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Introduction de la deuxième partie

Chapitre 4 Le cinturón ecológico

A- Récit de crise et promotion urbaine à la veille du Mondial de 78 du Mondial de 78

1- Le constat : quelle crise urbaine pour Buenos Aires ?

Lorsque l’intendant de Buenos Aires, le brigadier Osvaldo Cacciatore, prend la tête de la municipalité de Buenos Aires, un mois après le coup d’État national du 24 mars 1976, ses premiers mots sont pour l’état de déliquescence de la ville. A quel point les descriptions qu’il propose de Buenos Aires rejoignent-elles les débats sur les problèmes de l’urbanisation dans d’autres villes ?

Au cours des années 1960 à 1970, la plupart des pays latino-américains doit composer avec une transition démographique qui bat son plein, des migrations des espaces ruraux vers les espaces urbanisés et le dépassement du seuil d’urbanisation (Portes, 1999). Ces mutations ont alimenté un grand nombre de travaux sur le développement et le sous-développement. Institutions (Cepal, Unesco), acteurs publics et universitaires portaient un œil tout à la fois inquiet et plein d’espoir sur la vélocité du changement des villes de la région. Le sociologue nord-américain Glenn H. Beyer (1967) regroupe l’ensemble des enjeux liés à ces transformations sous un titre monumental et accrocheur, L’explosion urbaine en Amérique latine. Si, pour ce dernier, le processus signe l’ouverture de la modernisation dans le continent, d’autres analystes du développement pointent les problèmes de la sururbanisation, c’est-à-dire le déséquilibre entre la croissance rapide de la population et les possibilités d’emplois insuffisantes (Valladares, Prates Coelho, 1995). La pauvreté et l’informalité du logement urbain occupent le centre des débats, nourrissant l’intérêt des universitaires et des décideurs urbains. Partagés entre une approche en terme d’inadaptation et de pathologie (Hauser (dir.), 1961) et une approche en termes de potentialités d’ascension sociale (Germani, 1969) et d’organisation politique, de nombreux travaux académiques se sont attaché à identifier comment survivent les marginaux, pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Larissa Lomnitz (1983) (Lewis, 1951 ; Mangin, 1967). En consonance avec ces préoccupations, les plus grandes villes ont mis sur pied ou doté de moyens plus importants les institutions consacrées à la régularisation et à la formalisation du logement en ville. Cette évolution rapide a également suscité des inquiétudes de la part des techniciens face au sous-équipement en services de base, celles-ci occupant toutefois une moindre part dans les débats universitaires (Valladares, Prates Coelho, 1995).

Tableau 2.1. Trois métropoles latino-américaines dans les années 1970

b- Des récits de crise par et pour le centre de la ville de Buenos Aires

Ces défis sont-ils ceux qui pèsent sur la métropole argentine, et ceux que recense le gouvernement urbain militaire lors de sa prise de pouvoir ? Le constat du sous-équipement en infrastructures coïncide, à première vue, avec celui qu’effectuent des experts en d’autres villes du continent. Le discours d’investiture du brigadier Osvaldo Cacciatore au poste d’intendant de la Municipalité de Buenos Aires, le 23 avril 1976 en est le récit le plus percutant :

Le système hospitalier est déficient. Les travaux annoncés n’ont jamais commencé. Sur 450 îlots, la chaussée n’est pas asphaltée. 10% des trottoirs sont abîmés. 150 millions de dollars ont été investis dans un prêt pour la construction de logements, mais les recettes ne suffisent même pas à payer le personnel de la commission municipale de ce service.

90% du budget sert à payer les employés municipaux. Il faudra rationaliser. (Clarín, 23 avril 1976 : 12)

Dysfonctionnement des services, personnel administratif pléthorique, sous-équipement en services de santé : ces images reprennent un discours sur la gestion urbaine, placé sous le signe de la rationalisation et de l’efficience, comparable à celui que tenaient les édiles urbains libéraux de New York, quelques années après la crise financière de la ville en 1975 (Greenberg, 2008). Dans un contexte de crise pétrolière, elles rejoignent les préoccupations d’un bon nombre de gouvernements urbains des pays en développement, pris à la gorge par l’accroissement des coûts et l’incapacité à faire face aux demandes des nouveaux urbains.

Cet état des lieux de Buenos Aires mérite toutefois d’être replacé dans le contexte latino-américain.

Tout d’abord, il porte sur le centre de la ville, un espace dans lequel la population est stable depuis les années 1940 et où l’équipement en services de base a été remarquable, en comparaison aux autres villes de la région. Le discours de l’intendant masque les problèmes du conurbano où se concentrent les trois-quarts de la population de l’agglomération, où le taux de pauvreté avoisine 44,6% en 1976 (INDEC, 1989 : 25) et où la crise urbaine est la plus susceptible d’affleurer. Même en tenant compte de l’étalement de la ville, des migrations et de l’augmentation du logement informel les problèmes de la métropole argentine dans son ensemble sont moindres que ceux observés dans d’autres villes. Comme l’indiquent Alfredo Rodríguez, Vicente Espinoza et Hilda Herzer (1995), Buenos Aires connaît un taux de croissance trois fois moins important que celui de

déroule lors de la crise de 1930, lorsque le taux d’immigration européenne diminue et qu’affluent près de 200 000 provinciaux entre 1936 et 1947 (Rapoport, 2005 : 240). Par ailleurs, en 1980, 97%

de la population de la ville de Buenos Aires dispose d’un accès à l’eau potable et à l’assainissement, ces chiffres diminuant à 49 et 25% dans le conurbano (Auge, 2007). A titre de comparaison, en 1985, dans la seule municipalité de São Paulo, l’équivalent du centre de Buenos Aires, ces aménités urbaines ne sont accessibles qu’à 45 à 59,1% de la population (Sachs, 1990 : 42-43). Enfin, les 450 îlots non asphaltés que mentionne le maire de Buenos Aires représentent 3,67% du construit urbain de la ville, un pourcentage bien dérisoire face aux difficultés que rencontre São Paulo (Brésil) près de dix ans après. En 1985, le Plan Directeur (Plano Diretor) soulignait le mauvais état de la voirie du centre, non revêtue à hauteur de 45%. Alors, face à la meilleure situation de Buenos Aires, pourquoi le constat des déficiences de l’urbanisation trame-t-il les discours sur la ville, aux débuts du régime militaire ?

c- Le regard tourné vers le nord : des standards nord-américains et européens

Le délabrement de Buenos Aires que dépeint l’intendant Cacciatore ne prend pas appui sur la situation des autres villes latino-américaines mais sur les standards urbains nord-américains et européens. En effet, la course au classement interurbain que mène la municipalité de Buenos Aires se joue face aux performances de Paris, Londres ou New York et non celles de Mexico, Caracas ou São Paulo. La mesure de l’état de Buenos Aires en 1978 et de ses performances à venir est effectuée sur plusieurs plans. Tout d’abord, la question des espaces verts fait l’objet d’évaluations chiffrées. Dans l’article « La bataille pour les espaces verts », une comparaison entre Londres, New York, Paris et Buenos Aires est présentée. D’une part, la capitale argentine ne dispose que de 2,93 m² d’espaces verts par habitant, alors que les trois précédentes en ont respectivement 6,68, 4,49 et 7,06 (La Nación, 26 septembre 1976 : 15). D’autre part, les plans d’aménagement prévus par ces métropoles européennes sont présentés dans la foulée : plan Paris, plan Londres, plan régional de New York (ibid. : 14). Ils sont convoqués pour réaffirmer la nécessité qu’a Buenos Aires de disposer d’un agenda d’aménagement urbain (plan regulador), capable de rivaliser avec ces dernières. Les autoroutes font l’objet d’une présentation moins monolithique. De fait, lors d’un entretien avec Guillermo Laura, ce dernier pointe la question de la sécurité routière. En revanche, la question du traitement des déchets fait l’objet de comparaisons multiples qui attestent d’une réflexion tournée vers différentes alternatives de gestion. Le maître mot reste toutefois celui de la valorisation. La poldérisation de 5 000 hectares à New York, pour édifier l’aéroport La Guardia, est citée dans un article qui évalue l’intérêt de l’usage des déchets comme matériau de remblai de la

future autoroute entre Buenos Aires et La Plata (Clarín, 13 mai 1977 : 13). Les pratiques de valorisation énergétique des déchets sont également évoquées : en pleine crise pétrolière, Clarín et La Nación consacrent chacun un article de divulgation scientifique à la transformation des résidus ménagers en pétrole. Les tenants et les aboutissants de cette pratique sont peu détaillés mais la référence spatiale est un facteur de poids dans sa présentation : elle est mise en pratique en Allemagne et aux États-Unis (Clarín, 13 mai 1977 : 13 ; La Nación, 19 juin 1977 : 26). Celle-ci devient un antécédent très précoce à des expériences menées dans les années 2000 à La Matanza (chapitre 7). Les cas de l’Espagne, où les déchets sont transformés en engrais, et du Japon, où des politiques publiques de recyclage sont déjà lancées, ouvrent la possibilité de recourir à ces modalités de revalorisation.

Par ailleurs, comme l’indique le tableau 2.2., le constat de crise urbaine présent dans la plupart des articles journalistiques sur la ville entre 1976 et 1978, renvoie à une perception sensible de la détérioration de l’espace public urbain : propreté, netteté, entretien des espaces publics. Enfin, les déchets occupent une place centrale dans ce tableau. Ils investissent les récits de la dégradation de l’hygiène urbaine. Les effets de leur incinération sur la qualité de l’atmosphère urbaine est l’un des premiers chefs de préoccupation du gouvernement. Les habitants renchérissent dans le courrier des lecteurs des grands quotidiens en détaillant les nuisances causées par la proximité des décharges du sud de l’agglomération : insectes, odeurs fétides, inondations. La récurrence des thématiques abordées fournit une définition par défaut de la « qualité de vie » à atteindre pour revenir à un « état normal ».

Thématiques Nombre

La décharge à ciel ouvert de la Quema, dans le Bajo Flores, est présentée comme le revers de la

Autoroutes 7 Clarín. La verdad sobre la autopista.

Clarín, 1977, 9 mai, p. 18-19

Inondations 3 Clarín. El agua enemigo de Villa Fiorito. Clarín, 1978, 13 mai, p. 14

Sources : indiquées dans le tableau. Confection : Carré, 2013.

Tableau 2.2. Les problèmes de Buenos Aires à la veille du Mondial de football 1978

Les récits de crise urbaine à Buenos Aires que produisent les décideurs urbains et les habitants ne font que préluder ceux d’une renaissance urbaine, programmée pour la veille du mondial de football de 1978.

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