• Aucun résultat trouvé

Migration de particules induites par cisaillement

3.3 Écoulement et loi de Darcy

3.3.2 Migration de particules induites par cisaillement

Comme nous l’avons vu dans les généralités, sous-partie 1.1.3, la migration induite par cisaillement est la conséquence d’interactions hydrodynamiques irréversibles entre particules. Elle apparaît quand il existe des champs de contrainte ou de cisaillement inhomogènes comme c’est le cas dans l’épaisseur de la cellule de Hele-Shaw.

Comme nous le présentions, le phénomène de migration de particules due au cisaille- ment a été mis en évidence dans de nombreuses études expérimentales [1, 6, 43, 44, 84], notamment pour le cas d’un écoulement de Poiseuille en géométrie rectangulaire (i.e. cellule de Hele-Shaw) [53, 72], avec une situation analogue à la nôtre. Soulignons cepen- dant que, de manière assez étonnante, ces études ne font jamais référence à une viscosité

82 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires

Fig. 3.13 – Écart relatif entre ηC_r et ηRh_r évalué sur l’ensemble des expériences en

fonction de la fraction de grains φ.

effective. À débit donné, les auteurs ne s’intéressent pas, en effet, à la perte de charge dans leur système.

Soulignons que, dans notre cas, la suspension se trouve bien dans un régime de Stokes, c’est à dire que Rep  1 où Rep est le nombre de Reynolds particulaire, i.e. calculé sur

la taille des grains :

Rep =

ρV R η0

(3.13) avec ρ la densité du fluide, V la vitesse typique, R le rayon des grains et η0 la viscosité

du fluide pur.9

Nous allons voir dans les sous-parties suivantes comment ce phénomène de migration de particules induite par cisaillement s’applique à nos expériences (régime permanent), en insistant auparavant sur le régime transitoire.

Transition vers un écoulement permanent

Lors du développement de leur modèle de diffusion de particules dans une configu- ration analogue à la nôtre, Nott et Brady [79] ont évalué la distance caractéristique d’écoulement Lp pour que le régime permanent soit atteint.

Les particules sont initialement dispersées uniformément dans le canal. Selon les hypothèses de Leighton et Acrivos [62], la distance moyenne d parcourue selon la normale à l’écoulement par les particules pendant un temps t est de la forme :

d = 2(Dγ˙t)1/2 , (3.14)

où Dγ˙ est le coefficient de la diffusion induite par cisaillement. La distance typique que

doivent parcourir les particules est la moitié de la demi-épaisseur soit b/4. Le temps typique tp pour atteindre le régime permanent est donc :

tp ∼

b2

64Dγ˙

. (3.15)

9Notons que dans nos expériences, la valeur maximale de Re

p est de 10−2 et la valeur typique de

3.3. Écoulement et loi de Darcy 83

Le coefficient D peut s’écrire Dγ˙ = R2˙γ ˆD(φ), où ˆD(φ) est le coefficient de diffusion

adimensionné, ˙γ le taux de cisaillement et R le rayon des particules. Le taux de cisaille- ment peut être estimé par sa moyenne pour un profil de Poiseuille : ˙γ = 3Vmoy/b. Ainsi

l’équation (3.15) devient : tp ∼  b 2R 3 R 24 ˆD(φ)Vmoy . (3.16)

De manière équivalente, nous pouvons donc donner une estimation de la longueur Lp =

Vmoytp : Lp b ∼  b 2R 2 1 48 ˆD(φ) . (3.17) Ce résultat ne dépend pas de la vitesse. Cette dernière disparaît en effet à partir du moment que nous raisonnons en terme de distance. Cela est particulièrement pertinent et utile pour l’analyse de nos expériences où le doigt accélère et où il serait, finalement, assez difficile de définir une seule vitesse par expérience. Lp représente ainsi la distance

entre l’entrée de la cellule et le point où l’écoulement a atteint un profil établi.

Pour les suspensions denses (φ ≥ 30%), Nott et Brady [79] estiment que le coefficient 12 ˆD(φ) est de l’ordre de 1, conduisant à l’estimation Lp ∼ b/4 (b/2R)2. Les valeurs

données par ce modèle sont reportées tableau 3.5 pour nos différentes configurations.

diamètre billes D = 2R épaisseur canal b longueur caractéristique Lp

20µm 0.75 mm 26 cm

40µm 0.75 mm 6.5 cm

80µm 0.75 mm 1.5 cm

80µm 1.43 mm 11 cm

140µm 1.43 mm 3.5 cm

Tab. 3.5 – Longueur caractéristique Lp estimée pour atteindre le régime permanent en

écoulement de Poiseuille.

Nous remarquons, sur le tableau 3.5 que, selon ce calcul, hormis pour la configuration (2R = 20µm, b = 0.75 mm), la longueur Lpest petite voire très petite devant la longueur

L du canal (L ∼ 100 cm). Nous pouvons donc en conclure qu’un régime permanent doit être atteint dans ces cas. Soulignons que même pour la configuration (2R = 20µm, b = 0.75 mm), il y a lieu de penser que le régime permanent doit être atteint. En effet, Lp est

une longueur d’établissement du profil. Ce profil est ainsi établi dans notre cellule de Hele- Shaw pour toute distance à l’entrée supérieure à Lp or nous ne considérons typiquement

nos données expérimentales que pour des doigts ayant au moins parcouru 20 cm. La très grande majorité de la perte de charge estimée dans nos expériences se trouve donc dans une zone au profil établi même pour la configuration (2R = 20µm, b = 0.75 mm). Pour finir, notons également que les résultats de la figure 3.12 ne présentent pas d’écart significatif entre les différents points expérimentaux (Lp ∼ 11 cm pour b = 1.43 mm

contre Lp ∼ 1.5 cm pour b = 0.75 mm).

Reprenant les mesures de coefficients de diffusion de Leighton et Acrivos [61, 62] basées sur l’ajustement de leurs mesures expérimentales, Lyon et Leal [72] rapportent

84 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires

l’ajustement suivant de ˆD(φ) pour les fractions de grains plus faibles que 30% : ˆ

D(φ) = 13φ2(1 + 12exp(8.8φ)) . (3.18) Les valeurs données par cette formule sont reportées tableau 3.6 pour une configuration (2R = 80µm, b = 0, 75 mm) et différentes valeurs de φ.

fraction de grains φ longueur caractéristique Lp

10% 19 cm

20% 2.6 cm

30% 0.57 cm

40% 0.14 cm

Tab. 3.6 – Longueur caractéristique Lp estimée pour atteindre le régime permanent en

écoulement de Poiseuille en fonction de la fraction de grains φ pour 2R = 80µm et b = 0.75 mm.

Nous remarquons que la longueur caractéristique est rapidement atteinte dans notre cellule de Hele-Shaw pour les fractions de grains supérieures ou égales à 10%. En re- vanche pour des fractions de grains inférieures (typiquement 5%), le régime permanent ne semblerait pas atteint. Notons cependant que les points expérimentaux semblent suf- fisamment cohérents entre eux (Fig. 3.12) : les points à φ = 1, 2, et 5% semble dans l’alignement de ceux à 10% ou plus. Nous pouvons donc penser que, pour ces expé- riences, à défaut d’atteindre un régime permanent, nous en sommes assez proches.

Pour finir, nous pourrions nous demander quelle influence le doigt a sur cet écoule- ment. A priori, la migration, phénomène diffusif, n’est pas influencée par la présence du doigt tant que celui ci ne modifie pas l’écoulement dans l’épaisseur de la cellule. Or les effets de modification du champ de vitesse induits par le doigt dans l’épaisseur arrivent à une distance typique de b (épaisseur de la cellule) en aval du doigt. Cette zone est négligeable pour le calcul de la viscosité effective.

Nous retenons donc que, dans la plupart de nos expériences, la migration de particules a eu le temps de s’établir. Ainsi, nous nous intéressons maintenant au profil établi.