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3.3 Écoulement et loi de Darcy

3.3.1 Résultats expérimentaux

La loi de Darcy (1.19) en cellule de Hele-Shaw permet de décrire l’écoulement du fluide visqueux loin de la tête du doigt (i.e. à une distance typique supérieure à la largeur W de la cellule). Cet écoulement est en effet uniforme et la vitesse moyennée sur l’épaisseur de la cellule est notée V . Dans le cas de fluide newtonien cette vitesse est proportionnelle au gradient de pression ∇P (Eq. 1.19) :

V = − b

2

12η∇P , (3.4)

où η est la viscosité du fluide et b l’épaisseur de la cellule.

6Remarquons, ici, que le saut de pression à l’interface (2γ/b, de l’ordre de 0.1 mbar) est négligeable

78 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires

Premières observations

Nous considérons, comme dans le cas newtonien, que l’écoulement des suspensions selon la largeur est uniforme. La conservation de la masse impose que la vitesse V de la suspension loin du doigt soit reliée à la vitesse U du doigt par :

V = λU , (3.5)

où λ est la largeur relative du doigt (nous négligeons pour le moment le film mince de mouillage restant sur les plaques).

En considérant la loi de Darcy nous pouvons former un gradient de pression ∇P∗ à partir de la viscosité rhéologique ηRh(φ) et de la vitesse V :

∇P∗ = 12ηRh(φ)

b2 V . (3.6)

La figure 3.10 représente ce gradient de pression7 ∇Pen fonction du gradient de

pression |∇P | imposé dans une géométrie donnée pour différentes fractions de grains φ.

Fig. 3.10 – ∇P∗ en fonction du gradient de pression mesuré |∇P | pour des suspensions d’huile SE et de billes de 80µm (b = 1.43 mm, W = 4 cm), quelques points expérimen- taux et ajustements linéaires.

Si les suspensions se comportaient exactement comme des fluides Newtoniens avec une viscosité ηRh(φ), nous devrions observer une seule droite reliant ∇P∗ à |∇P |. Dans

le cas présent, ce n’est pas ce que nous avons : bien que les points expérimentaux restent visiblement sur des droites, ils s’écartent en effet de plus en plus du cas newtonien à mesure que la fraction de grains φ augmente, les vitesses observées étant plus élevées que celles attendues. Il existe donc une loi de Darcy (caractérisant la proportionnalité de V et |∇P |) mais avec une pente différente. Il faut donc introduire une viscosité effective plus faible que ηRh(φ). Cette viscosité effective témoigne d’une restructuration de l’écoulement

et nous en conduisons l’étude dans la suite de cette partie.

7Nous ne traitons ici que les doigts stables, de manière à correctement approcher le débit. Des

résultats similaires à cette sous-partie (et celles qui suivent) peuvent cependant être obtenus, avec plus ou moins de précision, sur l’ensemble des données.

3.3. Écoulement et loi de Darcy 79

Viscosité effective ηC(φ)

Comme les données de la figure 3.10 s’alignent sur des droites, nous pouvons supposer que l’écoulement de la suspension dans la cellule reste régi par une loi de Darcy (1.19) mais que, pour une suspension donnée, la viscosité considérée n’est plus la viscosité rhéologique ηRh(φ) mais une viscosité caractéristique de l’écoulement dans la cellule

ηC(φ) :

V = − b

2

12ηC(φ)

∇P . (3.7)

Cette viscosité effective, qui est inférieure à ηRh(φ) varie selon la fraction de grains φ mais

peut a priori dépendre aussi des paramètres géométriques (taille des grains, épaisseur du canal b, largeur du canal W ).

De manière analogue à la sous-partie 2.3, nous prenons en compte le film de mouillage laissé sur les plaques. Nous utilisons le résultat empirique de Tabeling et al. [99, 100] qui caractérise l’épaisseur t du film de mouillage (Eq. 2.7) :

t = κb[1 − exp(−γW/b)][1 − exp(−βCa2/3)] , (3.8)

avec κ ≈ 0.119, γ ≈ 0.038 et β ≈ 8.58, pour une large gamme de nombre capillaire (Ca proche de 0 et jusqu’à 0.2). Prenant en compte ce film laissé sur les plaques, la conservation de la masse (3.5) s’écrit alors :

V = λU (1 − 2t/b) . (3.9) Dans le cas des suspensions, nous avons atteint des nombres capillaires Ca voisins de 0.1 et une valeur typique de 2t/b vaut alors 0.15 . Notons que nous n’avons vu aucun effet notable des grains sur le film de mouillage. En particulier, celui-ci semble toujours rester uniforme et la quantité de grains déposée sur les plaques semble cohérente avec l’évolution de l’épaisseur du film et la quantité moyenne de grains présente dans la suspension. Ainsi, lors des expériences et comme nous pouvons l’observer figures 3.11(a) et 3.11(b), nous avons remarqué qu’il ne restait quasiment aucun grain sur les plaques pour les très faibles vitesses (film de mouillage très mince) tandis qu’il y en avait nettement pour des vitesses élevées. Nous avons aussi observé que le nombre de grains déposés croissait bien avec la fraction de grains de la suspension.

La définition du nombre capillaire n’est pas simple dans notre cas car nous ne savons pas exactement quelle viscosité considérer : viscosité effective ηC, rhéologique ηRh, du

fluide pur η0. Comme la correction par le film ne nécessite pas une connaissance très

précise du nombre capillaire, notamment car il est quasi-saturé dans la plupart de nos expériences, nous considérons donc une dépendance du nombre capillaire Ca avec la viscosité effective ηC. Considérant cette dépendance et vu que ηC dépend aussi de l’ajus-

tement de nos points expérimentaux corrigés par le film, nous procédons par itération pour déterminer la viscosité effective. En pratique, une seule itération suffit pour avoir une valeur fixe.

Nous cherchons maintenant à connaître le plus précisément possible la valeur de la viscosité effective relative ηC_r(φ) et notamment à repérer de faibles variations par

rapport à la viscosité rhéologique ηRh_r(φ). Pour cela, il faut connaître suffisamment

80 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires

(a) U = 0.012 cm s−1, λ = 0.73 . (b) U = 0.08 cm s−1, λ = 0.52 .

Fig. 3.11 – Présence de grains dans le film pour une suspension d’huile SE KF-6011 et de billes de 80µm avec une fraction de grains φ = 30% dans une géométrie de cellule W = 4 cm, b = 0.75 mm. (a) Aux faibles vitesses (faibles Ca) le film de mouillage est mince et ne renferme pas de grains : le doigt apparaît clair. (b) Pour des vitesses plus élevées, des grains sont pris dans le film de mouillage : nous observons une texture grisée à l’intérieur du doigt.

cellule –qui intervient dans la définition de ηC (Eq. 3.7)– et de la température T –dont

dépend la viscosité du fluide pur η0(T )–.

L’épaisseur in situ b de la cellule est évaluée avec la loi de Darcy pour le fluide pur où nous savons que ηC = ηRh = η0. Ayant relevé les valeurs de température pour l’ensemble

des séries, la température est ainsi simplement corrigée dans la définition de la viscosité relative :

ηC_r(φ) =

ηC(φ, T )

η0(T )

, (3.10)

où la dépendance en température disparaît. Notons que les viscosités se rapportent tou- jours à un fluide donné (DC 704 ou SE KF-6011).

La figure 3.12 représente les viscosités relatives ηC_r en fonction de la fraction de

grains φ8. Vu la faible dispersion des points pour une fraction de grains φ donnée, nous

en déduisons que la viscosité ηC_r dépend de manière prépondérante de φ. Par ailleurs

cette viscosité est bien inférieure à la viscosité rhéologique ηRh_r matérialisée par le

modèle de Zarraga et al. [104].

Nous considérons maintenant l’écart relatif entre la viscosité rhéologique et la viscosité effective dans la cellule, qui ne dépend que de φ dans le cadre de nos mesures :

∆rη(φ) =

ηRh_r(φ) − ηC_r(φ)

ηRh_r(φ)

. (3.11)

La figure 3.13 représente l’écart ∆rη(φ) en fonction de la fraction de grains. La viscosité

effective est donc plus faible que la viscosité rhéologique et cela d’autant plus que la fraction de grains φ est importante.

Cette observation peut s’expliquer en considérant une structuration de l’écoulement due aux grains. En effet, l’écoulement dans l’épaisseur de la cellule est caractérisé par

8Pour des raisons de lisibilité, nous n’avons indiqué qu’un nombre limité de configuration. Les résul-

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Fig. 3.12 – Viscosité relative ηC_r en fonction de la fraction de grains φ pour différentes

configurations (diamètre des billes : 80µm), points expérimentaux et modèle de Zarraga et al. (tirets).

un profil de vitesse de Poiseuille. Par conséquent, le cisaillement n’est pas uniforme. Or comme l’ont notamment expliqué Leighton et Acrivos [61, 62], un cisaillement non- uniforme provoque la migration des particules dans les zones de faible cisaillement. Dans le cas de l’écoulement dans la cellule de Hele-Shaw pour un fluide Newtonien, la vitesse dans l’épaisseur est décrite par un profil parabolique, dit de Poiseuille :

v(z) = Vmax(1 − ˆz2) , (3.12)

avec ˆz = 2z/b la coordonnée adimensionnée et Vmax = v(ˆz = 0) la vitesse maximale

située au centre du canal. Les zones de plus faible cisaillement sont ainsi au centre du canal et les particules ont tendance à y migrer. La distribution de particules n’est dès lors plus uniforme et la viscosité locale s’en trouve changée. Le profil de vitesse est par conséquent modifié. Or pour obtenir la loi de Darcy, la vitesse moyenne est calculée en supposant un profil parabolique. Comme ce n’est plus le cas, la loi de Darcy s’en trouve changée, ce qui explique l’origine d’une viscosité effective différente de la viscosité rhéologique. Remarquons pour finir que les particules s’accumulant au centre du canal, la viscosité locale y est plus importante, ce qui conduit à un profil de vitesse plus bombé.

Nous détaillons cela dans les prochaines sous-parties.