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3.6 Vers de plus fortes fractions de grains

4.1.1 Préparation du milieu

Composition

Nous abordons dans ce chapitre le cas des situations où la fraction relative de grains est très élevée. D’un point de vue fluide effectif, il s’agit ainsi de suspensions très denses,

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de pâtes granulaires qui présentent, outre des effets complexes, une viscosité relative élevée. Il est donc important de travailler avec des fluides interstitiels peu visqueux. Pour cela, nous avons utilisé une huile silicone de faible viscosité, l’huile Rhodorsil 47V05 dont nous nous sommes déjà servis dans l’étude des effets d’inertie (Chap. 2). Cette huile a une viscosité η0 de 5.0 mPa.s ne dépendant que très peu de la température. Sa densité

est de 930 kg m−3.

Nous avons travaillé avec des grains de diamètre D = 80 µm dont les caractéristiques ont déjà été rapportées dans le chapitre 3. Il s’agit ainsi de grains de polystyrène de densité 1060 kg m−3 parfaitement sphériques et monodisperses. Une petite fraction de ces grains (de l’ordre de 0.04%) est teintée à l’encre noire. Ce marquage permet de créer un plus fort contraste de texture au niveau de la surface visible du milieu dans le but initial d’utiliser des techniques de suivi de particules1. Il n’y a pas d’influence de cette

encre sur les propriétés du milieu. Par ailleurs cette dernière n’est pas soluble à l’huile et reste donc sur les grains marqués.

Notons qu’il existe donc une différence de densité entre grains et fluide plus impor- tante dans la présente étude que dans les travaux portant sur la digitation dans les suspensions de faibles fractions de grains. Elle n’est cependant que de l’ordre de 10%. Cela s’avère tout à fait suffisant puisque nous travaillons avec des fractions de grains très élevées. Il n’est alors plus indispensable d’avoir une iso-densité parfaite pour négliger les effets dus à la gravité.

Imbibition

La mise en œuvre de l’étude des suspensions très denses en grains est plus complexe que celle des suspensions faite au chapitre 3. Il n’est, en effet, pas possible de placer convenablement une suspension très dense ou pâte granulaire dans la cellule de Hele- Shaw. Il y a deux raisons à cela. La première tient à la nature complexe du fluide présent. Nous sommes typiquement dans le cadre de fluides très visqueux et potentiellement à seuil. Ce sont donc des fluides très difficiles à placer dans une cellule de Hele-Shaw. Par ailleurs, même si cette mise en place était réalisable, une seconde contrainte provient de la nature granulaire de la pâte : il y a un fort risque de structuration. Comme nous l’avons vu pour les suspensions de faibles fractions de grains, les profils de fraction de grains et de vitesse sont modifiés dans l’épaisseur de la cellule du fait de la géométrie. Cette structuration adviendra aussi dans le cas présent si nous injectons la pâte. D’une manière plus générale, il existe également un risque de créer des inhomogénéités selon la largeur de la cellule avec des zones bloquées et des zones en écoulement.

La solution que nous avons retenue a donc été de préparer le milieu grains+fluide in situ. La figure 4.1 représente le protocole.

Nous localisons initialement le milieu sec dans une cellule de Hele-Shaw n’ayant qu’une entrée. Nous tassons verticalement le milieu de sorte qu’il se rapproche de la frac- tion maximale d’empilement ou "random close packing" (située entre 0.60 et 0.65 [50]). Le milieu est bloqué à une des extrémités de la cellule par un bouchon mobile constitué de feuilles de Mylar de même épaisseur que celles constituant le canal. Cette technique permet de créer une surface libre relativement plane à l’entrée (Fig. 4.1a).

L’huile est ensuite injectée en appliquant une surpression à l’entrée de la cellule (Fig. 4.1b). Remarquons que nous augmentons la pression d’injection quand le front

4.1. Protocole expérimental 123

(a) (b)

(c) (d)

Fig. 4.1 – Schéma du protocole d’imbibition. (a) Le milieu granulaire sec est placé com- pacté dans la cellule de Hele-Shaw. (b,c) L’huile est injectée, elle imbibe totalement le milieu qui ne bouge pas grâce au bouchon placé en sortie. (d) Une fois l’imbibition ter- minée, le bouchon est retiré.

avance de manière à contrer la perte de charge qui augmente avec la taille de la zone imbibée. Le front d’injection est plan et nous n’observons pas de bulles d’air coincées lorsque le front avance. Ce cas d’imbibition est "doublement stable". En effet nous injec- tons un fluide visqueux ET mouillant dans un milieu granulaire rempli d’air (viscosité négligeable). L’air peut s’écouler dans le mince intervalle entre les feuilles et les plaques au contraire de l’huile. Quand le milieu est totalement imbibé, nous arrêtons l’injection (Fig. 4.1c).

Nous retirons ensuite le bouchon de Mylar (Fig. 4.1d). Nous avons ainsi deux inter- faces bien délimitées : une entre l’huile et le milieu granulaire imbibé, l’autre entre ce milieu et l’air.

Loi de Darcy

Il est possible de suivre le front d’injection lors de l’imbibition. Nous mesurons éga- lement la surpression appliquée. Nous pouvons ainsi calculer la vitesse du front et le gradient de pression imposé dans le milieu. La perte de charge étant très majoritaire- ment localisée au niveau du poreux imbibé (viscosité de l’air négligeable et perméabilité de la cellule très grande comparées au poreux) le gradient de pression est calculé comme la surpression ∆P appliquée sur la longueur L de milieu imbibé.

La figure 4.2 représente la vitesse du front d’imbibition Vi en fonction du gradient de

pression ∆P/L pour les 4 épaisseurs de cellule employées et de nombreuses expériences. Nous constatons que les points se placent relativement bien sur une droite indépen- dante de l’épaisseur de la cellule. Un ajustement linéaire permet d’estimer la pente à 3.3 10−5 cm2Pa−1s−1.

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Fig. 4.2 – Vitesse du front d’imbibition en fonction du gradient de pression appliqué pour différentes épaisseurs de cellule. La droite représente un ajustement linéaire des données.

L’écoulement dans un milieu poreux est régi par la loi de Darcy (1.44) :

Vs =

K η

∆P

L . (4.1)

La vitesse du front Vi est celle du fluide à l’intérieur des pores. D’après la rela-

tion (1.45), nous avons donc la vitesse débitante Vs = εVi, où ε = 1 − φ est la porosité

ou l’indice des vides.

Si nous supposons une fraction de grains φ de l’ordre de 60% soit ε = 0.4 cela conduit à une estimation de la perméabilité Ki de 6.60 10−12 m2. La relation de Carman–

Kozeny (1.60) pour une telle porosité et des grains de 80µm de diamètre nous donne, elle, une valeur KCK de 6.32 10−12m2. Les deux valeurs sont donc en très bon accord et

nous trouvons une première estimation de la fraction de grains initiale que nous noterons φ0 : φ0 ∼ 60%.

Une seconde estimation de cette fraction nous vient de l’aire occupée par les grains dans la cellule. Pour occuper un volume de 18 cm × 6 cm × 1.15 mm, nous avons ty- piquement besoin de 8.0 g de grains. La densité des grains étant de 1060 kg m−3, nous trouvons donc φ0 ∼ 61%. Les deux calculs donnent donc des résultats très similaires.

4.1.2

Dispositif expérimental

Un schéma du dispositif expérimental est représenté sur la figure 4.3.

Le canal a une largeur W fixée à 6 cm. La longueur L0 initiale du milieu granulaire

est de 18 cm. Nous avons utilisé 4 épaisseurs b différentes de canal : 0.85 , 1.15 , 1.70 et 2.30 mm.

Comme nous l’avons vu, le fluide utilisé est de l’huile silicone de viscosité η0 =

5.0 mPa.s et le diamètre des grains est D = 80µm. Nous disposons de deux modes de visualisation :

– Une caméra numérique CCD Prosilica EC1280 connectée sur un port FireWire permet d’enregistrer des images de l’ensemble du canal avec une résolution de l’ordre de 1280 × 400 pixels, soit une zone d’environ 200 × 200µm2 par pixel.