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L’environnement, un problème qui appartient à tous les citoyens

Introduction de la première partie

Carte 1.14. La localisation des activités de gestion de déchets de l’entreprise Urbaser dans le monde en 2012

B- Les enjeux des « bonnes pratiques » locales

3- L’environnement, un problème qui appartient à tous les citoyens

Comme l’a montré le paragraphe précédent, il est difficile de séparer la participation citoyenne aux processus de décision sur la collecte des déchets, des débats sur l’environnement tenus dans les municipalités à partir de 2003. L’impulsion que les gouvernements ont donné à la participation des habitants ont été motivées par le souci d’améliorer leur environnement. Des dispositifs divers ont été mis en œuvre, chacun d’entre eux posant des problèmes de mise en œuvre. Peut-on dire que, d’une certaine manière, ces initiatives prolongent la municipalisation de la crise (Catenazzi, Reese, 1998) qu’avaient dénoncée certains chercheurs en sciences sociales lors des processus de décentralisation des années 1990 ?

a- « Etre créatifs pour produire des ressources »

A partir de 2008, et de l’élection de Cristina Fernández de Kirchner, un programme de durabilité municipale (Municipios Sustentables) est lancé tous azimuts dans la république argentine. Cette politique publique a injecté des ressources dans les budgets municipaux,

établissements industriels, de l’éradication des décharges, de l’hygiène urbaine s’accroissent. Mais elle a surtout placé entre les mains des entités locales la responsabilité du développement durable, et tout particulièrement de son volet environnemental. En matière de déchets, cette responsabilité a pris les traits de la gestion intégrée des déchets solides urbains (GIRSU – Gestión Integral de Residuos Sólidos Urbanos). Les actions menées sont extrêmement marginales et n’ont qu’un impact très limité sur le service de collecte des déchets, le cœur du programme ayant pour objectif l’assainissement des décharges et la technicisation du traitement des déchets. Pourtant, la logique de production des ressources financières, par l’intermédiaire de la valorisation des déchets, mérite d’être relevée. Comment passe-t-on d’une logique de distribution du haut vers le bas, de la nation et des provinces vers les municipalités, à un encouragement à leur production locale, placée sous le signe de la créativité ? Ce basculement est vraiment visible dans les municipalités du conurbano, qui entretiennent des liens très étroits avec la province de Buenos Aires mais aussi, et surtout, avec les institutions nationales implantées dans la ville de Buenos Aires. D’ordre métrique, dans la mesure où s’y rendre est plus rapide que de voyager jusqu’à La Plata, siège de l’Organisme Provincial pour le Développement durable (OPDS), et politique, elles reposent sur l’attention que porte la nation à son principal vivier électoral. Le vote populaire y donne la faveur au parti péroniste. Les représentants municipaux vont négocier directement dans les palais portègnes les intérêts de leur territoire et de leurs électeurs car, comme ils l’indiquent, « si [les institutions]

existent au niveau provincial, c’est qu’elles étaient déjà là au niveau national »58.

Lorsque Daniel Scioli est élu à la tête du gouvernorat de la province de Buenos Aires, en 2008, sur la base d’une campagne tournée vers l’environnement et le développement durable, les municipalités du conurbano récupèrent une compétence perdue en 1977. La loi 13 592 leur donne le droit de décider du devenir de leurs déchets, alors qu’auparavant elles devaient en assurer la collecte exhaustive, et surtout leur acheminement exclusif vers les sites d’enfouissement contrôlé de la CEAMSE. Si cette décision a pour but de favoriser la valorisation des déchets, plutôt que leur enfouissement indiscriminé, elle entraîne aussi une diversification de leurs flux et une intervention d’autres acteurs que ceux de la collecte conventionnelle.

La province de Buenos Aires troque alors le costume de l’État décideur pour celui de l’État facilitateur des relations entre gouvernements locaux et acteurs privés (Jouve, Lefevre, 1999 : 15).

A partir de 2009, elle met à la disposition des entités locales la possibilité de compléter le triptyque de la bonne gouvernance. Elle leur propose une ample panoplie de programmes de valorisation des

58 Sous-secrétaire de l’environnement et du développement durable de La Matanza, entretien du 27 avril 2011.

déchets, très ciblés, centrés sur la récupération de flux capillaires de matériaux et de ressources.

Pour l’ex-directeur de l’Organisme pour le Développement Durable (OPDS), il s’agit de « donner de la visibilité à la transparence » (ex-responsable des déchets de l’OPDS, 6 mai 2011). La campagne BIOdiesel en est un bon exemple. Elle a pour objectif d’encourager à la collecte de l’huile végétale usagée (AVU – Aceite Vegetal Usado), en mettant en relation les municipalités et les entreprises de transformation ou de conditionnement. Les municipalités se chargent ensuite de choisir des organisations sociales (soupes populaires, garderies, pompiers) pour qu’elles centralisent la collecte. Elles reçoivent, en échange de ce service, un chèque de quelques dizaines à centaines de pesos, correspondant au produit de la vente de l’huile à des entreprises de fabrication de biodiesel. Cinq ans après le lancement du programme, le bilan est mitigé. Sur 134 municipalités, 70 ont adhéré au plan, dont trois dans le conurbano de Buenos Aires. Par ailleurs, 500 établissements de restauration se sont joints au programme. Cet exemple, parmi d’autres, converge vers les politiques publiques de récupération et de recyclage lancées par les municipalités elles-mêmes. Ainsi, dans un grand nombre de municipalités du conurbano, les pouvoirs locaux mettent en évidence leur proactivité en la matière, que ce soit auprès des citoyens ou des visiteurs.

Figure 1.8. Deux exemples de politiques publiques municipales de recyclage

Cependant, à partir de 2012, le retrait de la province de Buenos Aires s’intensifie. Sans qu’il soit possible d’en mesurer les effets, et moins encore dans le domaine des déchets, elle lance une injonction qui reprend à son compte les théories sur la créativité urbaine forgées à la fin des années 1990. Prise à la gorge par les difficultés financières, dans une Argentine que commencent à frapper

les effets de la crise mondiale, elle se dédit de certains transferts budgétaires, recommandant à ses municipalités d’« être créatives pour produire des ressources »(in Veneranda, 18 mars 2012).

b- L’éducation environnementale, Arlésienne des politiques publiques de gestion des déchets Or, cette créativité, qui suppose de favoriser les initiatives citoyennes, ne peut avoir lieu sans une éducation de la population au tri et à l’hygiène urbaine. Il s’agit d’un problème crucial. Selon les décideurs, et en vertu de recommandations énoncées par les agences de coopération internationales, l’effort doit être porté sur les jeunes générations, qu’il faut investir de la mission du savoir-trier. A partir de 2009, la province de Buenos Aires lance un projet d’éducation des enfants à la culture des « 3R » (réduire, réutiliser, recycler), le programme Generación 3R. Outre les objectifs

« réduire, réutiliser, recycler » il intègre aussi une approche par l’hygiène urbaine et la prévention des décharges à ciel ouvert. Son organisation est coordonnée au niveau provincial conjointement par l’Organisme Provincial pour le Développement Durable (OPDS) et par la Direction Générale des Écoles Publiques. Il intègre obligatoirement les programmes des quatre premières années d’école primaire (6-10 ans). Sa force repose sur un réseau de près de 17 000 écoles, contre 2 600 dans la ville-centre, marqué par la prédominance de l’éducation publique, 70% des élèves relevant de ce régime contre 35% dans la ville-centre. Deux modalités ont été retenues. Une petite équipe opérationnelle de cinq à huit membres, mandatée par l’OPDS, sillonne les écoles des 134 municipalités de la Province de Buenos Aires avec des camionnettes emplies de prospectus et de livrets éducatifs. Elle donne un premier cours devant les enfants et l’équipe enseignante, revient quinze jours plus tard pour l’achever, laisse un travail à effectuer aux professeurs, puis se présente au terme de deux semaines pour évaluer ses résultats. La seconde modalité est incitative. En effet, l’équipe opérationnelle, en raison de son effectif limité, peine à diffuser la bonne parole dans l’ensemble de la province, qui couvre une superficie équivalente à celle de la France. Dans ce cadre, un cours technique a été élaboré et est régulièrement donné aux professeurs volontaires dans les principales villes de la Province. Ces derniers ont l’obligation de se former régulièrement pour augmenter leur nombre de points et obtenir des mutations ou des promotions. Afin d’engager les enseignants à participer au cours, le nombre maximal de points lui a été attribué. L’ex-directeur des déchets à l’OPDS explique cette initiative59 :

Comme j’étais directeur provincial des déchets, j’ai inauguré le cours à Mar del Plata, à Miramar [villes balnéaires de la Province de Buenos Aires]. C’était une sorte de conférence politique, pas très technique. J’essayais de faire en sorte que ce ne soit pas trop politique. Mais ce qu’il fallait souligner, c’était la décision politique d’avoir

59 Ex-directeur des déchets à l’Organisme Provincial pour le Développement Durable (OPDS), entretien du 6 mai 2011.

donné le nombre maximal de points à ce cours dans le barème. Si ce cours n’avait pas autant de points, personne ne viendrait. Maintenant qu’il a le nombre maximal de points, ils [les professeurs] se tueraient pour venir.

C’est par contraste que l’on peut évaluer les difficultés auxquelles est confrontée la ville de Buenos Aires pour procéder à une telle éducation. Les tentatives ont été aussi éphémères qu’hétéroclites.

Une solution envisagée en 2005, lors de l’appel d’offres aux entreprises concessionnaires de la collecte des déchets, consiste à remettre cette compétence aux entreprises prestataires du service.

Celles-ci doivent organiser une sensibilisation des habitants à l’hygiène urbaine à un moment où d’une part, la ville tente d’implanter des conteneurs sur la voie publique et où, d’autre part, le gouvernement tente de rationaliser le travail des récupérateurs urbains. En 2008, le service des relations publiques de Cliba déployait ainsi sa panoplie de stickers et d’affichettes destinées aux enfants, ou à être apposées sur les réfrigérateurs domestiques, et disait qu’il menait des opérations de sensibilisation intensive dans le quartier de La Boca. Sans régularité dans le temps, ces campagnes entrepreneuriales se sont essoufflées, peu à peu. Des ONG environnementalistes militantes ont ensuite pris la relève, menant des projets d’éducation sur la voie publique, dans de petits quartiers. Monte Castro a reçu durant quelques mois les membres de Greenpeace, auprès desquels l’agence environnementale de la ville de Buenos Aires mandatait des stagiaires peu ou mal payés. Dans les écoles, la sensibilisation dépend de la volonté du professeur.

c- Le verdissement des services urbains

Les entreprises de collecte de déchets, pour leur part, ont bien intériorisé l’impératif de la gestion environnementale. Néanmoins, leur paradigme principal, celui de l’hygiène urbaine et de l’ingénierie sanitaire, ne laisse qu’une place limitée aux habitants en tant que citoyens, et aux acteurs non conventionnels de la collecte des déchets. Ainsi, la plupart des grandes entreprises de collecte ont « verdi » leur discours et leurs procédés techniques. Il est notoire que la plupart de ces groupes présentent celles de leurs activités liées aux déchets comme des services environnementaux. Ces derniers comprennent la collecte de déchets ménagers, spéciaux et hospitaliers ainsi que les activités d’enfouissement. Comme Urbaser, les entreprises déclarent faire un usage rationnel et modéré de l’énergie, promouvoir une attitude respectueuse de l’environnement parmi leurs employés. Cliba indique que ses camions roulent aux biocombustibles, dont l’Argentine est l’un des principaux producteurs mondiaux depuis le début des années 2000.

Néanmoins la plupart de ces améliorations, ponctuelles et à la marge, restent dans le domaine technique. Il est intéressant de constater que, symétriquement, la CGT a pris acte de ces

Néanmoins, celle-ci a vocation à ne prendre en compte que les opérateurs des sites d’enfouissement technique, qui reçoivent un salaire de la part d’une entreprise privée, et non les travailleurs du secteur informel. De manière symétrique, la CGT a ouvert une branche consacrée aux travailleurs environnementaux, CGTierra (Compromiso General para la Tierra) [engagement général pour la Terre]60.Néanmoins, en se limitant aux travailleurs du secteur formel, la CGT compromet ce que Gabrielle Clotuche et Christophe Degryse (2012 : 586) identifiaient comme l’un des principaux défis de la mondialisation pour les organisations de représentation du travail.

Les chapitres 4 et 5 approfondiront l’analyse du rôle des récupérateurs dans la gestion des déchets. Néanmoins, on peut déjà indiquer que ces derniers sont au nombre d’une dizaine de milliers à Buenos Aires, frôlent le million au Brésil, et constituent une masse de travailleurs informels très conséquente et parfois bien organisée. Au Brésil le Mouvement National des Catadores de Matériaux Recyclables (MNCR - Movimento Nacional do Catadores de Materiais Recicláveis) dispose d’une organisation centralisée et hiérarchisée qui couvre la plupart des régions urbaines brésiliennes (chapitre 6).

Conclusion

Ce chapitre a permis de comprendre en profondeur les enjeux qui pesaient sur l’organisation d’un service, celui de la collecte, indissociable de l’échelon local de gouvernement. Celui-ci est cependant tributaire de logiques qui dépassent le périmètre municipal, dans la mesure où les prestataires de service (entreprises transnationales), les organismes de représentation des opérateurs (CGT) et les décideurs locaux doivent adapter leurs pratiques à des recommandations énoncées au niveau international. Toutefois, la récurrence des questions abordées a montré que l’organisation de cette prestation doit être abordée sur le moyen terme. Les changements récents, intervenus à partir de 2008, ont été fortement médiatisés, mais ne constituent que des corrections à la marge, pour le moment ponctuelles et mineures, des problèmes posés par la proximité entre les acteurs et les difficultés de leur contrôle. Les processus de renforcement des compétences locales laisse désormais une certaine marge de manœuvre aux municipalités pour gérer leurs déchets comme bon leur semble et mettre en place des dispositifs de participation citoyenne et de réduction des dépenses liées au financement de la collecte. Néanmoins, les négociations avec les acteurs économiques, tout comme l’enjeu de la sensibilisation à des pratiques citoyennes, écartèlent les

60 http://ceamse.gov.ar/primer-encuentro-nacional-de-los-trabajadores-por-el-medio-ambiente/, consulté le 12 mars 2013.

initiatives entre l’enjeu de la propreté et l’enjeu de l’efficience économique, toujours plus crucial depuis les débuts de la décentralisation.

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