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CHAPITRE 2 Les PME françaises versus PME allemandes : entre similitudes et divergences

B) Les différences culturelles en matière d’innovation : la gestion de l’incertitude

2.2. Le contingent des PME françaises

Le retard de la compétitivité de la France par rapport à ses partenaires européens en matière de croissance et d’exportations (Stoffaes, 2008 ; Betbèze et al., 2006) est attribué à un tissu d’entreprise moyennes trop peu dense. Ce seraient les entreprises de taille intermédiaire qualifiées comme le « chainon manquant » de la structure industrielle par le rapport Stoffaes (2008), porteuses de toutes les attentions et qualités, qui permettraient à la France d’augmenter ses performances à l’export et de retrouver un dynamisme de croissance plus important. Elles seraient les « champions cachés » de l’économie française (Gattaz, 2010) qui, si elles sont suffisamment nombreuses, pourront rétablir la compétitivité de la France (Gallois, 2012).

Ces entreprises ont été instaurées sur le plan statistique par la Loi de la modernisation de l’économie (LME) en 2008 car les pouvoir publics les voient comme un acteur déterminant dans la création d’emploi et de richesse, de l’innovation et de l’export. Les autorités publiques rapprochent ces entreprises du Mittelstand allemand qui est considéré comme un des piliers de l’économie allemande et espèrent que leur développement pourra produire les mêmes effets. Réduire la performance de l’économie française au soutien d’une seule catégorie d’entreprise présenterait deux atouts cruciaux: d’un côté elles ont atteint la taille critique pour pouvoir exporter et innover, et de l’autre côté elles restent suffisamment souples pour avoir une capacité réactive des PME, mais ce serait mal évaluer la richesse du tissu des PME et leur contribution dans l’économie.

La réflexion autour du rôle des PME tient une place importante dans les économies nationales et notamment en Europe, particulièrement depuis la crise de 2008 où on a pu observer que les PME ont mieux résisté à la crise que les grandes entreprises. « Elles sont apparues comme la double clé de stratégie pertinente dans une économie mondialisée » (Fabre, 2012 ; p. 19). Alain Fabre poursuit en expliquant que le « centralisme français a eu pour effet de déclasser les entités de petite taille autonomes que sont les PME » (ibid.) alors que le polycentrisme de l’Etat allemand s’efforce de créer des conditions favorables à leur développement et leur pérennité.

2.2.1. Le modèle français de la PME : entre l’organisation héritée du passé et la PME moderne s’insérant dans l’économie de nos jours

La PME française a traversé plusieurs périodes de transformations de la production. Connue depuis son origine sous la forme artisanale qui dominait le secteur productif jusqu’au 18e siècle,

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le 19e siècle va voir s’affronter deux concepts de production : la production artisanale et la production industrielle taylorienne qui s’imposera par la suite. A cet effet Bertrand Duchéneaut (1996, p.19) remarque, « La France connaît ainsi, en tout cas jusqu’à la première Guerre mondiale, un monde patronal qui vit une ambivalence certaine : d’une part, il est attiré par la production, au sens où celle-ci lui procure les avantages sociaux qu’il recherche, et d’autre part il est soucieux en permanence de la préservation de son patrimoine et de la gestion en ‘bon père de famille’ qui lui font fuir le risque. […] Dans ce contexte, les dirigeants de l’époque se satisfont d’un protectionnisme fort [fourni par l’Etat] ».

Le 20e siècle est marqué par la victoire de la grande entreprise sur la petite structure. Les Trente Glorieuses (1945-1975) correspondant à une période de forte expansion économique à dominante industrielle au cours de laquelle les entreprises à grande taille semblent être celles qui peuvent répondre aux défis sociaux et économiques des pays développés. Le premier choc pétrolier vient sonner le glas de cette période de forte croissance et des grandes structures rayonnantes. Les conséquences sont majeures : la croissance se trouve bloquée, on assiste à une montée du chômage et une nouvelle ère où l’incertitude et les mutations primeront. De plus, l’économie, qui pendant la révolution industrielle a connu un transfert du secteur agricole vers le secteur industriel va subir une nouvelle transformation : l’activité économique amorce une évolution de l’industrie vers les services.

L’activité des services est porteuse d’une double évolution, d’un côté concernant la taille (les entreprises fournissant des services sont majoritairement des PME) et de l’autre côté touchant à la nature et la qualification de l’activité. D’une part il s’agit de l’interactivité entre l’usager et le prestataire, d’autre part, le modèle économique se base sur la connaissance. On note que les PME s’en sortent mieux face à la crise (choc pétrolier). « Dans ce contexte, les PME ont été rapidement parées de nombreuses vertus : la petite taille favorise la proximité sociale des acteurs, la flexibilité de la structure et l’absence de bureaucratie : elle est facteur d’intégration locale et, surtout les PME sont les seules entités à avoir progressé en termes d’effectifs employés au cours des vingt dernières années, alors que les grandes entreprises ont massivement perdu des emplois » (Duchenaut, 1996 ; p.13).

Leur souplesse, la capacité de réaction plus importante font d’elles des structures plus adaptées à un environnement en mutation. On assiste à une prise de conscience des pouvoirs publics d’une dualité économique en prolongeant le concept de dualisme industriel de Piore et Sabel (1989). Les discours publics sont marqués par le « nécessaire développement des PME en France ». Ainsi « la PME est passée du statut de survivance archaïque destinée à périr, au statut

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d’organisme contemporain de son époque, et digne d’intérêt. Non pas toutes les PME, à vrai dire : on s’est mis à distinguer les PME performantes, porteuses d’avenir, et les autres » (Amiot cité par Duchénaut, 1995 ; p.85). D’autres auteurs comme Olivier Torres (1999) indiquent que la PME française appartiendrait plutôt à la catégorie des organisations héritées du passé dont les patrons seraient animés par un esprit traditionnel et conservateur. Ce qui correspondrait à la première image qui vient à l’esprit quand on parle de PME, qui décrit une entreprise archaïque, opérant dans des activités en déclin et dont le niveau technologique est relativement faible.

A l’instar des entreprises qui évoluent dans le commerce de détail, de l’artisanat ou encore des petites exploitations agricoles. Cette conception des PME caractériserait surtout les entreprises appartenant aux pays de l’Europe du sud et plus particulièrement on les trouverait en Espagne, en Italie et tout particulièrement en France (Torres, 1999). A cette vision traditionnaliste de la PME, survivante du passé, on peut opposer une conception plus moderne, plus positive.

Olivier Torres cite comme appartenant à cette catégorie, les PME innovatrices, dynamiques, créatrices d’emploi à l’image de la PME high tech, les PME appartenant à la Silicon Valley, les PME anglo-saxones en général ou les PME allemandes appartenant au Mittelstand, de taille moyenne qui symbolisent « le principe de la coresponsabilité ». Mais le tissu des PME françaises n’est pas essentiellement constitué de ces PME décrites comme les survivantes d’un temps passé, évoluant dans des secteurs qui permettent peu d’évolution. Les PME françaises se trouvent également, comme celles d’autres pays, parmi les PME performantes, hautement technologiques et performantes dans des secteurs high-techs qui se montrent très compétitives.

2.2.2.1. Le management à la française : entre patron et entrepreneur

« La culture […] est le produit d’une longue histoire et à ce titre a une réelle stabilité, une part de liberté demeure liée à la nécessaire adaptation aux situations qui changent » (Merkens et Demorgon, 1998, P.74). Dans le contexte de l’entreprise, deux orientations d’actions s’opposent : maintenir la continuité et accepter le changement. La continuité des décisions prises permet un travail en interne stable ainsi que des relations saines avec les partenaires. Etant donné les évolutions rapides dues à la mondialisation, le changement s’impose quand il faut s’adapter aux nouvelles donnes même si cela est antagoniste avec la stratégie initiale ou la culture d’entreprise présente. A cet effet ,Bertrand Duchenaut (1996), dans son enquête sur les dirigeants des PME souligne que le poids historique et culturel pèse fortement sur le monde du patronat en France :

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« Les dirigeants français portent depuis trois siècles une culture historique forte. De la monarchie à la révolution industrielle, le « patron » a été très marqué par les aspects de statut, de patrimoine voire moral qui entourent cette fonction. Jusqu’à la seconde guerre mondiale s’est forgé un patronat industriel au poids social très important, autocrate et familial et finalement peu entreprenant (au sens de prise de risque) ; l’Etat protecteur joue un rôle très important et les organisations patronales qui se constituent sont essentiellement défensives » (Duchenaut, 1996, p.433). »

Pendant la période de la révolution industrielle (1830-1880) de nombreux chefs d’entreprise présenteront l’entreprise comme une grande famille qui est dirigé par un patron, « père » de ces employés. Patriarche, à la fois maître et père de ceux qui travaillent sous ses ordres (Godelier, 2009). Le patron de l’entreprise française du XIXe siècle fait aussi partie de la bourgeoisie

française. Jean Saglio cité par Duchenaut (1996, p.18) remarque que « le patron français fait bien partie des bourgeois : l’entreprise qu’il dirige, c’est avant tout un bien familial, un patrimoine dont il a hérité et qu’il doit transmettre à ses ascendants, si possible en l’ayant accru. » Du fait de la crainte de la déchéance économique et sociale que la prise de risque lui fait encourir, il va préférer une gestion prudente en bon père de famille.

A partir des années 1930, l’un des changements majeurs pour l’entreprise et le monde patronal a été l’apparition de la gestion des grandes entreprises par des managers. Ainsi, on assiste petit à petit à la dissociation entre le capital et le management des entreprises. Progressivement, l’esprit patronal conservateur encore majoritaire au début des années 1950, va évoluer et conduire de nombreux dirigeants à prendre des risques. Ce nouvel entrepreneur, au sens de Schumpeter, va alors innover, prendre des risques et mettre des produits innovants sur le marché afin de gagner des parts de marché. Bien que ce nouvel esprit entrepreneurial peut être réalisé indépendamment par l’entrepreneur propriétaire ou le manager, le monde patronal français va opérer une division entre ceux qui prennent des risques pour eux-mêmes (patrons) et ceux qui prennent des risques pour les autres.

« Cette distinction est rapidement devenue un terrain de division dans le monde syndical patronal, entre les « petits » souvent propriétaires, et les « gros » souvent managers. Même le terme « patron » pose problème dans sa définition, qu’on va plutôt associer de nos jours aux entrepreneurs - dirigeants dont le capital n’est pas dissocié de l’entreprise, c’est-à-dire les propriétaires de PME, alors qu’on entend par « patronat » non seulement les propriétaires mais aussi leurs collaborateurs qui peuvent également siéger dans les organisations patronales. De ce fait, le pouvoir est partagé entre les patrons qui ont un pouvoir sur l’entreprise et le patronat qui a un pouvoir sur l’action collective. La plupart des auteurs s’entendent sur le fait que la

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« gouvernance d’entreprise à la française » a été foncièrement influencée par un environnement institutionnel et culturel marqué par l’omniprésence de l’Etat (Daumas, 2005). L’auteur souligne que de cet état de fait, il en résulterait des corrélations spécifiques : « la réglementation des sociétés commerciales, le contrôle étatique de l’activité économique, la monoculture de dirigeants passés par les mêmes grandes écoles et le service de l’État, l’importance du domaine public et parapublic, la faiblesse du rôle des marchés financiers et l’orientation de l’épargne des ménages vers les valeurs à revenu fixe plutôt que vers la Bourse » (ibid., p.168).

L’Etat affiche d’un côté une volonté d’incitation devant des entrepreneurs qui ont une aversion pour le risque et de l’autre côté, une volonté de soumission devant le pouvoir central. « En garantissant les entrepreneurs français contre le risque, l’Etat favorise le développement d’un entrepreneur qui n’accepte d’entreprendre qu’en n’étant garanti contre les risques : un patronat assisté et subventionné » (ibid., p.554). Le mode d’exercice de l’autorité de la classe dirigeante estmarqué par une domination proprement capitaliste (chef d’entreprise / salarié) héritée par le rapport traditionnel semi-féodal (maître/serviteurs ou seigneur /vilains).

L’autorité qui compte est celle du patron, l’autorité des syndicats n’est pas acceptée « car elle détourne les travailleurs de la seule autorité qui compte, celle du patron. Les grèves et les conflits ne sont pas acceptés comme moyen d’obtenir des satisfactions à des revendications. L’arrêt des grèves n’est rarement obtenu par la négociation mais plutôt parce que le patronat cède sous la pression (Bunel et Saglio, 1979 ; p.39 et 40). L’analyse de (Duchenaut, 1996) sur les dirigeants de PME françaises conclut que le management à la française présente des spécificités très fortes, fondées sur deux axes : l’individualisme et le dirigisme – le cartésianisme et l’élitisme. Selon l’auteur en ce qui concerne l’individualisme, les français ont la réputation qu’ils pensent avoir une primauté sur les autres et une certaine grandeur, une fierté d’être Français.

Michel Crozier explique que cet individualisme est également lié à une difficulté de faire confiance aux autres et a pour conséquence qu’ils travaillent peu ensemble. L’unique solidarité se manifeste dans la résistance « contre les supérieurs, contre les groupes concurrents, et en même temps contre tout effort d’un ou plusieurs membres d’imposer aux autres leur direction » (M.Crozier, 1963 ; p.268). Thierry Picq (1994) dépeint le modèle de management français en décrivant son mode de communication se caractérisant par un débat d’idées et l’abstraction des raisonnements. Les valeurs sont imprégnées par l’académisme français qui « tranche avec la culture technique des allemands et la culture familiale italienne ». Au niveau des attitudes en situation professionnelle, « la France se caractérise par un modèle traditionnel d’autorité

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centralisateur et bureaucratique qui engendre individualisme et cloisonnement : les comportements sont polychroniques (plusieurs activités menées de front) et se réfèrent à une ‘logique de l’honneur’ corporatiste qui développe un jeu complexe d’acteurs et accroît la dimension formelle des organisations » (ibid.p.17).

Jean Simonet auteur de la « carte managériale de l’Europe » décrit la France comme un pays qui est fortement centralisé et qui a une formalisation forte alors que l’Allemagne présente un profil peu centralisé mais également fortement formalisé. Cette analyse conforte ceux d’autres auteurs qui décrivent le management français. Ces faits stylisés permettent alors de distinguer un certain style de direction qui serait typiquement français caractérisé par l’individualisme, un manque de coopération certain, fortement centralisé, bureaucratique et autoritaire. On peut y ajouter une certaine aversion au risque héritée du passé et conforté par le comportement de l’Etat qui n’incite pas à l’autonomie mais plutôt à la dépendance (voir tableau 13).

Tableau 13: Le modèle de management français

Le dirigeant de la PME – un être malaimé

Le tissu économique de la France, semblable à celui des autres pays européens, est composé de plus de 99% de PME qui sont pour une majorité des microentreprises (moins de 10 employés). « Ces organisations qui connaissent un renouvellement rapide jouent un rôle essentiel dans la dynamique économique et sociale. Elles sont dirigées par des hommes et de femmes qui tels des Don Quichotte se battent quotidiennement contre les moulins à vent d’une administration tatillonne et des représentations communes qui les voient rarement pour ce qu’elles sont et font réellement. Ces chefs d’entreprises souffrent d’un double désamour : celui de l’Etat et celui de la Nation toute entière » (Fayolle et Hernandez, 2008 ; p.54). Les pouvoirs publics sont conscients de la nécessité d’inciter les Français à créer des entreprises, les gouvernements

LES CARACTERISTIQUES DU