3.4 Motifs et stabilité
3.4.4 Comparaison du modèle aux résultats expérimentaux
Données expérimentales en fonction du diamètre des grains
Pour analyser plus en détail l’effet de la taille des particules sur la déstabilisation du doigt, nous considérons l’ensemble de nos résultats pour une fraction de grains et un fluide donnés (φ = 10%, huile SE KF-6011). Le tableau 3.8 récapitule les données expérimentales extraites de ces différentes configurations.
N° config. diam. grains D épaisseur b largeur W 1/Bc
1 80µm 0.84 mm 20 mm 1110 2 20µm 0.75 mm 40 mm 3200 3 40µm 0.75 mm 40 mm 2710 4 80µm 0.75 mm 40 mm 1600 5 80µm 1.43 mm 40 mm 1670 6 140µm 1.43 mm 40 mm 1040
Tab. 3.8 – Paramètres de contrôle critiques 1/Bc observés dans différentes configurations
pour des suspensions à base d’huile SE KF-6011 et de fraction de grains φ = 10%.
Nous pressentons que la bonne échelle des perturbations expérimentées par le doigt est la taille des grains D. D’après l’équation (3.64) nous avons :
− ln(Ac/W ) ∼ 0.106 1/B 1/2
108 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires
où Ac est l’amplitude critique nécessaire à la déstabilisation d’un doigt caractérisé par
le paramètre 1/B . Cela nous incite ainsi à tracer 1/Bc1/2 en fonction de − ln(D/W ). La
figure 3.30 représente ces données.
Fig. 3.30 – Données expérimentales relatives au seuil de déstabilisation en fonction des paramètres du système. Les numéros font référence aux configurations indiquées ta- bleau 3.8. La ligne pleine représente la relation de Bensimon et al. (3.65) en considérant Ac = D et la ligne en tirets, un ajustement des points expérimentaux obtenu en conser-
vant la pente du modèle théorique.
Nous observons que nos points expérimentaux s’alignent de manière plutôt remar- quable sur une droite respectant la pente du modèle de Bensimon et al. (3.65). Précisons ici que nous avons changé tous les paramètres possibles du système : géométrie de cellule (épaisseur et largeur) et taille des grains. Un ajustement linéaire des données expérimen- tales en imposant la pente nous donne :
− ln(D/W ) ∼ 1.83 + 0.106 1/Bc 1/2
. (3.66)
Comparaison au modèle
Interprétons maintenant l’ensemble de nos résultats et leur déviation de la courbe de Bensimon et al.. Nous pouvons réécrire l’équations (3.66), sous la forme :
− ln D 0.16 W ∼ 0.106 1/B1/2 . (3.67)
Dans ce cas, le dénominateur dans le logarithme n’est pas W mais une valeur infé- rieure : 0.16 W . Cela peut être, en fait, interprété assez facilement. En effet l’amplitude maximale de déstabilisation est estimée dans le modèle par Amax ∼ W . Ce n’est cer-
tainement pas la valeur considérée dans nos expériences. Nous estimons en effet que le doigt se déstabilise à partir du moment où il n’a plus une largeur bien définie. L’ana- lyse de l’écart-type δλ de la largeur relative nous donne ainsi un ordre de grandeur de l’amplitude maximale pour nos expériences Amax∼ 2
√
3.4. Motifs et stabilité 109
de la transformation d’un écart-type en amplitude crête à crête12. En se référant à la figure 3.27 nous en déduisons Amax∼ 0.009 W pour nos expériences.
Ce dernier résultat semble, à première vue, ne pas être beaucoup plus juste que Amax ∼ W si nous le comparons aux valeurs attendues, aux alentours de 0.16 W . Ce-
pendant il est tout de même plus pertinent. En effet, nous n’avons pas encore discuté de l’amplitude initiale Ai de la perturbation. Nous avons supposé que cette dernière était
de l’ordre de grandeur du diamètre du grain : Ai ∼ D. Or, il est beaucoup plus probable
que, du fait de la tension de surface et à l’écoulement tangentiel au doigt, un grain de taille D provoque une perturbation d’amplitude plus faible que son diamètre : Ai < D.
Cela est permis si nous considérons Amax ∼ 0.009 W . Un ordre de grandeur Amax ∼ W
conduirait en effet à avoir des perturbations initiales devant être plus grandes que la taille des grains, ce qui semble absurde.
Si nous considérons Amax ∼ 2
√
2 δλ W ∼ 0.009 W , nous trouvons alors Ai ∼ 0.06 D.
Cette valeur de l’ordre d’un dixième de taille de grains est probable et vient appuyer le fait que :
1. la déstabilisation que nous observons est obtenue à une amplitude maximale Amax
bien plus faible que la largeur W du canal,
2. les grains provoquent une perturbation d’amplitude initiale Ai plus faible que leur
diamètre D.
Notons, pour finir que nous n’avons pas d’accès visuel à l’amplitude initiale estimée ici car elle est bien en deçà de la résolution de notre caméra.
Quelques remarques supplémentaires
La figure 3.31 représente, en plus des données évaluées à l’aide des mesures d’écarts- types, les mesures collectées visuellement sur les suspensions à base d’huile DC 704. Ces dernières données présentent des incertitudes beaucoup plus importantes. Cependant, elles restent du même ordre de grandeur : les résultats pour l’huile DC 704 sont tout à fait comparables à ceux de l’huile SE KF-6011 alors que ces deux huiles ont des viscosités η0 et des tensions de surface γ différentes.
Notons que Bensimon et al. [13] ont également proposé d’autres méthodes pour déter- miner le seuil de stabilité. Elles donnent cependant des résultats relativement similaires et n’améliorent pas l’accord avec nos résultats.
Nous retenons donc que, dû à la présence de grains, les doigts se déstabilisent pré- cocément. Cette déstabilisation est caractérisée par une valeur critique du paramètre de contrôle 1/Bc qui est indépendante de la fraction de grains φ. Ainsi même pour de
très faibles fractions de grains (φ = 1%), les doigts se déstabilisent précocément. Nous avons montré que cette perturbation s’expliquait principalement par la taille des grains dans la suspension, ce qui est en bon accord avec le résultat d’analyse des perturbations d’amplitude finie de Bensimon et al. [13].
12Pour s’en convaincre, il suffit de considérer l’écart-type d’une fonction sinus, 1/√2, et de le comparer
à l’amplitude crête à crête, 2 (voir aussi la figure 3.26). Nous retenons cette définition de l’amplitude car nous considérons également le diamètre des grains D et non leur rayon R.
110 Chap 3. Digitation dans les suspensions granulaires
Fig. 3.31 – Données expérimentales relatives au seuil de déstabilisation en fonction des paramètres du système pour des suspensions à une fraction de grains φ = 10% : , points déterminés par la variation de l’écart-type pour l’huile SE KF-6011 ; •, points déterminés "visuellement" pour l’huile DC 704. La droite en tiret représente l’ajustement linéaire (3.66).
Pour des valeurs du paramètre de contrôle en dessous de 1/Bc(i.e. les faibles vitesses),
les doigts sont stables (Fig. 3.22a, b) et nous pouvons donc en mesurer la largeur. La prochaine partie s’attache à décrire cette largeur.