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La participation citoyenne aux décisions sur le service de collecte

Introduction de la première partie

Carte 1.14. La localisation des activités de gestion de déchets de l’entreprise Urbaser dans le monde en 2012

B- Les enjeux des « bonnes pratiques » locales

2- La participation citoyenne aux décisions sur le service de collecte

La publicisation à géométrie variable des appels d’offres et des processus d’attribution des contrats aux entreprises est allée de pair avec une réflexion sur la participation des citoyens à la gestion urbaine. Depuis la crise de 2001, les vives protestations des Argentins et les réserves qu’ils ont exprimées face aux modalités de l’action publique territoriale ont conduit à diverses expérimentations. Malgré l’absence d’agenda 21 dans la ville de Buenos Aires et les municipalités

métropolitaines, les décideurs ont été enclins à prendre acte des recommandations plus générales énoncées lors de la réunion des maires de Curitiba, puis à Rio, en 1992. Pour comprendre pourquoi ces deux paramètres de la bonne gouvernance ont été traités ensemble, il convient de considérer que les problématiques environnementales liées à la collecte des déchets impliquent la qualité de la vie des habitants. Dans la veine des politiques de décentralisation qui ont remis aux municipalités des compétences toujours plus importantes en matière décisionnelle, deux dynamiques seront explorées. D’une part, l’empowerment des citoyens et leur capacité à décider sur l’espace urbain, le devenir des déchets, la production de ressources et le contrôle des prestataires seront abordées.

D’autre part, les choix effectués par les municipalités seront explorés.

a- Un principe d’efficience économique et technique vacillant

Avant la crise, l’appréciation générale des services portègnes était bonne, mais les réserves émises par les usagers portaient surtout sur leur prix élevé. Après la crise de 2001, la désolidarisation du coût et de la qualité finit par saper complètement le principe qui avait servi à justifier le libéralisme de la gestion de la collecte. Tout d’abord, les pistes de réflexion ouvertes par le rapport critique du sénateur d’opposition, Martín Hourest, dans la ville de Buenos Aires peuvent être approfondies à la lumière du budget dépensé par habitant dans la métropole. Celui-ci est extrêmement contrasté, mais la logique de la distribution reprend celle de la division de la métropole en trois à quatre ceintures socio-économiques (INDEC, 2003). En 2012, le montant moyen consacré à la collecte dans la ville-centre est près de vingt fois supérieur à celui de la municipalité qui dépense le moins, Berazategui (32 pesos par habitant, soit 6,4 euros). Il est aussi environ seize fois supérieur à celui de La Matanza (43 pesos par habitant, soit 8,6 euros). Rapporté à la population, celle des villas comprises, le budget par habitant dans la ville de Buenos Aires avoisine donc 470 pesos par habitant (94 euros). Il est plus faible que celui attribué aux habitants du reste de la ville-centre (648 pesos, soit 130 euros), mais deux fois plus élevé que celui de la municipalité de Vicente López, qui verse les sommes les plus élevées par habitant dans le conurbano. Vicente López, San Isidro, General San Martín, Tres de Febrero consacrent entre 120 et 183 pesos par habitant à la collecte. Ce groupe est rejoint par Morón et Hurlingham à l’ouest et San Fernando et Tigre au nord-ouest. Dans la seconde ceinture, les municipalités consacrent entre 60 et 100 pesos par habitant et par an (12-20 euros), une donnée qui avoisine le montant moyen consacré par la municipalité de Lima à ce service dans sa ville-centre (26 euros, selon Durand, 2010 : 170).

Ce seuil s’abaisse à 30 à 60 pesos (6 et 12 euros) par habitant dans la troisième ceinture du conurbano, la plus pauvre et la moins bien connectée. Berazategui et José C. Paz, avec les budgets

(10 millions par an), et les budgets par habitant (32 et 38 pesos), les plus faibles, en sont les plus représentatifs56. Cependant, ce seuil s’élève à nouveau lorsque l’on franchit la quatrième ceinture.

Ainsi, Pilar, avec 20 millions de pesos annuels en 2009 dispose d’un budget équivalent à celui de Florencio Varela ou Merlo, mais consacre 70 pesos par habitant et par an à la collecte contre 49 et 35 pour ces deux dernières. Ce portrait est extrêmement hétérogène. Dans la vindicte que lance Martín Hourest contre le gouvernement de la ville-centre, les chiffres de Rosario et Santa Fe arrivent à point nommé pour saper l’idée selon laquelle la propreté croît avec les dépenses. Enfin, la moyenne dépensée par habitant dans la ville de Buenos Aires, comparée à celle de Rosario (174 collecte des déchets y joue un rôle central, en tant que service garant de la propreté et de la sécurité sanitaire de l’espace urbain. Pourtant, d’une part, les montants investis pour une performance technique médiocre sont toujours plus largement mis en cause. D’autre part, symétriquement à la privatisation des services, les habitants réagissent toujours plus largement en consommateurs, et manifestent leur insatisfaction par les différents canaux mis à leur disposition par les entités politico-administratives. Jusqu’au début des années 1990, le principe selon lequel la plus grande propreté de l’espace dépend des sommes investies par le gouvernement n’est pas mis en question.

De fait, en 1987, la privatisation d’une partie de la ville et sa délégation au groupe Roggio est entreprise par le gouvernement radical. Elle a pour objectif d’apaiser les tensions que suscite la qualité différenciée du service entre la zone privatisée et celle en régie, auprès d’un électorat potentiel de classe moyenne, dans un climat politique instable. A partir de la fin des années 1990, cette correspondance est toujours plus largement ébranlée.

De très nombreuses plaintes émises par les habitants s’élèvent régulièrement contre le service, relayées par des organismes toujours plus nombreux. Comme l’indique Pedro Pírez (1999), des associations de consommateurs apparaissent en grand nombre au cours de cette décennie, produits de la privatisation croissante des services. Dans la ville de Buenos Aires, les mairies décentralisées (CGP - Centros de Gestión y de Participación) organisent des réunions. Ils procèdent de la même

manière que les conseils de quartier et les Sociétés de Développement (Sociedades de Fomento), qui débattaient des problèmes de la salubrité urbaine dès les années 1940. Après la crise de 2001, d’autres organismes, comme la Defensoría del Pueblo de la Ciudad de Buenos Aires (médiateur), se posent en interlocuteurs entre le gouvernement et les habitants pour demander l’amélioration de l’hygiène urbaine. Cette médiation fait émerger les revendications des plus pauvres, situés dans la zone sud de la ville, la « zone la plus critique » selon le médiateur de la ville en 2004, dans un espace qui s’étend au-delà de la seule zone en régie. Plus qu’à un manque d’intérêt du gouvernement, il attribue la moindre qualité du service aux échecs du contrôle et au non-respect, par les habitants, des normes de comportement dans l’espace public.

c- Une citoyenneté réactive

Dans ce contexte, les dispositifs participatifs sont relativement embryonnaires. On peut relever trois modalités. Tout d’abord, la mise en place de budgets participatifs suit la dynamique impulsée lors de la réunion des maires de Curitiba, puis au sommet de la terre de Rio en 1992 et enfin par l’exemple brésilien de Porto Alegre. Bien qu’aucune municipalité de la métropole, ville de Buenos Aires comprise, n’ait instauré d’agenda 21, certaines d’entre elles ont repris à leur compte des éléments de ce programme de durabilité urbaine. Dans la ville de Buenos Aires, l’instauration du budget participatif est allée de pair avec le regroupement des quartiers dans des unités de gestion décentralisées. Néanmoins, que ce soit sur les différents sites internet institutionnels ou dans les entretiens, il n’existe pas de trace de cette expérience au-delà de 200557. Dans la municipalité de Morón, en revanche, cet outil est devenu l’un des pivots de la bonne gouvernance locale. Les habitants sont appelés à se prononcer sur l’usage d’une fraction minime du budget municipal. Les expériences des dernières années ont montré que les projets de collecte différenciée des récupérateurs de déchets ont été largement soutenus par les citoyens. Néanmoins, que ce soit à Morón ou à La Matanza, les habitants en tant que citoyens sont surtout mobilisés pour surveiller les dérives de la collecte. Cette modalité de contrôle réactif – où le citoyen dénonce, la municipalité vérifie et l’entreprise encourt des pénalités – sonne comme un aveu d’échec de l’action étatique face aux concessionnaires. Comme l’indiquait Vicente Ugalde (2013b) dans le cadre de la gestion des déchets à Mexico, elle signale l’incapacité à mettre en place des stratégies préventives. Elle repose sur l’idée qu’un « bon » habitant (vecino), détectera les dysfonctionnements de la collecte au niveau de son quartier, ou tout au moins de son îlot (manzana). Certaines municipalités ont systématisé la participation citoyenne en ouvrant des lignes téléphoniques d’assistance. A Morón,

57 http://www.buenosaires.gob.ar/areas/hacienda/pp/areas.php?menu_id=6285, consulté le 13 juin 2013.

le système OIR relaie directement les plaintes formulées par habitants auprès des unités de gestion décentralisée des quartiers. A La Matanza, le secrétariat de l’environnement et du développement durable cherchait à construire un système d’information géographique participatif. Les habitants n’auraient plus qu’à y inscrire les caractéristiques des amas de déchets détectés (contenu, superficie, volume, localisation) pour que la municipalité envoie une équipe d’intervention spéciale, à l’équipement adéquat.

La prise en compte des habitants n’est pas égale dans l’ensemble des territoires municipaux. A Moreno, la municipalité a réussi à innerver les quartiers informels de réseaux de discussion, de vigilance et d’échange pour pallier les risques occasionnés par les déchets, donnant lieu à des expériences de participation observées et relayées dans le monde entier (Hardoy et al., 2011).

Cependant, dans la ville de Buenos Aires, des visites régulières à la Villa 31 Retiro ont mis en évidence qu’un amas de déchets était resté plus de trois semaines dans un point de circulation névralgique de ce quartier informel. Il n’a pas été pris en charge par l’entreprise Cliba ni par le gouvernement urbain durant ce laps de temps, et ce, malgré l’intervention des délégués d’îlots auprès de la municipalité (Carnets de terrain, 2009-2011).

3- L’environnement, un problème qui appartient à tous

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