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Introduction de la première partie

Chapitre 2 La métropolisation des déchets dans le

A- Les fragilités du système CEAMSE : du centre vers le conurbano vers le conurbano

2- Les transferts implicites : des transferts de risques ?

La définition du devenir des déchets métropolitains révèle sous un autre angle le débat sur la distribution des ressources à l’intérieur d’un territoire Sébastien Velut (2002 : 184) souligne que les recherches récentes sur le fédéralisme fiscal s’intéressent aux transferts implicites entre niveaux de gouvernement. Les projets d’équipement infrastructurel, comme les sites d’enfouissement, sont ceux qui offrent la meilleure prise pour éclairer les bénéfices et les inconvénients qu’un territoire retire de ces transferts. Les discussions actuelles entre ville, province et gouvernement central à Buenos Aires suggèrent qu’une nouvelle variable intervient dans les arrangements entre les différentes entités. L’intervention de la législation environnementale dans des négociations fondées sur les échanges de ressources foncières et fiscales, interrogent l’émergence de la notion de

« transfert de risques » (Durand, 2010 : 313). Pour monnayer ces derniers, les entités politico-administratives rivales tentent de faire contribuer leur adversaire, soit en ressources foncières soit en ressources financières.

a- Ressources financières contre ressources foncières

Les relations entre la province de Buenos Aires et la ville de Buenos Aires se sont édifiées sur la base d’une profonde rivalité. Celle-ci débute lorsque la ville de Buenos Aires devient la capitale fédérale du pays. Placée sous tutelle nationale, elle concentre une grande partie des ressources du pays. Cette division économique et sociale se superpose à un clivage politique fort. Le conurbano est le vivier d’obédience péroniste dans lequel le parti présidentiel vient puiser les suffrages populaires. La ville-centre incarne un espace d’opposition politique, une ville plus bourgeoise, qui depuis 2008, a remis son gouvernement au parti PRO, issu de la droite libérale, appliquant des méthodes entrepreneuriales de gestion de la ville. Pour Marie-France Prévôt-Schapira (2003), les tensions entre ces deux entités constituent un défi important pour la production d’une gouvernance unifiée dans la métropole. Les relations horizontales entre acteurs publics et privés y sont entravées par les tensions entre les niveaux de gouvernement. Dans le cas des déchets, l’aplanissement des dissensions, que favorisait la compétence transjuridictionnelle de la CEAMSE, s’amenuise à partir de 2008. L’élection des chefs de gouvernement des deux entités à cette date s’ouvre sur une passe d’armes. Mauricio Macri annonce qu’il va fermer les hôpitaux de la ville aux habitants du conurbano. En riposte, le gouverneur de la province de Buenos Aires menace d’interdire l’accessibilité des sites d’enfouissement des déchets à la ville de Buenos Aires.

Pour certains médias, la mise en acte de ces paroles de menace serait l’une des « pires [illustrations]

du sous-développement » (García, 24 décembre 2007). Néanmoins, elle reste très hypothétique dans la mesure où elle contreviendrait aux enjeux électoraux des représentants, et ce selon un schéma triangulaire. Le scénario de l’accumulation des déchets dans la ville-centre, de son engloutissement sous ses propres résidus, comme dans les Villes Invisibles d’Italo Calvino ((1972) 1974) ne bénéficierait ni au gouvernement de la ville de Buenos Aires, ni à la province et moins encore à la nation. En fait, cet échange met à jour un problème central, celui de la saturation des sites d’enfouissement, de la clôture de l’un d’entre eux en 2004, Villa Domínico, et de la nécessité de parvenir à de nouveaux arrangements pour assurer la sécurité sanitaire. Ce cadre de négociation interpelle sur les compétences des différents niveaux de gouvernement. Les sites d’enfouissement ont été édifiés dans un contexte d’abrasion impitoyable des tensions par la dictature militaire et de mise sous tutelle de la ville de Buenos Aires. En 2008, les deux entités rivales parviennent à un accord bilatéral, sans l’intervention explicite du pouvoir central (graphique 1.3.). Le tarif de l’enfouissement augmente de 20% pour la ville de Buenos Aires et les municipalités du conurbano.

Ville et province, qui financent toujours le fonctionnement de la CEAMSE depuis 2002, augmentent leur contribution. Elles participent à hauteur égale, alors que, comme l’indiquait le

tonne subir une nouvelle augmentation de 25%, sans compter les coûts du transport des déchets. Ce tarif augmente encore une fois de 35%, en 2012, pour la seule ville de Buenos Aires (CEAMSE, 2012).

Graphique 1.3. Financement extraordinaire de la CEAMSE (en pesos) (2002-2009) D’autre part, la ville de Buenos Aires s’engage à financer un nouveau site d’enfouissement et la province, à mettre à la disposition des installations ses ressources foncières, dont elle dispose en abondance. La redéfinition de la contribution des deux entités politico-administratives au fonctionnement du service de traitement des déchets souligne que la ville de Buenos Aires, à l’issue de chaque négociation, doit réévaluer à la hausse sa participation à la CEAMSE. Comme la province de San Luis (Velut, 2002 : 210), cette entité politico-administrative est l’une des seules à présenter un budget équilibré, qui tient en partie à la perception d’importants impôts sur les services financiers, commerciaux et manufacturiers. Ils représentent entre 66,7 et 73,1% du total recouvré, et tiennent à l’attractivité mondiale de cette « vitrine » du dynamisme argentin. Contre son manque d’espace pour enfouir les déchets, elle monnaye donc le transfert des déchets dans les installations de la province de Buenos Aires, qui compense sa précarité fiscale grâce à ces rentrées d’argent.

b- Le transfert de risques

Les tensions autour de la clôture du site d’enfouissement de Villa Domínico ont contribué à changer la donne. Elles ont mis à mal la légitimité de la CEAMSE en matière d’excellence

sanitaire, dans un contexte où la question environnementale occupe une portion croissante des agendas politiques. Les installations de gestion des déchets sont devenues de potentiels « aléas-stress », facteurs de pollution et de nuisances (Aschan-Leygonie, Baudet-Michel, 2009 : 188).

Comme l’indique Mathieu Durand pour Lima, leur ajout à la vulnérabilité des populations auprès desquelles sont installés les sites de traitement des déchets – pas ou peu d’accès aux services de base, pauvreté – aboutit à un constat de risque (Durand, 2010 : 313).

Dans le cas de l’enfouissement des déchets, l’échange met toujours en jeu des ressources financières contre des ressources foncières. L’existence d’un cadre juridique sur la valorisation et la diminution de la production de déchets (loi 13 592. Voir chapitre 5), permet à la province et au niveau central du gouvernement de se servir du risque comme levier pour peser sur la ville autonome de Buenos Aires. A partir de 2008, province et nation brandissent régulièrement la loi 1 854 de gestion intégrée des déchets solides urbains, dite « Basura Cero », promulguée en 2006 par la ville de Buenos Aires. Le chapitre 5 analysera les débats autour de sa mise en œuvre. Le texte, qui prévoit la diminution de la production de déchets de la ville-centre, n’a pas été suivi de la mise en œuvre de dispositifs de tri et d’information de la population. En menaçant régulièrement de lui interdire l’accès aux sites d’enfouissement, les deux gouvernements adverses parviennent à négocier des tarifs toujours plus élevés pour prendre en charge ses déchets. L’enfouissement passe du statut d’un service d’hygiène à celui d’un service environnemental : la province exige le paiement pour les risques que cette activité fait peser sur ses ressources naturelles. Néanmoins, même ce transfert croissant des ressources de la ville de Buenos Aires vers la province n’est pas suffisant. Dans la recherche d’un site d’enfouissement potentiel les municipalités refusent toutes l’installation d’une telle activité sur leur territoire, bien qu’elles puissent en retirer de substantiels avantages, comme l’exemption d’impôts locaux, la gratuité de l’enfouissement. En 2012, dans un contexte où la CEAMSE décide de privilégier l’enfouissement des déchets de la province contre ceux de la ville, la controverse sur la santé et les hôpitaux surgit nouvellement. Mauricio Macri déclarait en décembre 2012, que « le gouvernement portègne se charge de la santé de tous les habitants de la province qui viennent se faire soigner dans les hôpitaux de la ville, et de l’éducation des élèves qui n’ont pas de place dans les écoles de la province » (Ámbito, 1er décembre 2012).

Cette situation éclaire le basculement d’une approche « réformatrice » de la gestion, avec la définition d’un périmètre ajusté aux problématiques métropolitaines, à une approche par le « libre choix », définie par l’approbation ou la désapprobation électorale (Jouve, Lefevre, 1999 : 838-839).

politico-administratifs entre les entités en période de démocratie entraîne le repositionnement de la ville-centre et de la province. La question des transferts implicites est interrogée sous un nouvel angle, celui des transferts de risques, pour lesquels la ville doit contribuer davantage.

3- Les associations inter-municipales: une mise en échec

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