d’un certain protestantisme58, concordance entre une vision du monde et un certain style

57 L’histoire de l’Europe occidentale est plus particulièrement liée au catholicisme depuis la conversion de Constantin (312) et l’adoption du catholicisme par l’Empire romain que ce dernier a répandu sur tout le pourtour de la Méditerranée et à travers les conquêtes vers l’Europe rhénane, l’Europe du Nord pour l’Irlande et la Grande- Bretagne.

58« Bien plus, c'est un fait que les protestants (et parmi eux plus particulièrement certaines tendances, dont il sera

126

d’activité économique. Selon la définition wébérienne du capitalisme, la caractéristique essentielle est l’entreprise travaillant en vue de l’accumulation indéfinie du profit et fonctionnant selon une rationalité bureaucratique, dont la quête du profit s’acquiert sur un marché régulier.

Ainsi une entreprise rationnelle doit se fonder sur le calcul, d’établir un plan à long terme et choisir des moyens efficaces pour le réaliser. Barmeyer et Davoine (2008, p. 16) expliquent que

« la religion et l’héritage luthérien sont des éléments importants pour comprendre la culture de concertation, la conception moins hiérarchisée des relations sociales et même la valorisation des compétences professionnelles dans l’entreprise allemande. La réforme luthérienne signifie avant tout un rejet de la hiérarchie de l’église de Rome et le remplacement d’une conception de la relation de l’Humain à Dieu qui passait par la médiation d’un prêtre à une relation plus directe et plus personnelle. En rejetant l’institution ecclésiastique qui le protégeait, l’individu devient plus autonome, mais aussi plus responsable de ses actes, en partageant cette responsabilité avec une communauté où le pasteur est considéré comme un pair (Pateau, 1998 ; Nipperdey , 1992 cité par Barmeyer et Davoine) ».

Cette nouvelle conception de la relation avec Dieu et de la pratique religieuse vont avoir des répercussions « sur les pratiques sociales allemandes ainsi que sur la culture managériale » en sachant que « les valeurs chrétiennes sont une référence fondamentale de l’Allemagne de l’après-guerre, tant dans la doctrine de l’ordo-libéralisme que dans les cercles patronaux » (ibid.). De cette façon, la conception d’une communauté de croyants responsables face à Dieu aura des implications sur la vie professionnelle et l’éthique de travail (Weber, 1904-1905). Néanmoins, la religion reformée ne peut être envisagée comme le fondement essentiel de la culture allemande, mais plutôt comme un élément important parmi d’autres. A cet effet, il faut rappeler que la religion catholique reste présente dans de nombreux Länder qui sont particulièrement prospère comme c’est le cas du Land de Bavière. La thèse qu’on peut développer à ce sujet est que la pensée luthérienne se soit diffusée avec la traduction en allemand de la Bible.

Canova et al. (2013) expliquent que le lien souligné par Max Weber entre la culture des nations protestantes (notamment les calvinistes) et le capitalisme serait encore visible de nos jours entre les nations catholiques et protestantes dans l’organisation politique et aussi dans les pratiques managériales. De ce fait, dans les pays latins où l’Eglise catholique est restée la religion dominante, le gouvernement et la gouvernance se confient plutôt à une élite en grande partie

couche dominante ou la couche dominée, la majorité ou la minorité ; ce qui n'a jamais été observé au même point chez les catholiques, dans l'une ou l'autre de ces situations » (Weber, 1904-1905)

127

invisible et collectivement organisée. En France, l’élite est tacitement définie par le système de Grandes Ecoles (comme l’école nationale d’administration (ENA), l’école normale supérieure, ou l’école des mines, ou pour les études commerciales HEC, l’EDHEC etc.) qui reconnait la qualité du futur dirigeant à ses membres. Appartenant au réseau de ces grandes écoles, le respect mutuel tacite est acquis. Les portes des grandes entreprises et celles de l’Etat leur sont ouvertes du fait de leur appartenance aux réseaux des hauts fonctionnaires, politiques et banquiers au- delà de leurs connaissances et talents.59 Les auteurs indiquent que dans les pays protestants, l’élite va faire confiance « à une force anonyme, la logique capitaliste, des marchés ». L’émergence de l’élite dirigeante de ces pays va se déterminer par le mérite même si certaines écoles peuvent faciliter l’accès. Le mérite s’acquiert par le succès dans la direction des affaires plutôt que par le cursus académique.60