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Introduction de la première partie

Carte 1.1. Le système métropolitain de gestion des déchets

b- Les stations de transfert : entre espaces de production et d’accumulation des déchets

Le choix de la localisation des sites d’enfouissement relève d’un arbitrage économique et sanitaire. Leur localisation périurbaine répond à une équation entre la distance aux espaces construits et habités, le prix du foncier, sa dévalorisation liée au traitement des déchets, et les coûts du transport de 15 000 tonnes de déchets quotidiennes. Les stations de transfert des déchets apparaissent donc comme des équipements nodaux, qui assurent la connexion entre les lieux de production des déchets et les lieux de leur disposition. Si les installations de traitement des déchets sont périphériques, les stations de transfert, quant à elles, sont interstitielles. Il s’agit d’infrastructures dans lesquelles les camions de collecte qui sillonnent les rues des villes entrent et déversent leur chargement. Celui-ci est compacté dans des camions de transport de longue distance qui, à leur tour, prennent la route pour se rendre vers les installations d’enfouissement. Cette modalité permet d’effectuer des économies d’échelle. En effet, les camions de longue distance transportent le contenu de quatre à six camions de collecte. Entre 1970 et 1993, le seul district fédéral de Mexico s’est équipé de treize stations de transfert (Sánchez Gómez, Estrada Núñez, 1996 : 7), dans une logique de maillage régulier de l’espace. A Lima, malgré les restrictions législatives liées à ces équipements, on comptait sept centres de transfert en fonctionnement dans la municipalité en 2010 (Durand, 2010 : 154). A Buenos Aires, quatre stations sont en activité. Les trois équipements édifiés sous la dictature militaire se localisent dans la ville-centre de Buenos Aires, depuis 1979 et ont une capacité de 1 600 à 2 600 tonnes de déchets par jour4. Ils sont localisés au nord (Chacarita), au sud-ouest (Flores) et au sud-est (Pompeya). Les municipalités du conurbano utilisent également ces équipements. Depuis 2008, celles du sud de la métropole ont recours à la station de transfert de Burzaco, localisée à Almirante Brown (carte 1.1.).

c- Les sites d’enfouissement

Les déchets sont entreposés dans des installations qui, jusqu’aux années 1990, se situaient dans les franges lointaines de l’agglomération de Buenos Aires. Comme l’indiquent André Fleury et Pierre Donadieu (2003 : 20), elles exercent la fonction de « périphéries-rejets » tout à la fois nécessaires et maintenues à l’écart. L’adage « out of sight, out of mind » [loin des yeux, loin du cœur] (Melosi, 1973 : 628) résume correctement la logique de disposition à l’œuvre depuis 1977.

Suivant un métabolisme urbain linéaire (Coutard, 2010 : 193), les résidus sont prélevés au centre,

4 http://www.ceamse.gov.ar/ciclo-de-la-basura/recepcion-1ra-separacion-y-compactacion/, consulté le 14 août 2013.

emmenés vers les périphéries et accumulés à l’interface entre espace aggloméré et construit, et espace rural non bâti.

A Buenos Aires, les installations de gestion des déchets sont au nombre de quatre (carte 1.1.). Elles reprennent les principes d’isolation du sol, de l’atmosphère et des aquifères énoncés par l’American Civil Society of Engineers (ACSE) nord-américaine. La figure 1.2. reproduit l’architecture standardisée d’un site d’enfouissement. L’objectif principal consiste à limiter l’« ensemble de problèmes, de risques et de dysfonctionnements » (Larrue, 2000 : 38) de l’environnement, les déchets étant considérés comme des externalités négatives, coûteuses pour l’environnement et les collectivités locales.

Figure 1.2. Un site d’enfouissement technique en coupe

Jusqu’en 2004, l’ensemble du dispositif se fondait sur le découpage de la métropole en trois zones.

La distance des municipalités au site d’enfouissement le plus proche avoisinait dix à vingt kilomètres. Une fois leurs déchets acheminés, les entités politico-administratives payaient environ 10 dollars par tonne traitée, l’un des tarifs les plus faibles d’Amérique latine (Fundación Metropolitana, 2004 : 77). A partir de cette date, et en raison des mutations importantes enregistrées par ce système centre-périphérie, la CEAMSE doit composer avec la « fin d’un dogme » (Coutard, 2010), celui des grands systèmes techniques. A l’image des infrastructures de transport, d’eau et d’électricité dans les grandes villes, le service d’enfouissement des déchets est confronté à de nombreuses difficultés.

2- La crise des infrastructures

A Buenos Aires, la clôture successive de deux des installations d’enfouissement marque cette crise dans le domaine des déchets. Le paradigme technocentrique qui avait prévalu s’essouffle face aux accusations nourries que portent certaines associations de riverains contre la sécurité sanitaire des sites. En introduisant une reconfiguration géographique du système, cette crise exacerbe aussi une inégalité d’accès au service d’enfouissement entre nord et sud, exhumant par la même occasion un débat sur l’urbanisation vieux de plus d’un siècle.

a- Les risques environnementaux

Le paradigme clinique qui a justifié l’édification des sites d’enfouissement s’émousse à partir de la fin des années 1990. Selon Corinne Larrue (2000), il s’agit de l’une des trois conceptions de l’environnement qui guident la formulation et la mise en application des politiques dans ce domaine de l’action publique : objective et biocentrique ; subjective et anthropocentrique ; technocentrique, ou clinique. Cette dernière « a vocation à déterminer ce qui dans la nature est acceptable pour l’homme et ce qui, dans les activités humaines, est acceptable pour la nature ». Or, cette conception varie dans le temps et dans l’espace, au gré des évènements, des informations ou des cultures (Larrue, 2000 : 38). La pression qu’exercent des groupes de riverains pour que soient fermées les plus vieilles des installations d’enfouissement peut être située dans le cadre de ces mutations. Tout d’abord, les sites ont été absorbés par l’urbanisation. Même si, en 1977, les équipements localisés à Villa Domínico et González Catán se trouvent déjà à proximité des quartiers éponymes, la densification du tissu urbain a érodé la séparation des hommes et des déchets. En 2004, le président de la CEAMSE déclare dans un entretien avec la Fundación Metropolitana (2004 : 77) :

Un site d’enfouissement technique peut donner toutes les garanties possibles du point de vue de la gestion environnementale mais lorsqu’il est enserré dans la croissance urbaine il entraîne des problèmes relationnels : personne n’aime vivre en face d’un endroit où l’on traite plusieurs milliers de tonnes de déchets.

Des incertitudes environnementales sont formulées, d’abord par les riverains du site de Villa Domínico. Le chapitre 2 approfondira les modalités de leur mobilisation. Cependant, on peut relever le chef d’accusation brandi par ces habitants regroupés en association. En effectuant une corrélation entre la multiplication de cas de leucémie infantile chez leurs enfants et la gestion du site d’enfouissement, ils ébranlent l’idée selon laquelle les installations de la CEAMSE sont des lieux qui garantissent la sécurité sanitaire dans l’agglomération. Plusieurs risques environnementaux peuvent être relevés, mais celui de la pollution aquatique est le plus aigu, les infrastructures d’enfouissement se localisant dans le bassin-versant de trois des principaux cours d’eau métropolitains. Comme le montre la carte 1.2., Norte III se situe dans le lit majeur du Río Reconquista ; les sites de Villa Domínico et Ensenada sont construits sur la plaine alluviale du Río de la Plata ; le site de González Catán à quelques centaines de mètres de l’arroyo Morales, un affluent du Matanza-Riachuelo. Les aquifères Pampeano et Puelchense5 affleurent à moins de cinquante centimètres sous le niveau du sol et le Río de la Plata court à quelques centaines de mètres des cellules. La nature imperméable des sols, des limons éoliens et argileux, avait été retenue lors du choix de la localisation des installations en 1977. Les terrasses alluviales du Río de la Plata sont composées d’argiles expansibles, épaisses de quelques mètres. A Norte III et González Catán, les basses terrasses des cours d’eau Reconquista et Morales, qui culminent à cinq à dix mètres d’altitude, sont également composées de limons éoliens quaternaires, de nature argileuse.

Néanmoins, malgré ces précautions et les dispositifs techniques destinés à isoler les cellules, les risques de pollution sont importants. A Norte III, l’aquifère affleure ; à González Catán, il se trouve à une profondeur de quelques mètres, à peine (Pereyra, 2004 : 408-409). Par ailleurs, les marées contraires des sudestadas et les précipitations de la fin de l’été (cigarros et pampeanos) entraînent des crues qui augmentent les risques d’infiltration des lixiviats, produits liquides de la décomposition des déchets.

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