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2.5.1

Profil des doigts

Expérimentalement, nous observons que même si le mode de sélection de la largeur relative du doigt évolue pour des vitesses suffisamment élevées, le profil du doigt n’est pas modifié. Les figures 2.9(a) et 2.9(b) représentent les images de doigts obtenus pour des 1/B ’ identiques (à 5% près) et ayant donc des largeurs relatives identiques (λ = 0.63), mais présentant dans un cas des effets d’inertie (Fig. 2.9b) et dans l’autre cas non (Fig. 2.9a). Nous avons comparé le profil de ces doigts à la prédiction faite par Pitts [85] pour les doigts classiques de Saffman–Taylor, ne prenant donc pas en compte les effets d’inertie (Eq. 1.34). Les profils expérimentaux sont en excellent accord avec la prédiction. Cela indique donc que, pour une taille de doigt donnée, le profil de ce dernier n’est pas modifié par l’inertie. Ces observations sont valables pour l’ensemble des expériences.

Ces résultats nous incitent à introduire les effets d’inertie d’une manière perturbative dans le cadre classique du traitement de l’instabilité de digitation visqueuse de Saffman– Taylor. Nous avons ainsi choisi de simplement considérer une modification de la loi de Darcy.

2.5. Quelques éléments théoriques 61

(a) Doigt sans effets d’inertie : We∗ = 5 < We∗c, huile V02, vitesse U = 5.2 cm s−1, b = 0.75 mm, W = 4 cm.

(b) Doigt avec effets d’inertie : We∗ = 30 > We∗c, huile V02, vitesse U = 12.5 cm s−1, b = 0.75 mm, W = 4 cm.

Fig. 2.9 – Photographies de doigts de largeur relative λ = 0.63 sans et avec effets d’iner- tie. ×, profil du doigt (λ = 0.63) prédit, sans effets d’inertie, par la théorie de Pitts [85].

2.5.2

Perturbation de la loi de Darcy

Une modification de la loi de Darcy a déjà été introduite dans la partie 2.1.2. Nous allons maintenant considérer une équation de type Euler–Darcy (une équation de Darcy qui sera corrigée pour prendre l’inertie en compte) dans le repère du doigt.

Nous partons de l’équation (2.1) portant sur le champ de vitesse à deux dimensions u(x, y, t) dans le repère du laboratoire. Dans le repère mobile du doigt, le problème est par définition stationnaire. Considérons u(x, y, t) = u0(x − U t, y) + U ex. Nous obtenons

pour la vitesse u0(x, y) dans le repère lié au doigt :

ρ  −αU∂u 0 ∂x + βU ∂u0 ∂x + βu 0· ∇u0  = −∇p − 12η b2 (u 0 + U ex) . (2.11)

En utilisant le même adimensionnement que dans la sous-partie 2.1.2, et en se passant d’indiquer les∗ (valeurs adimensionnées) et les0 (repère du doigt) pour les variables, nous trouvons : Re∗  (β − α)∂u ∂x + βu · ∇u  = −∇p − u − ex . (2.12)

Nous supposons maintenant que l’écoulement reste potentiel, c’est à dire que u = ∇φ. Cette restriction à un écoulement potentiel sans vorticité est possible dès lors que les conditions aux limites qui s’appliquent sur les bords de la cellule et au doigt ne sont pas modifiées. Si c’est le cas, nous pouvons écrire :

φ = −p + Re∗[(β − α)ux+ 12βu2] + x + cst



et ∆φ = 0 . (2.13) Sur le coté du doigt et loin de sa tête, il n’y a pas d’effets d’inertie : le fluide est au repos dans le repère du laboratoire et limx→−∞u = −ex dans le repère du doigt. Par

conséquent, nous devons choisir la constante égale à Re∗(β/2 − α) de manière à annuler les effets d’inertie dans les conditions citées.

Notons que loin de l’interface du doigt en aval de l’écoulement, nous avons une vitesse u uniforme et nous déduisons de (2.13) :

62 Chap 2. Effets d’inertie dans la digitation de Saffman–Taylor

qui donne simplement l’équation classique de Darcy (2.5) dans le repère du laboratoire. L’équilibre mécanique de l’interface impose que la contrainte normale s’équilibre des deux cotés : p = −˜γ/R (R > 0), où ˜γ = (b/W )2γ/(12ηU ) = 1/B−1 est la tension de surface et R le rayon de courbure, tous les deux étant adimentionalisés. En considérant cela nous obtenons la condition aux limites suivante pour le potentiel φ à l’interface :

φΓ = −−˜γ/R + Re∗[(β − α)ux+ 12βu2+ β/2 − α] + x



. (2.15) Comme la vitesse normale à l’interface un est nulle dans le repère du doigt, la seule

composante restante de la vitesse est celle tangentielle ut et nous pouvons utiliser les

notations de McLean et Saffman [75] :

u = utet = −q(cos θex+ sin θey) , (2.16)

où q varie de 0 (à la tête du doigt) à 1 (sur ses cotés) quand θ varie de −π/2 à 0. Nous pouvons donc remplacer u2 par q2 et −ux par q cos θ.

Comme q est principalement donné par cos θ, nous pouvons écrire :

φΓ = −x + ˜γ1/R + We∗(α − β/2) sin2θ



. (2.17)

Dans l’équation (2.17), peu importe que nous considérions les travaux de Gondret et Rabaud [38], de Ruyer–Quil [89] ou de Plouraboué et Hinch[86], (α − β/2) est positif. La correction due à l’inertie a ainsi le même signe que la courbure. De plus, elle s’annule également sur le coté du doigt. Cela montre que le terme inertiel est vraiment très similaire à celui de la capillarité. Les forces d’inertie doivent donc agir de manière similaire aux forces capillaires. C’est ce qui est effectivement observé expérimentalement puisque les forces d’inertie tendent à élargir le doigt.

Finalement, si nous réécrivons l’équation (2.17), nous pouvons obtenir :

φΓ = −x + ˆγ(θ)/R, avec γ(θ) = ˜ˆ γ1 + We∗(α − β/2)R(θ) sin2θ



. (2.18) Cette équation au niveau théorique rappelle la précédente équation phénoménologique (2.10) obtenue en considérant le paramètre de contrôle modifié 1/B ’ et une tension de surface effective γeff .

2.5.3

Simulations numériques et comparaison aux données ex-

périmentales

Le mode de sélection de la taille relative des doigts ne peux, bien sûr, être compris théoriquement qu’en utilisant une analyse sophistiquée des perturbations singulières à la pointe du doigt. Cependant, la taille relative des doigts peut être obtenue numérique- ment en modifiant la méthode de McLean et Saffman [75]. Nous avons choisi de comparer cette procédure à nos résultats expérimentaux. Les corrections de Ruyer-Quil ont ainsi été introduites par Martine Ben Amar dans son modèle numérique en utilisant l’équa- tion (2.15). Les corrections du film de mouillage ont été introduites simplement par une modification de la tension de surface comme proposée par Tabeling et Libchaber [99]. Pour l’épaisseur du film, l’équation (2.7) a été utilisée (sans prise en compte d’un possible effet de l’inertie).

2.5. Quelques éléments théoriques 63

(a) Largeur relative des doigts λ en fonction du paramètre de contrôle 1/B.

(b) Largeur relative des doigts λ en fonction du nombre de Weber modifié We∗.

Fig. 2.10 – Simulations numériques pour une géométrie donnée de cellule b = 0.75 mm W = 4 cm.

Dans ce cadre, les simulations numériques confirment les arguments simples donnés dans la sous-partie précédente. De manière similaire aux expériences, les courbes pré- sentent bien une phase d’augmentation de la largeur relative des doigts comme nous pouvons le voir sur la figure 2.10(a). Les observations pour les résultats du modèle nu- mérique sont les suivants :

– Les effets d’inertie sont effectivement plus importants et apparaissent pour des plus petites valeurs critiques de 1/B pour les fluides les moins visqueux (Fig. 2.10a) ainsi que pour les canaux plus épais ou moins larges.

– Les minima de la courbe de largeur relative en fonction du nombre de Weber modifié We∗ sont situés aux alentours d’une unique valeur We∗c. Cependant, comme nous pouvons le voir figure 2.10(b) , la valeur numérique de We∗c est différente pour les simulations (≈2) et pour nos expériences (≈15).

Si nous comparons les résultats des simulations avec les données expérimentales, nous observons qu’ils sont en accord qualitatif mais pas quantitatif, comme représenté figure 2.11.

Quand il existe des effets d’inertie, nous pouvons caractériser ces derniers en s’inté- ressant à la valeur critique du paramètre de contrôle 1/Bc pour lequel la largeur relative

des doigts est minimale (valeur λc). Comme nous constatons figure 2.11, il apparaît alors

que les simulations numériques tendent à donner des estimations plutôt correctes de λc

mais que, par contre, elles sous-estiment la valeur de 1/Bc. Remarquons également que

la croissance de la courbe λ–1/B est nettement plus forte pour les simulations.

Cependant, même pour les cas où l’inertie est négligeable (pour les fluides les plus visqueux), les résultats des simulations diffèrent faiblement mais significativement des données expérimentales. Nous pensons que cela provient de notre correction trop simple du film de mouillage. Par conséquent il est clair que nous ne pouvons pas obtenir d’accord parfait entre expériences et simulations en y ajoutant les effets d’inertie. Pour avoir un accord quantitatif, il faudrait certainement analyser les effets tri-dimensionnels qui

64 Chap 2. Effets d’inertie dans la digitation de Saffman–Taylor

Fig. 2.11 – Largeur relative des doigts λ en fonction du paramètre de contrôle 1/B pour une géométrie donnée de cellule b = 0.75 mm W = 4 cm : comparaison entre simulations (lignes) et résultats expérimentaux (•, V02 ; ×, V05 ; , V10 ; + V20 ; 4, V100).

deviennent importants lorsque l’on se place à une distance de l’ordre de b de l’interface. Park, Homsy, Reinelt et Saffman [81, 87] ont ainsi montré qu’il n’est pas possible de réduire le problème à 2 dimensions dès lors que les conditions aux limites du doigts étaient modifiées [11]. Ils ont aussi trouvé que cette réduction à 2 dimensions n’était possible que pour un paramètre We = ρU2b/γ petit. Ce n’est pas vraiment le cas de

notre problème et il faudrait donc trouver de nouvelles conditions aux limites corrigées à partir de la théorie à 3 dimensions de Park, Homsy, Reinelt et Saffman en y incorporant les effets d’inertie. Cela n’est cependant pas l’objectif ici où l’accord qualitatif est déjà très satisfaisant.