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4.5 Mobilisation du milieu et phénomène de digitation

4.5.5 Largeur des structures observées

Nous nous intéressons, dans cette sous-partie à la largeur des doigts obtenus lors du processus de déstablisation.

Comme nous l’avons d’ores et déjà souligné, ces doigts sont formés de fluide pur et ils pénètrent dans un milieu qui reste relativement uniforme à partir du moment où nous excluons les bords qui ne sont pas mobilisés (voir Fig. 4.19).

Résultats expérimentaux

Nous avons choisi de présenter ici les résultats pour deux types de largeurs : largeur individuelle et largeur totale. La largeur individuelle wi caractérise la taille d’un seul

doigt tandis que la largeur totale wt représente la mesure de la largeur du canal occupée

par le ou les doigts. Un schéma de ces largeurs est représenté figure 4.22.

Les structures sont relativement hétérogènes et il convient donc de suffisamment moyenner les largeurs observées pour obtenir des tendances et des résultats quantitatifs. En premier lieu, nous considérons les valeurs moyennées des largeurs individuelle et totale. La moyenne de la largeur totale wt,m est calculée en considérant l’aire occupée

par le doigt dans une surface de longueur 6 cm (soit W , la largeur du canal) et en la divisant par cette même longueur. La largeur individuelle moyenne wi,m est calculée en

considérant toujours l’aire occupée par le doigt sur une longueur 6 cm mais en la divisant par la moitié du périmètre du doigt sur cette longueur. Cette définition permet également de prendre en compte des doigts qui ne seraient pas alignés dans l’axe de la cellule.

148 Chap 4. Déstabilisation d’un milieu granulaire immergé

Fig. 4.22 – Image traitée de doigt : largeur individuelle et largeur totale représentées à une position de doigt donnée.

Les figures 4.23(a) et 4.23(b) représentent, en fonction de la position du doigt Xd, les

largeurs individuelle et totale mesurées pour différentes expériences dans une cellule de Hele-Shaw d’épaisseur b = 1.15 mm.

(a) Largeur individuelle wi,m. (b) Largeur totale wt,m.

Fig. 4.23 – Largeurs (individuelle et totale) des doigts en fonction de la position du doigt Xd pour une épaisseur de cellule b = 1.15 mm et différentes surpressions appliquées.

Nous observons que les largeurs, de l’ordre du centimètre, ne dépendent pas signifi- cativement de la surpression imposée mais que les structures ont tendance à être plus larges lorsque le doigt avance dans la cellule. Cette observation reste cohérente avec la vision d’un fluide effectif dont les propriétés changent lorsque le doigt évolue dans la cellule. Ce sont alors les propriétés du fluide qui donneraient le mode de sélection de la taille des doigts et non la vitesse d’écoulement comme dans le cas de l’instabilité de Saffman–Taylor [92].

De la même manière que pour l’étude de l’écoulement de fluide effectif, nous pou- vons considérer les moyennes de nos données pour les différentes épaisseurs de cellule en ajoutant cette fois-ci la position du doigt.

Les figures 4.24(a) et 4.24(b) représentent les moyennes des largeurs individuelle et totale des doigts en fonction de l’épaisseur de la cellule et de la position des doigts.

4.5. Mobilisation du milieu et phénomène de digitation 149

(a) Largeur individuelle wi,m. (b) Largeur totale wt,m.

Fig. 4.24 – Largeurs (individuelle et totale) des doigts en fonction de l’épaisseur de la cellule et de la position moyenne du doigt, moyennées sur l’ensemble des surpressions appliquées.

Nous observons que la largeur des doigts (individuelle ou totale) croit avec l’épaisseur b de la cellule. Elle croit également, mais dans une moindre mesure avec la position du doigt Xd. Il est cependant difficile de caractériser plus en avant la sélection de la largeur

des doigts sans modèle.

Liens avec les travaux existant, quelques ordres de grandeur

Deux types de travaux peuvent nous aider à comprendre les phénomènes observés et notamment l’absence de dépendance de la largeur par rapport à la surpression appliquée. Dans le cas de fluides miscibles, Paterson [82] en analysant la dissipation visqueuse d’énergie arrive à une prédiction de la taille des doigts en :

wi = 4b . (4.33)

Cette taille des doigts est reportée sur la figure 4.25. L’ordre de grandeur est le bon même si nos données ne semblent pas suivre une loi linéaire.

D’un autre coté, Coussot [27] théoriquement et Lindner et al. [70] expérimentalement se sont intéressés au problème de la digitation dans les fluides à seuil. Ces fluides pré- sentent une contrainte critique en dessous de laquelle l’écoulement n’est pas possible. Ils ont montré que la largeur individuelle des structures se mettait à l’échelle de la racine carrée de l’épaisseur : wi ∼ 2π r 3 2 bγ τc , (4.34)

où τc est la contrainte critique et γ la tension de surface entre les deux fluides.

Un ajustement de nos données expérimentales en √b est possible et indiqué fi- gure 4.25. Nous trouvons un préfacteur 1.2 cm1/2 dans cet ajustement. Cependant nous n’avons aucun argument rationnel qui permettent de trouver une échelle de tension de surface effective ni un seuil τc.

150 Chap 4. Déstabilisation d’un milieu granulaire immergé

Fig. 4.25 – Largeur individuelle moyenne des doigts en fonction de l’épaisseur de la cellule : données expérimentales pour 8 cm < Xd< 10 cm, ajustement par une loi en

√ b (courbe pleine) et loi en 4b (tirets).

Il existe par ailleurs d’autres limites à ces deux analyses.

La première, commune aux deux, est qu’il n’y a majoritairement qu’un seul doigt se propageant dans la cellule. Tous les processus de ramification sont suivis d’une com- pétition entre les doigts formés et nous n’observons pas la propagation simultanée de plusieurs doigts qui serait permise dans les deux théories. Le phénomène d’écrantage observé peut cependant être renforcé par les lois d’écoulement que nous avons trouvées. De plus, dans l’approche de Paterson, même si la loi en 4b semble être envisageable pour les largeurs de doigts représentées à la figure 4.25, ce n’est pas le cas des doigts plus avancés dans la cellule. Leur largeur est en effet plus grande et s’écarte donc davantage de cette loi, ce qui peut faire douter de la pertinence de ce modèle pour nos expériences. Nous n’avons pas le même problème avec l’approche fluide à seuil car la légère baisse de l’indice de compaction lorsque le doigt avance peut expliquer une diminution de la contrainte seuil et donc une augmentation de la largeur (Eq. 4.34).

Nous soulignerons cependant que les deux approches ont l’avantage de ne conserver qu’une dépendance (majoritaire) en b pour la largeur individuelle des doigts ce qui est conforme à nos observations expérimentales.

4.6

Conclusion

Nous avons étudié dans ce chapitre la déstabilisation d’un édifice granulaire dense en grains et immergé sous l’action d’une surpression de fluide interstitiel dans une cellule de Hele-Shaw.

Nous avons observé que cette déstabilisation se déroulait essentiellement en deux étapes. Il existe d’abord une phase de décompaction. Elle aboutit à une diminution globale de la fraction de grains et permet à l’ensemble du milieu d’être mis en mouvement, mobilisable par l’écoulement. Elle est suivie d’une phase de digitation où un doigt plus ou moins ramifié de fluide pur pénètre dans le milieu décompacté.

4.6. Conclusion 151

Dans la phase de décompaction, nous avons montré que le paramètre pertinent pour caractériser le temps d’attente entre application de la surpression et mobilisation totale du milieu était la surpression imposée. Un modèle de décompaction à une dimension nous a permis de rendre compte des valeurs de temps d’attente observées ainsi que de l’évolution de la vitesse de l’interface libre.

Lors de la phase de digitation, nous nous sommes d’abord intéressés à la caractérisa- tion de l’écoulement du fluide effectif huile+grains, c’est à dire à la relation débit/gradient de pression pour la pâte granulaire en écoulement. Nous avons proposé deux lois empi- riques permettant de rendre compte de l’évolution de la vitesse et montré qu’elle étaient compatibles entre elles. Ces lois ne dépendent que d’un paramètre fonction de l’épaisseur b. Nous avons ensuite tenté d’expliquer par quelques arguments qualitatifs l’observa- tion assez surprenante d’une loi de Darcy avec une perméabilité fonction de la position du doigt. Nous avons notamment retenu que les caractéristiques de l’écoulement selon l’épaisseur de la cellule étaient susceptibles d’évoluer lors de la digitation.

Nous avons enfin caractérisé les largeurs de doigts formés. Nous avons montré que la largeur des doigts dépendait principalement de l’épaisseur b de la cellule et, de manière moins sensible de la position du doigt dans la cellule Xd. Nous avons aussi observé qu’une

loi en √b similaire à celle observée dans les fluides à seuil pouvait convenir pour décrire les largeurs individuelles.

Fig. 4.26 – Digitation obtenue dans un système air/milieu granulaire sec d’après Johnsen et al. [communication privée]. Géométrie de cellule W = 6 cm b = 1.08 mm, taille des grains D = 80µm, surpression d’air ∆P = 14 mbar.

Soulignons pour finir que cette étude se place dans le cadre plus général de l’étude des écoulements de fluides au travers de milieux poreux mobilisables. Nos travaux ont ainsi été menés en parallèle avec l’équipe Complex de l’Université d’Oslo et l’IPGS de l’Université de Strasbourg, où des études analogues ont été menées sur des systèmes air/granulaires secs (Fig. 4.26).

Il est ainsi assez remarquable d’obtenir des motifs relativement similaires dans un système qui fait intervenir un fluide beaucoup moins visqueux et compressible, la com- paraison des deux systèmes permettant dès lors de sonder un peu plus les propriétés des interactions écoulements/structures.

Chapitre 5

Injection d’air dans un milieu poreux

réorganisable

Comme nous l’avons vu dans les généralités, partie 1.3, l’injection d’air dans les milieux poreux modèles à deux dimensions a été étudiée depuis les années 80 [66–68] et fait encore l’objet de nombreux travaux actuels [36, 71].

Ces études se limitent cependant au cas de milieux figés où la structure poreuse ne peut pas se réarranger sous l’effet de l’écoulement. Or, dès que le milieu poreux est constitué de grains, l’écoulement exerce sur ces derniers une force qui peut les mettre en mouvement, les déplacer individuellement ou collectivement.

En pratique, cette mobilisation de la structure peut être un but recherché ou un désagrément. Typiquement, concernant l’injection de résines ou de coulis dans les sols, une opération de recompactage [41] permet d’obtenir un tassement des sols et ainsi de renforcer une structure abîmée par une cause accidentelle (fuite d’eau, fouille proche...) tandis qu’une opération d’imprégnation consiste en l’injection de coulis de ciment au travers de la matrice poreuse [90] afin de renforcer une structure de type sableuse, la mobilisation étant alors à éviter.

Nous nous intéressons donc dans ce chapitre à l’étude de l’injection d’air dans un milieu poreux faiblement consolidé et donc réorganisable. Pour cela, nous employons un dispositif similaire au chapitre précédent. Nous nous trouvons, cependant ici, dans un cas plus complexe. En effet, alors qu’auparavant, le système choisissait lui-même la fraction de grains à laquelle il "désirait" se placer au moment de la digitation, nous devons main- tenant imposer une fraction de grains au milieu avant l’injection d’air. Ces expériences sont donc beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre et présentent des variabilités plus importantes. Nous nous attacherons donc plus dans le présent chapitre à donner des observations et des interprétations qualitatives qu’à rapporter une description fine des phénomènes.

Après avoir présenté le protocole expérimental, nous nous intéresserons au processus d’injection et aux motifs en résultant à deux échelles. À l’échelle de la cellule, notre intérêt se portera essentiellement sur une étude qualitative de la typologie des motifs d’injection et sur la description des phénomènes y conduisant. À une échelle locale, nous étudierons le champ de vitesse du milieu à l’aide d’une méthode de suivi de particules et corrélerons ensuite les résultats à la réorganisation locale du milieu et aux observations macroscopiques.

154 Chap 5. Injection d’air dans un milieu poreux réorganisable

5.1

Protocole expérimental

5.1.1

Préparation du milieu

Nous travaillons avec un dispositif expérimental similaire à celui du chapitre 4. Le système granulaire est exactement le même : des billes de polystyrène de 80µm de diamètre dont une petite partie (0.04%) est teintée et de l’huile de silicone de viscosité η0 = 5.0 mPa.s. La cellule de Hele-Shaw présente cependant une entrée supplémentaire

dans la plaque du dessus, située à l’opposée de la première.

Dans le but de pouvoir accéder à différentes fractions de grains φ, nous effectuons une décompaction in-situ du milieu.

(a) (b)

(c) (d)

Fig. 5.1 – Schéma du protocole de décompaction. (a) Le milieu imbibé est préparé exac- tement comme décrit figures 4.1(a,b,c). Il existe une entrée supplémentaire initialement bouchée. (b) Le bouchon de Mylar est déplacé d’une distance δL laissant un espace vide. (c) Le milieu est décompacté progressivement. (d) Une fois la décompaction réalisée, le bouchon de Mylar est maintenu et la seconde entrée dans la cellule est libérée.

Les différentes étapes sont représentées figure 5.1 :

– L’entrée supplémentaire est bouchée et le milieu est d’abord préparé de la même manière qu’à la partie 4.1.1 (Fig. 5.1a – voir les figures 4.1a-c pour la préparation). Le bouchon de Mylar à la sortie de la cellule n’est pas retiré. Le milieu se trouve alors à une fraction de grains voisine de φ0 = 60% comme constaté dans le précédent

chapitre (voir p. 124).

– Après cette première étape d’imbibition, la surpression d’huile est coupée et le bouchon de Mylar est déplacé d’une distance δL (Fig. 5.1b).

– De l’huile est à nouveau injectée de sorte à combler l’espace δL (Fig. 5.1c). Comme nous l’avons vu lors de l’étape de décompaction dans le chapitre précédent (sous- partie 4.4.1), une injection continue donne une décompaction non-uniforme et conduit à une digitation. Pour essayer de palier à ce problème, nous injectons

5.1. Protocole expérimental 155

l’huile par des pulses de pression qui permettent une relative meilleure uniformité de la décompaction.

– Une fois le milieu décompacté, l’injection d’huile est coupée et l’entrée supplémen- taire du coté grains est libérée (Fig. 5.1d).

Nous nous trouvons ainsi initialement avec un milieu décompacté dont la fraction moyenne de grains est passée d’une valeur φ0sur une longueur L0 à une fraction moyenne

φ1 telle que :

φ1 = φ0

L0

L0+ δL