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Introduction de la première partie

Chapitre 1 Le fonctionnement du service dans la

métropole divisée

L’« invention » des déchets comme catégorie de l’action publique urbaine (Barles, 2005), à la fin du XVIIIe siècle, dans les villes européennes, et sous la houlette hygiéniste, a entraîné l’organisation de leur collecte et de leur confinement au nom de la sécurité sanitaire. Il s’agit d’un service urbain de base, au même titre que l’eau, l’électricité, l’assainissement et le transport.

Comme ces derniers, il a été marqué du sceau de l’universalisme, au sens où son accès conditionne l’incorporation des individus qui en bénéficient à l’ensemble urbain. Le service de gestion des déchets progresse donc au même rythme que le front de l’urbanisation. Sa mise en œuvre, et tout particulièrement celle de la collecte, nécessite peu de moyens : quelques camions, et un site de traitement des déchets situé à distance raisonnable des espaces habités. A Buenos Aires, la systématisation de la collecte et de l’enfouissement technique, à partir de 1977, suggère que les efforts entrepris pour perfectionner le service ont eu vocation à étendre très largement « l’idéal infrastructurel moderne » (Marvin, Graham, 2001 : 91). Par leur connexion à des réseaux de collecte et à des infrastructures de confinement des déchets, les habitants adhéreraient aussi à des normes et des pratiques urbaines. Pourtant, même si près de 100% des habitants de la métropole ont accès à la collecte, et 90% à l’enfouissement contrôlé des déchets, peut-on dire que le service est égal en tous points de la métropole ? Selon Olivier Coutard et Géraldine Pflieger (2002 : 141), l’universalisation des services urbains a été menée au nom d’une « conception non marchande des services en réseaux ; le raccordement aux réseaux, davantage que le seul accès aux services, était conçu comme un symbole de l’égalité républicaine, comme un élément du lien social et comme un instrument de modernisation de la société ». Cette affirmation peut guider la présentation du service urbain de gestion des déchets à Buenos Aires, mais il est nécessaire d’indiquer qu’il existe des modalités de mise en réseau extrêmement diversifiées qui relativisent l’uniformisation du service.

Dans ces conditions, l’accès à la gestion des déchets semble relever d’« une conception de l’ordre

social qui ne serait ni un effet de composition des relations individuelles, ni le résultat de processus structurels de domination mais plutôt le produit d’un ensemble d’arrangements institutionnels » (Commaille, 1998 : 12). Ces arrangements sont visibles à différentes échelles. Aussi la réflexion empruntera-t-elle un cheminement linéaire inverse à celui que proposent de nombreux travaux institutionnels ou scientifiques sur la gestion des déchets. Elle partira de l’horizon technique de référence commun, dans la métropole, celui de l’enfouissement technique, puis explorera les différentes modalités d’accès à la collecte, tributaires du foncier et des conditions du bâti urbain. La dernière partie montrera que la différenciation socio-spatiale très fine de la production des déchets n’est pas prise en compte dans le financement du service. Désolidarisé de la consommation des usagers, ce dernier participe aux débats virulents et récents sur la redéfinition de l’impôt local dans la ville de Buenos Aires.

A- Un système métropolitain d’enfouissement des déchets

Confronté à la saturation de ses installations, le système métropolitain de traitement des déchets de Buenos Aires assure mal la mission de gestion centralisée des résidus dont il avait été investi en 1977. Comment ce système sociotechnique, élaboré sous un gouvernement de facto (1976-1983), fonctionne-t-il ? Pourquoi ses dysfonctionnements actuels aiguisent-ils de fortes inégalités socio-spatiales ?

1- Le système sociotechnique d’enfouissement

Dans un grand nombre de métropoles latino-américaines, la question de l’évacuation des déchets constitue un problème central pour le fonctionnement de la ville. Elle suppose de gérer, de manière coordonnée, des sites localisés en bordure de l’agglomération. A Buenos Aires, le dispositif d’enfouissement des déchets géré par la Coordination Ecologique de l’Aire Métropolitaine Société d’État (CEAMSE) a contribué à contenir ce morcellement. Néanmoins, il a été implanté par la force, et au défi de toute procédure démocratique, par un régime militaire répressif qui concevait l’espace métropolitain comme une page vierge sur laquelle inscrire de grands projets édilitaires. Ce système sociotechnique (« Large Technical System ») (Offner, 1996) délimite l’intérieur de la métropole, soumis à une redéfinition constante, tributaire de l’expansion de l’agglomération, et l’extérieur, celui des municipalités qui n’ont pas accès à ses installations.

a- Le périmètre de compétence de la CEAMSE

La CEAMSE naît en 1977, par le décret-loi 9 111/77, promulgué sous la dernière dictature militaire argentine (1976-1983). Elle apparaît dans la lignée d’autres expériences menées à Santiago du Chili (EMERES), São Paulo (LIMPURB) ou Rio de Janeiro (COMLURB). Au début des années 1970, les décideurs qui gèrent et gouvernent ces grandes villes ont convenu de construire des entités chargées de tout ou partie des activités relatives à la gestion des déchets. Dans la veine de l’école « réformatrice » de la gestion urbaine (Jouve, Lefevre, 1999 : 838-839), elles ont été dotées de compétences territoriales qui dépassaient la complexité croissante des agglomérations et les tensions politiques entre les territoires. Alors que, dans les autres villes, ces entités transjuridictionnelles ont connu des phases de disparition, ou de rétraction, la CEAMSE, elle, a perduré. Obligées d’envoyer leurs déchets dans ses installations et de financer ce service de 1977 à 2009, les municipalités et la ville de Buenos Aires continuent de le faire, faute d’alternative à ce système. Dans la métropole de Buenos Aires, le périmètre de compétence de la CEAMSE regroupe la ville-centre et son conurbano, localisé dans la province de Buenos Aires (Introduction générale).

Cependant, ce périmètre connaît des ajustements successifs. Il passe de 19 municipalités en 1977 à 34 en 2012, recouvrant au plus juste l’extension de l’agglomération, en tant qu’espace occupé par le bâti urbain. Il recouvre donc la Région Métropolitaine de Buenos Aires (RMBA) dans son extension la plus large, mordant même sur l’aire métropolitaine du Grand La Plata, située à plus de 40 kilomètres au sud-est. Cette dilatation a eu pour objectif d’incorporer les entités politico-administratives les plus lointaines du centre, mais situées dans l’orbite métropolitaine. A partir des années 1990, ces municipalités rurales, situées à 30 ou 40 kilomètres de la ville-centre, sont confrontées à de nouvelles logiques d’urbanisation, caractérisées par le morcellement. Elles voient émerger des quartiers informels vastes et densément peuplés ainsi que des countries, ou quartiers résidentiels fermés, en nombre toujours plus grand. Cet accroissement de la population entraîne une augmentation de la production de déchets dans ces municipalités. Ainsi, Pilar et Presidente Perón s’agrègent-elles d’abord aux dix-neuf municipalités initiales. Puis cinq nouvelles municipalités s’ajoutent à l’aire gérée par la CEAMSE à partir de 1998. Luján et General Rodríguez en 1998, puis Brandsen et Magdalena en 2002, et enfin Escobar en 2003 complètent l’ensemble (carte 1.1.).

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