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Le premier niveau d’observation est la vue large prenant en compte l’ensemble du canal où l’étude des motifs formés nous renseigne sur le déroulement de l’injection. Un nouveau programme de traitement des images a été mis en place mais les résultats sont difficilement exploitables à cause du bruit important et de la dispersivité des résultats. Nous nous concentrerons donc dans la suite sur des résultats qualitatifs, en particulier sur la nature des motifs.

Soulignons qu’à défaut d’une loi d’écoulement clairement établie, nous observons néanmoins une augmentation de la vitesse des doigts (ou du débit d’air) avec la différence de pression ∆P .

5.2.1

Cas des milieux non-décompactés

Nous nous intéressons d’abord aux motifs formés dans le cas où le milieu n’est pas décompacté (δL = 0.0 mm, φ1 = φ0 = 60%). Les figure 5.3(a-c) représentent les motifs

observés dans un tel milieu en fonction de la surpression imposée ∆P .

Les parties blanches correspondent aux zones où l’air s’est infiltré et a chassé l’huile laissant les grains en place. Notons dès maintenant que le milieu ne semble pas bouger (nous confirmerons cette observation lors de l’étude locale).

L’évolution des motifs est semblable à celle initialement décrite par Lenormand et al. [67] pour les milieux poreux figés à deux dimensions. La figure 5.3(a) présente ainsi des caractéristiques proches de la digitation capillaire (Fig. 1.22a-c) comme décrite par Lenormand et al. [67]. Nous trouvons notamment que les doigts d’injection peuvent aller dans le sens contraire de l’injection dans la cellule, pousser dans la zone arrière et former des boucles. Les figures 5.3(b) et 5.3(c) présentent des motifs plus proches de la digitation visqueuse (Fig. 1.21a-c) avec des doigts en faible nombre, se propageant essentiellement vers l’avant et ne se croisant pas (ou peu). Notons également que les angles formés par les structures de digitation avec la direction d’injection sont en moyenne plus réduits lorsque la pression d’injection augmente. Cela montre une influence plus grande du gradient de pression dans ces cas, ce qui est en accord avec un problème où la viscosité du fluide poussé domine.

5.2. Motifs observés, vue large 157

(a) b=1.15 mm φ1=60% ∆P =30 mbar

(b) b=1.15 mm φ1=60% ∆P =60 mbar

(c) b=1.15 mm φ1=60% ∆P =120 mbar

Fig. 5.3 – Évolution des motifs d’injection en fonction de la surpression appliquée ∆P pour un milieu non décompacté (φ1 = 60%, δL = 0.0 mm) et pour une épaisseur de

cellule b = 1.15 mm.

Nous nous trouvons donc dans un cas a priori similaire à celui de la digitation dans les poreux fixes.

Calculons maintenant le saut de pression capillaire dans un canal typique de ce milieu. Dans les expériences de drainage, c’est la partie la plus petite du canal qui est relevante pour calculer le saut de pression. Pour un empilement de billes, nous pouvons estimer que cette taille est de l’ordre de grandeur d’un cinquième de taille de grains. Nous obtenons ainsi une estimation du saut de pression δP par la formule de Laplace (1.62) :

δP = 2γ

R/5, (5.2)

où R est le rayon des grains et γ la tension de surface du fluide mouillant. Notons que nous avons omis le terme en cos θ de l’équation (1.62). Nous avons γ = 21 mN m−1 et R = 40µm. Nous en déduisons un saut typique de pression δP ∼ 50 mbar au dessous duquel les forces capillaires sont vraisemblablement dominantes. Cette valeur δP est en bon accord avec l’évolution des motifs constatée en accroissant la surpression appliquée ∆P (Fig. 5.3a→b→c) et la transition d’un régime de digitation capillaire vers un régime de digitation visqueuse.

Ces observations confirment ainsi que lorsqu’il n’y a pas de décompaction, le milieu se comporte plus ou moins comme un milieu poreux 2D fixe et peut être considéré comme figé : la réorganisation est interdite à cause de l’encombrement des grains. Cette obser- vation rejoint l’analyse conduite dans le chapitre précédent qui montrait que le milieu initial ne pouvait pas être mobilisé avant qu’il ne soit décompacté (voir la partie 4.4).

158 Chap 5. Injection d’air dans un milieu poreux réorganisable

5.2.2

Évolution des motifs dans les milieux décompactés

Nous nous intéressons maintenant aux résultats obtenus dans les milieux décompac- tés.

Les figures 5.4(a-f) représentent une ébauche de diagramme de phase des motifs observés dans la configuration d’épaisseur b = 1.15 mm en fonction de la fraction de grains φ1 et de la surpression appliquée ∆P .

(a) b=1.15 mm φ1=58% ∆P =30 mbar (b) b=1.15 mm φ1=58% ∆P =120 mbar

(c) b=1.15 mm φ1=57% ∆P =30 mbar (d) b=1.15 mm φ1=57% ∆P =120 mbar

(e) b=1.15 mm φ1=55% ∆P =30 mbar (f) b=1.15 mm φ1=55% ∆P =120 mbar

Fig. 5.4 – Évolution des motifs d’injection en fonction de la surpression appliquée ∆P et de la fraction de grains φ1 pour une épaisseur de cellule b = 1.15 mm.

En comparaison avec le cas sans décompaction (Fig. 5.3a-c), nous observons qu’il y a maintenant des zones vides de grains : les zones en noir. En effet, le fond de la cellule étant sombre, les régions sans grain apparaissent noires. Nous en déduisons que ce sont des zones de mobilisation du milieu granulaire. Dans ces zones, la taille des structures est de l’ordre de grandeur de l’épaisseur de la cellule b = 1.15 mm, elle dépasse donc nettement la taille des grains D = 80µm et par conséquent celle des pores.

Étudions plus en détail les motifs des figures 5.4(a-f) et leur variation avec les para- mètres du systèmes : φ1 (ou δL) et ∆P . Les observations se rejoignent concernant l’effet

d’une diminution de φ1 ou d’une augmentation de ∆P : il existe des structures plus

larges lorsque la fraction de grains est plus faible et donc la décompaction plus pronon- cée (Fig. 5.4a→c→e ; b→d→f) ou lorsque la surpression appliquée est plus importante (Fig. 5.4a→b ; c→d ; e→f). Ces structures ont également tendance à être plus orientées dans l’axe de la cellule, c’est à dire dans la direction de la sortie imposée par le gradient de pression moyen. Elles sont généralement aussi légèrement moins ramifiées ou ont des ramifications plus courtes.

5.2. Motifs observés, vue large 159

L’ensemble de ces observations concorde vers un concept de "mobilisabilité" qui tra- duirait la plus ou moins grande disponibilité du milieu à être, selon les termes, mobilisé, réarrangé, réorganisé ou déformé. Cette mobilisabilité est d’autant plus importante que la surpression, c’est à dire la force appliquée, est grande ou que le milieu se trouve localement à une fraction de grains plus faible.

Notons que pour certaines expériences, nous observons des doigts relativement larges à proximité du lieu d’injection puis des structures plus fines par la suite. Il s’agit vrai- semblablement d’un problème dû à la procédure initiale de décompaction du milieu : lors de la préparation, le milieu loin de l’injection d’huile (et donc celui à proximité de l’injection d’air) aura tendance à être en moyenne plus décompacté. Ce dernier sera donc plus mobilisable et en présente les caractéristiques.

Les motifs observés dans la cellule d’épaisseur b = 2.30 mm sont en bon accord avec le concept de mobilisabilité. Les figures 5.5(a-c) représentent ces motifs pour une surpression ∆P = 30 mbar en fonction de la fraction de grains φ1.

(a) b=2.30 mm φ1=58% ∆P =30 mbar

(b) b=2.30 mm φ1=57% ∆P =30 mbar

(c) b=2.30 mm φ1=55% ∆P =30 mbar

Fig. 5.5 – Évolution des motifs d’injection en fonction de la fraction de grains φ1 pour

une épaisseur de cellule b = 2.30 mm et une surpression appliquée ∆P = 30 mbar.

Nous remarquons que ces structures semblent de largeur comparable (voire légère- ment plus larges) à celles mesurées dans la cellule d’épaisseur b = 1.15 mm à la même surpression (Fig. 5.4a-c-e). Notons cependant que ces doigts sont plus rectilignes, moins ramifiés et alignés en direction de la sortie.

Le concept de "mobilisabilité" aurait également un sens dans ces observations car en augmentant l’épaisseur b de la cellule nous réduisons le confinement du milieu poreux dû aux parois et favorisons l’essor de structures en direction de la sortie, de l’exutoire.

160 Chap 5. Injection d’air dans un milieu poreux réorganisable

Observons que la mobilisation du milieu peut être de plusieurs natures, les deux extrêmes étant liées à deux types d’écoulement dans la cellule de Hele-Shaw2 :

– une mobilisation locale, avec un écoulement loin du doigt de type "milieux poreux" et qui correspond à un écoulement de fluide pur à l’intérieur de la matrice poreuse faiblement mobilisée associé à une (re)compaction locale du milieu près du doigt, – une mobilisation plus large, liée à un écoulement de pâte granulaire dans la cellule

de Hele-Shaw.

Intuitivement ces deux types de mobilisation interviennent pour des "mobilisabilités" différentes :

– Pour les mobilisabilités faibles (fraction de grains importante, surpression faible et cellule plutôt fine) la structure granulaire va résister à la mise en mouvement due à l’écoulement et la réorganisation va rester locale conduisant à un écoule- ment de type "milieu poreux" pour évacuer l’huile. Cela favorise, comme observé expérimentalement, des structures fines.

– pour des mobilisabilités plus importantes le milieu granulaire pourra être plus large- ment restructuré et couler à la manière d’une suspension granulaire. Des structures plus larges peuvent alors apparaître.

Nous allons maintenant nous intéresser à l’analyse des images locales en suivi de par- ticules dans le but de comprendre les mécanismes structurant au niveau microscopique.