• Aucun résultat trouvé

Introduction de la première partie

Carte 1.10. Un triple portrait des décharges du conurbano

2- La répartition des compétences de financement

Les écarts entre les inventaires effectués par la CEAMSE, l’ACUMAR et les municipalités placent un point d’interrogation sur les conditions dans lesquelles se déploie l’action publique pour gérer une problématique aussi fragmentaire. Comment les différents acteurs politico-institutionnels qui interviennent dans les opérations de nettoyage se répartissent-ils les compétences et le financement ? Sécurité sanitaire, amélioration du cadre de vie et esthétique urbaine informent sur la gouvernance économique des territoires métropolitains.

a- L’éradication des décharges : compétence privée ou compétence publique ?

Le nettoyage des décharges dans la métropole de Buenos Aires est pris en charge par une grande diversité d’acteurs. L’ACUMAR, dans le bassin-versant du Matanza-Riachuelo, travaille conjointement avec la CEAMSE, dans la mesure où cette dernière doit assurer le traitement final des déchets. En 2011, les déchets ôtés des décharges sont même intégrés dans les expériences de production énergétique que l’entité mène sur le site de Norte III (ACUMAR, 2011). La CEAMSE participe également aux opérations d’extraction des déchets, que ce soit dans le périmètre du bassin-versant ou dans les autres municipalités. Cependant, dans la mesure où ses compétences consistent surtout à coordonner les appels d’offres et les concessions entre des acteurs politico-administratifs et des acteurs privés, elle se charge de déléguer cette tâche à des entreprises spécialisées. Au cours des années 1990, les Mémoires et Bilans indiquent que l’entité avait déjà procédé de la même manière auprès de villes situées dans des pays limitrophes, ou de bourgades de l’intérieur de la province de Buenos Aires. Elle propose des missions de consultation à Asunción (Paraguay), et Montevideo (Uruguay), ainsi qu’à San Antonio et Carmen de Areco, deux municipalités rurales du nord-ouest de la province. Plus récemment, l’entité diversifiait ses activités en étendant ses services auprès de l’Organisme Provincial pour le Développement Durable (OPDS – Organismo Provincial para el Desarrollo Sustentable), chargé de coordonner les politiques publiques de gestion de l’environnement au niveau de la province de Buenos Aires. Ainsi, en 2008, la CEAMSE se félicitait d’avoir remporté l’appel d’offres pour le nettoyage des décharges de la province de Buenos Aires. Elle est donc le principal acteur du nettoyage des décharges du bassin-versant. Cette approche, presque exclusivement technique, a été vilipendée, dans la mesure où la dimension participative que revendiquait l’ACUMAR dans le cadre de son plan de gestion intégrée des déchets a presque disparu. Par ailleurs, pour certains détracteurs, l’enfouissement des déchets dans le site de Norte III à proximité du cours d’eau Reconquista ne fait que déplacer le risque

(Medio&Medio, 5 juin 2012). Les déchets sont déplacés d’un bassin-versant, celui du Matanza-Riachuelo, vers un autre, celui du Reconquista. Celui-ci est encore relégué au statut d’arrière-cour métropolitaine, et ce malgré l’existence d’une initiative de gestion intégrée, celle du comité de gestion intégrale du Reconquista (COMIREC - Comité de Gestión Integrada del Río Reconquista).

b- Les modalités de financement de l’éradication des décharges

A l’approche du bicentenaire de l’indépendance argentine, l’ACUMAR présentait ses objectifs d’assainissement complets prévus pour 2024 (ACUMAR, 2009). Placée sous le contrôle de la Cour Suprême de justice argentine, l’ACUMAR doit régulièrement informer celle-ci de ses projets et des avancées du nettoyage. En matière d’éradication, l’ACUMAR garde la compétence de contrôle à court et moyen terme sur les sites nettoyés. Toutefois, en raison du partage de la responsabilité d’assainissement du bassin-versant, la ville de Buenos Aires et la province participent à même hauteur financière au nettoyage des décharges. Elles versent 120 millions de pesos chacune en 2012 (24 millions d’euros), bien que la ville n’accueille qu’une toute petite minorité de ces sites sur son territoire. Pour les municipalités, la formalisation du plan de gestion intégrée des déchets, énoncé en 2011, et l’effectivité des paiements apparaissaient comme deux conditions nécessaires. En effet, le programme d’éradication est aussi synonyme de l’injection de fonds dans les ressources municipales. En 2011, 4 millions de pesos étaient distribués aux municipalités du conurbano pour qu’elles prennent en charge l’assainissement des petites décharges de moins de 15 m3 (ACUMAR, 2011). Néanmoins, elles sont jalouses de leurs compétences, comme l’indique le sous-secrétaire de l’environnement et du développement durable de La Matanza34 :

Nous [les municipalités] avons lourdement insisté… Impossible que l’[ACUMAR] n’ait pas de plan de gestion intégrée des déchets ! Après, sur le terrain, on s’arrange, nous avons des propositions, mais au moins, il fallait que nous ayons un cadre général! Et tout vient de la pression des municipalités. Pourquoi ? Parce que l’action de l’ACUMAR repose sur trois piliers : les infrastructures, l’industrie, et les déchets. Les deux premières : les infrastructures relèvent presque exclusivement de la Nation ; l’industrie est du ressort privé, avec une compétence qui se limite surtout à la Province ; mais les déchets, c’est une compétence exclusive des municipalités.

34 Sous-secrétaire de l’environnement et du développement durable de La Matanza, entretien du 27 avril 2011.

mise en œuvre d’un inventaire plus précis et systématique ainsi que d’un effort de fusion des différentes méthodes employées.

c- Le ministre de l’environnement, un acteur rompu aux jeux politiques dans la métropole Le courroux de la Cour Suprême de justice, déclenché par cet inventaire revu à la hausse, a mis en évidence le rôle de régulateur que joue le ministre national de l’environnement face aux tensions entre les différents acteurs de la gestion du bassin-versant. Ce personnage est aussi président de l’ACUMAR, et se doit de connaître les rapports de force complexes à l’œuvre dans la métropole (Annexe 2). La démission d’Homero Bibiloni en mars 2011, à cette occasion, est significative. Pour Juan José Mussi, ex-intendant de Berazategui qui lui succède, le poste requérait surtout les compétences d’un acteur rompu aux jeux politiques. Reconnaissant les qualités techniques de son prédécesseur, il affirme son passé de « baron du conurbano ». Cette expression désigne les intendants qui, à travers leurs structures sociopolitiques de proximité, de contention sociale et d’intégration économique, assurent la majorité du parti péroniste aux élections municipales, provinciales et nationales. Sa nomination par la présidente dépasse les logiques de parti et de préservation du système politique. Elle prend acte de l’incidence du conurbano sur les décisions nationales et surtout les politiques d’environnement. Peut-on dire, que l’arrivée de Juan José Mussi au poste de secrétaire national de l’environnement reflète l’avènement d’une « nation suburbaine » ? On pourrait presque paraphraser ainsi le bilan du recensement de 1990 aux États-Unis, qui avait montré que les habitants de ce pays étaient surtout des habitants des banlieues. En 2012, Cynthia Ghorra-Gobin indiquait que les démocrates avaient gagné, en grande partie parce qu’ils avaient orienté leur dernier programme électoral vers les habitants des banlieues (Ghorra-Gobin, 06 novembre 2012). Ici, la nomination de ce personnage donne une « tête » à un secrétariat longtemps décapité, en raison de la faible incidence des politiques d’environnement dans les politiques publiques nationales, de leur discontinuité, de leur intermittence.

En octobre 2012, le nouveau ministre national de l’environnement faisait les comptes35. Il attribuait les difficultés rencontrées dans l’accomplissement du programme annuel à la lenteur des versements. Ni la ville ni la province n’ont contribué, à hauteur des 160 millions de pesos annuels attendus, à l’ensemble des activités de nettoyage du bassin-versant, la ville de Buenos Aires n’ayant apporté que 25 millions. Il attribuait le blocage des activités de nettoyage à cette absence de financement. Peut-on considérer que l’intercession du secrétaire de l’environnement consiste à

préserver le pacte fédéral, dont l’explosion alimente régulièrement la politique-fiction ? On ne peut réduire les enjeux du nettoyage des décharges dans le bassin-versant du Matanza-Riachuelo aux dysfonctionnements induits par l’absence de financement de la part des deux entités responsables de la bonne marche du programme. Ces retards donnent aussi une information sur l’ambivalence du problème : le programme intégré de l’ACUMAR est capable de propulser Buenos Aires sur la scène mondiale, grâce à la promotion d’une « bonne gestion » ; mais il est coûteux, et réalisable uniquement sur le long terme, au défi des logiques électorales.

3- La décharge du Marché Central, espace de moindre

Outline

Documents relatifs