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3.4 Motifs et stabilité

3.4.2 Transitions

Nous allons maintenant observer les transitions entre les différents types de doigts et déterminer les valeurs critiques de vitesse.

Observations

Les figures 3.25(a) et 3.25(b) schématisent l’évolution des doigts pour deux séries d’expériences (fraction de grains et géométrie de cellule fixées). L’axe des abscisses repré- sente un numéro attribué à chaque expérience (ordre temporel des expériences) tandis que l’axe des ordonnées donne la vitesse. Les données expérimentales d’une expérience particulière sont donc représentées par un ensemble vertical de points. Comme la vitesse augmente lorsque le doigt avance dans la cellule, le suivi temporel du motif du doigt se fait en partant des points du bas vers ceux du haut. Un repérage visuel permet de discerner les différents types de doigt, ces derniers étant représentés à l’aide de différents symboles.

Nous observons ainsi que, pour les différentes expériences d’une même série, il existe des transitions assez bien définies entre les différents types de doigt. Notons également que ces transitions ne présentent pas de dépendance particulière autre que celle en vitesse. L’hypothèse d’un régime quasi-permanent est donc justifiée dans ce cas, puisque, pour une expérience donnée, l’évolution du doigt ne dépend pas de la vitesse en début de cellule (i.e. le point le plus bas sur la colonne représentant l’expérience, figures 3.25a,b). Pour chaque géométrie de cellule, taille et fraction de grains, il est ainsi possible de calculer des vitesses critiques moyennes (ainsi que leurs écarts-types) pour la transition stable/instable et pour le passage vers les motifs très perturbés de "side branching" ou "tip-splitting". Ces dernières valeurs sont également représentées figures 3.25(a) et 3.25(b).

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(a) Fraction de grains φ = 10%. (b) Fraction de grains φ = 30%.

Fig. 3.25 – Diagramme de stabilité : typologie des doigts observés selon les expériences et la vitesse pour des suspensions d’huile SE KF-6011 et de billes de 80µm dans une géométrie de cellule W = 4 cm, b = 1.43 mm. La ligne pleine représente la moyenne des valeurs de transition d’un doigt stable à un doigt instable, la ligne en tirets celle d’un doigt instable aux phénomènes de "side branching" ou de "tip-splitting".

Soulignons que le critère de sélection des types de doigt est avant tout visuel. Il y a donc une forte dépendance des mesures faites par rapport à la qualité de l’observation par l’expérimentateur. Il peut également y avoir des différences d’appréciation des types de doigt si les observations sont faites par 2 expérimentateurs différents.

Mesure de l’écart-type moyen

Pour obtenir une mesure plus objective du seuil de déstabilisation, nous nous sommes intéressés aux écarts-types de largeur relative de doigt. Pour chaque image de doigt, le programme de traitement de données (voir sous-partie 3.2.2) permet en effet d’extraire le profil de largeur relative : la figure 3.26(a) présente le profil d’un doigt typique et la figure 3.26(b) la largeur relative qui en est déduite le long du doigt. Le programme calcule ensuite la moyenne, que nous noterons simplement λ, et l’écart-type δλ, en ne considérant que les largeurs suffisamment loin de la tête (typiquement au delà de 2 cm). La figure 3.27 représente l’écart-type moyen de la largeur relative en fonction de la vitesse dans une géométrie de cellule donnée pour différentes fractions de grains. Cet écart-type moyen est simplement calculé en moyennant les écarts-types pour des doigts ayant une vitesse comparable.

Nous observons, que l’évolution de l’écart-type peut être, pour l’ensemble des expé- riences, caractérisée de la manière suivante :

– Une phase légèrement décroissante aux faibles vitesses. Cette phase est caractéris- tique des doigts où l’écart-type reste faible, la largeur relative étant par conséquent bien définie et le doigt stable10.

10Nous pouvons nous interroger sur la raison d’une faible décroissance. Deux éléments viennent étayer

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(a) (b)

Fig. 3.26 – Analyse effectuée par le programme de traitement des images. (a) Profil de doigt et bords latéraux de la cellule extraits par le programme (voir Fig. 3.9). (b) Largeur relative mesurée le long du doigt. La ligne verticale représente la moyenne de la largeur relative courante le long du doigt et à une distance minimum de 2 cm de sa tête. δλ en est l’écart type.

– Une phase de plus forte croissance pour des vitesses plus élevées. Cette phase est caractéristique des doigts en cours de déstabilisation. En effet, comme nous pouvons le voir figure 3.22, les doigts se déstabilisant ont une largeur de plus en plus fluctuante à mesure que la vitesse augmente.

Il est donc maintenant possible de déterminer de manière objective une vitesse cri- tique de transition stable/instable. Cette dernière est définie comme étant le point d’in- tersection des deux régimes discutés ci-dessus. Nous remarquons que cette vitesse est relativement bien définie. En particulier, c’est une mesure plus précise et objective que les vitesses critiques mesurées visuellement.

Récapitulatif et comparaison des résultats

Nous avons déterminé, à la fois visuellement et par observation de la fluctuation de la largeur relative, des vitesses critiques de transition. Pour maintenant pouvoir com- parer différentes concentrations de particules et géométries de cellule, il faut que nous fassions référence à un paramètre sans dimension plutôt qu’à des vitesses de transition. Assez intuitivement, le paramètre adéquat semble être 1/B , le paramètre de contrôle de

largeur relative) plutôt que l’écart-type absolu représenté figure 3.27 nous diminuons légèrement la pente. Cela ne suffit cependant pas à rendre cette première partie de courbe horizontale. Le second élément tient au fait que moyenne et écart-type sont calculés à partir d’une certaine distance de la tête du doigt. Pour les doigts les plus larges (et donc pour les vitesses les plus faibles), le profil de largeur relative sera un peu moins établi à la même distance de la tête que pour des doigts plus fins et les fluctuations seront donc plus importantes. Quoiqu’il en soit cela n’a que peu d’importance dans la présente étude, l’observation d’une transition marquée nous suffisant largement.

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Fig. 3.27 – Écart-type moyen δλ de la largeur relative des doigts en fonction de la vitesse U du doigt pour des suspensions d’huile SE KF-6011 et de billes de 80µm dans une géométrie de cellule W = 4 cm, b = 1.43 mm. Les flèches indiquent les seuils d’instabilité repérés pour les différentes fractions de grains.

l’instabilité de Saffman–Taylor. C’est ce qui est notamment considéré dans les études portant sur l’instabilité des doigts [12, 13, 58, 100].

Dans notre cas il reste cependant une ambiguïté sur la définition de 1/B = 12(Wb )2ηU/γ. En effet, comme nous l’avons vu dans la partie 3.3, la structuration de

l’écoulement implique que l’on observe une viscosité effective ηC différente de la visco-

sité rhéologique pour la suspension uniforme ηRh. Dès lors quelle viscosité choisir ? Nous

retenons la viscosité effective ηC pour deux raisons :

– Cette viscosité reflète la viscosité moyenne du fluide en aval du doigt mais également très près de celui-ci. En effet, comme nous l’avons vu, le profil de fractions de grains, une fois établi, ne dépend pas de la vitesse. Par conséquent, un écoulement quasi- 2D, comme nous pouvons le rencontrer à une distance typique W de la tête du doigt, ne va pas modifier ce profil. Pour agir effectivement sur ce dernier, il faut que le profil de vitesse soit modifié dans l’épaisseur de la cellule, et donc avoir un écoulement 3D. Cela n’arrive qu’à une distance typique b du doigt et nous pouvons dès lors supposer que le profil de fractions de grains ne sera pas profondément modifié sur cette longueur .

– La viscosité effective est reliée au gradient de pression par la relation (3.28). On en déduit une expression de 1/B où la viscosité a disparu 1/B = Wλ2|∇P |/γ (par simplicité, il n’est pas question ici de film de mouillage). Cette expression ne fait plus intervenir de viscosité mais juste des conditions d’écoulement au travers du gradient de pression. Elle est ainsi plus générale, ce qui conforte le choix de ηC.

Nous considérons donc maintenant le paramètre de contrôle 1/B évalué de la manière suivante : 1/B = 12 W b 2 ηCU γ , (3.47)

où nous rappelons que W et b sont la largeur et l’épaisseur de la cellule de Hele-Shaw, ηC la viscosité effective, U la vitesse du doigt et γ la tension de surface. Notons que ηC

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dépend de la fraction de grains φ et que γ est supposée en être indépendante, comme nous l’avons mesurée dans la sous-partie 3.1.2.

Les figures 3.28(a) et 3.28(b) représentent les paramètres de contrôle critiques 1/Bc

(i.e. calculés à partir des vitesses seuils observées pour les différentes transitions) en fonction de la fraction de grains dans deux configurations différentes.

(a) W = 4 cm, b = 1.43 mm . (b) W = 4 cm, b = 0.75 mm .

Fig. 3.28 – Paramètres de contrôle critiques en fonction de la fraction de grains (suspen- sions d’huile SE KF-6011 et de billes de 80µm) pour deux configurations différentes : •, transition stable/instable déterminée par la variation de l’écart-type ; , transition stable/instable déterminée visuellement ; M, transition instable/"tip-splitting" détermi- née visuellement.

Intéressons nous d’abord à la transition stable/instable, c’est à dire au seuil de sta- bilité du doigt. Nous remarquons déjà que les deux types de mesure donnent des ré- sultats similaires (Fig. 3.28a et b) : observations visuelles et mesure d’écart-type sont donc consistantes. Nous observons ensuite que le comportement des courbes de stabilité est identique pour les deux géométries de cellule : alors que le seuil de déstabilisation des suspensions pures (i.e. φ = 0) est relativement élevé, l’ajout de grains vient consi- dérablement réduire la stabilité des doigts. Comme nous pouvons le constater sur la figure 3.28(b), une fraction de grains aussi faible que 1% provoque cette déstabilisation précoce. Par ailleurs, nous observons que la fraction de grains joue peu sur le seuil de stabilité (courbes quasi horizontales pour φ différent de zéro). Enfin, si nous comparons les deux géométries, nous trouvons la même valeur du seuil 1/Bc ∼ 1500.

La transition instable/"tip-splitting" semble elle-aussi indépendante de la fraction de grains. Nous notons cependant que la valeur du paramètre de contrôle à la transition diffère selon la géométrie considérée. Il est cependant difficile de conclure là-dessus car nous n’avons pas de comparaison avec des mesures plus objectives comme l’écart-type de largeur relative pour le cas du seuil de stabilité. De plus, ces mesures ont été réalisées dans deux cellules de Hele-Shaw différentes et vue la valeur plus importante du paramètre de contrôle, le bruit même de la cellule peut avoir de l’importance [100], ce que nous constatons également sur le seuil de stabilité du fluide pur. Nous retenons donc que,

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comme pour le seuil de stabilité, la transition instable/"tip-splitting" se produit à un paramètre de contrôle critique relativement indépendant de la fraction de grains.

La principale conclusion de ces premières observations, est que, dû à la présence de grains, même en quantité très faible, dans la suspension, le doigt est déstabilisé préco- cément. De plus, le paramètre de contrôle au seuil, 1/Bc, est peu sensible à la fois à la

fraction de grains φ et à l’épaisseur de la cellule b.

Nous interprétons cette observation par la présence d’un bruit induit par la présence même faible de grains sur le doigt et qui vient donc perturber ce dernier et le déstabiliser. Notons que l’influence du bruit environnant sur la déstabilisation des doigts de Saffman– Taylor a déjà été observée expérimentalement [58, 81, 100] et numériquement [12] mais en considérant un bruit dû à la cellule de Hele-Shaw. Dans ce dernier cas, la déstabilisation des doigts intervenant dans un fluide Newtonien varie très sensiblement selon le dispositif expérimental, comme nous l’avons souligné dans la sous-partie 1.2.5 : Park et Homsy ont ainsi une déstabilisation du doigt vers 1/B = 5000 [81] tandis que Tabeling et al. [100], en réduisant le bruit dans leurs expériences, ont atteint un seuil de 60000. Dans notre cas, par contre, c’est relativement différent puisque le bruit n’est pas dû à l’environnement matériel du doigt mais au fluide poussé par le doigt. Nous pouvons donc étudier l’influence de ce bruit sur le doigt beaucoup plus directement.

Nous n’avons pour le moment étudié la dépendance du paramètre de contrôle critique 1/Bc que par rapport à la fraction de grains φ et à l’épaisseur de la cellule b, en montrant

qu’il en était relativement indépendant. Il reste donc à évaluer l’influence des deux para- mètres restants, le diamètre des grains D = 2R et la largeur de la cellule W . Cependant, plutôt que d’ajouter de nouveaux paramètres, nous cherchons d’abord à comprendre ces premières observations en étudiant plus en détail le mode de déstabilisation du doigt.