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La fin des Trente Glorieuses, un tournant dans la perception des PME, le retour de l’entrepreneur

La fin des Trente Glorieuses marque aussi un tournant dans la perception des petites entreprises et leur fonction dans l’économie pour les économistes. La crise commence à montrer les premiers signes et le chômage amorce une progression inquiétante. Les scientifiques vont s’intéresser aux PME. Des publications telles que Small is beautiful de Schumacher en voient le jour dès 1973. La PME prend progressivement sa place dans les champs d’études en sciences de gestion et en économie industrielle. Marchesnay (1982) dans son article Is small so beautiful s’interroge sur l’euphorie suscitée par les PME et leur efficacité supposée et préconise de considérer la PME plutôt comme une entreprise spécifique. Il remarque, comme d’autres chercheurs (Julien, 2008; Torres, 1999) que sous la dénomination « petite et moyenne entreprise » on trouve des entités très disparates.

Avant de considérer les PME comme des organisations particulières, deux courants vont chercher à mettre en évidence que la taille est un facteur influant sur le plan organisationnel. Le premier cherchant à mettre en évidence l’importance de la taille des organisations, le second

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s’intéressant plus aux effets produits par l’augmentation de la taille des entreprises. Ainsi, pendant les années 1960, les travaux de l’école d’Aston mettront en exergue l’influence de la taille sur les organisations (Pugh et al., 1968). Selon ces travaux, la taille est un élément majeur de la structuration de l’entreprise. En utilisant une approche comparative, les auteurs démontrent que la structure organisationnelle des entreprises diffère selon leur taille.

A la même époque Edith Penrose (1959) justifiera l’existence des PME en indiquant qu’elles coexistent avec des GE sur un marché. Elles vont se spécialiser sur des marchés de niche, espaces sur des marchés, qu’elle nommera interstices, laissés libres par les GE car elles ne peuvent pas réaliser des économies d’échelle. Ces interstices du marché vont être occupés par des petites entreprises qui y voient une opportunité de développement. L’origine de ces interstices « est déterminée par le type d’activité dans lequel les grandes entreprises trouvent leurs opportunités les plus rentables et dans lequel elles se spécialisent, laissant des opportunités vacantes » (Penrose, 1959 ; p. 223). La production limitée nécessaire pour fournir ces marchés de petite taille ou changeants est facilitée par les technologies électroniques nouvelles qui permettent des productions à petite échelle (Carlsson, 1984, cité par Julien). Empiriquement, on constate la spécialisation des PME sur des marchés de niche, ce qui conforte cette idée, et peut même leur apporter des positions de leader international à l’image des Champions Cachés (Hidden Champions, voir chapitre 2).

Durant les années 1970 se développe le courant ayant comme objet de recherche la croissance de l’entreprise. L’idée centrale défendue est qu’au fur à mesure que l’entreprise se développe, elle traverse des phénomènes de rupture d’organisation. Mintzberg (1982) remarque à cet effet qu’elles passent alors par des périodes de transition structurelle. L’article de Larry E. Greiner (1972) va décrire les changements organisationnels qu’une entreprise traverse au fur et à mesure qu’elle grandit. L’intérêt du modèle réside dans son caractère prédictif qui indique les différentes phases que l’entreprise va traverser, au fur et à mesure qu’elle évolue. En fonction de différents facteurs qui ont une influence sur l’entreprise ainsi que le secteur d’activité dans lequel elle évolue, elle aura à affronter des « crises » qui s’accompagneront de changements de structure et de direction.

A la fin des années 1970 deux autres courants, spécialisés dans l’analyse exclusive des PME, se développeront conjointement. D’un côté, le « courant de la spécificité », axé sur l’évidence de traits spécifiques des entreprises de petite taille, qui proposera une théorie spécifique de l’organisation de la PME. De l’autre côté, le « courant de la diversité » qui tient compte de l’hétérogénéité des PME et va chercher à établir des typologies pour pouvoir classer les PME

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présentant des caractéristiques communes. Progressivement, la PME commence à être un champ d’étude à part entière. Elle va être acceptée comme une entreprise qui a une autre fonction que celle d’être une grande entreprise en devenir et dont les caractéristiques spécifiques la démarquent nettement de la GE. L’arrivée de la PME dans le domaine de l’économie industrielle coïncide avec le retour de l’entrepreneur comme acteur économique principal. Alors que l’entrepreneur a été ignoré pendant la période de 1945 à 1975, il devient à nouveau un acteur important dans l’analyse économique. Le début des années 1980 est marqué par la réinterprétation des analyses de Cantillon, Say et Schumpeter. La théorie de l’entrepreneur va connaître un essor prenant pour base les travaux de Schumpeter sur l’innovation, de Kirzner sur la capacité de l’entrepreneur à saisir des opportunités d’investissements et sur ceux de Hayek selon lesquels l’entrepreneur découvre les informations nécessaires à la prise de décision dans un monde qu’il connait imparfaitement.

Les années 1980 vont marquer un tournant dans l’analyse des PME qui vont acquérir le statut d’un véritable objet de recherche scientifique. Le constat de certains chercheurs qui affirment que la PME n’est pas une grande entreprise en miniature mais une firme qui a ses propres spécificités est établi (Gervais, 1978 ; Marchesnay, 1982). Ce courant cherche à mettre en évidence les caractéristiques communes distinguant les PME, malgré l’hétérogénéité du monde des PME. Il s’agit alors de définir un profil type de la PME mettant en avant les points communs qui la caractérisent. Sur le plan économique, on peut identifier plusieurs raisons (Julien, 1998) : les critiques concernant les économies d’échelle ou de champ, les besoins de flexibilité de l’appareil productif et l’importance de l’entreprenariat vont induire un changement dans la vision théorique économique qui prendra dorénavant une orientation sur l’instabilité plutôt que sur la recherche de l’équilibre. Comme le remarque Julien (2008), il faut certainement reconnaître aux italiens la primauté d’analyses modernes et systématiques sur les PME, en particulier concernant les travaux sur les districts industriels dont des centaines de PME font partie. (Becattini, 1979 ). Leurs travaux s’appuyant sur ceux de Marshall (1890) qui parlait de l’atmosphère industrielle pouvant produire ces économies d’échelle (Becattini, 1990).

La concurrence internationale et le besoin des grandes entreprises de flexibilité opérationnelle conduit ces dernières à un recours de plus en plus accru à la sous-traitance et à l’externalisation de leurs activités. En conséquence, on assiste à la multiplication de bon nombre de PME, se spécialisant dans des domaines d’activités industrielles particuliers, qui présentent des caractéristiques spécifiques différentes de celles des GE. Les chercheurs vont alors

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empiriquement constater l’existence de ces entreprises et mettre en évidence leurs spécificités de gestion nombreuses.

L’apparition du « courant de la diversité » en opposition au « courant de la spécificité » s’appliquera à dresser des types de PME distincts. Les deux courants affrontent des problèmes de méthode : pour le premier le problème consiste en la multiplication des types de PME qu’il propose, sans pouvoir bénéficier d’un cadre général ; pour le deuxième le problème réside dans le fait qu’il établit un modèle trop unitaire pour qu’il puisse s’appliquer à la diversité des PME. La solution viendra du « courant de la synthèse ». Ce courant composera une synthèse des deux courants précédents en admettant que la spécificité du concept-PME est modulable. En tenant compte des effets de la mondialisation sur le comportement des entreprises, le « courant de la dénaturation » dont Olivier Torres est un des partisans, va proposer une analyse qui inclut le comportement à l’international des PME. L’internationalisation des PME oblige ces dernières à changer leur mode d’organisation pour adopter certaines fonctions managériales pratiquées par les grandes entreprises dans le but d’optimiser leur efficacité ce qui va dénaturer le comportement relevé par le « courant de la spécificité ».

1.2.3. La chute du mur de Berlin : modification de la donne économique et le retour de