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Introduction de la première partie

Carte 1.5. Les villas dans la région métropolitaine de Buenos Aires c- Les quartiers fermés : privatisation de l’espace public, privatisation du service

2- Les dispositifs de régulation locale

Comme l’indique Denis Merklen, l’État agit souvent « par défaut » face aux dysfonctionnements des services urbains, faisant reposer une partie de son action sur des communautés solidement structurées, localisées dans les quartiers informels. Néanmoins, leur existence ne liquide par pour autant la mise en place de dispositifs de régulation. Selon ce dernier, dans un contexte de délégation de la collecte à des acteurs privés, « une solution autonome et exclusivement communautaire est impossible » (2001 : 25).

a- Les conteneurs : une solution périphérique

A Quilmes, en 2009, le secrétaire des services urbains soulignait les logiques à contretemps que doivent gérer au quotidien la plupart des entités politico-administratives13:

A Quilmes, on ne paye pas [le service privatisé] à la tonne, mais en fonction de la zone. Et la zone, géographiquement, c’est la même. Quilmes est toujours Quilmes, ça ne bouge pas. (…). Mais qu’est-ce qui se passe ? Ce qui bouge, là dedans, c’est la population. Et ce qui bouge le plus, ce sont les quartiers marginaux. Alors, un nouvel asentamiento, une nouvelle population, il faut [que l’entreprise] fournisse le service parce que sa zone recouvre ce quartier. Mais l’entreprise, qu’est-ce qu’elle te dit ? Que ce n’est pas dans le contrat !

Les difficultés de planification urbaine, qu’évoque cet acteur, rendent compte d’un dialogue difficile avec les prestataires de service. Cette problématique est particulièrement aiguë dans les municipalités qui disposent encore de vastes espaces ruraux et qui voient se construire des quartiers informels avec régularité. A Moreno, l’Institut de Développement Urbain, Environnemental et Régional (IDUAR - Instituto de Desarrollo Urbano, Ambiental y Regional) est un organisme décentralisé chargé de régler « les problèmes socio-économiques, politiques et urbains »14 rencontrés par cette municipalité de près d’un demi-million d’habitants depuis 2000. Responsable de la régularisation des quartiers informels, de la gestion urbaine et de l’aménagement du territoire, il est aussi confronté au problème de la gestion des déchets, comme l’indique l’une de ses responsables15 :

Il y a tant de terrains vacants… notre espace rural est très conflictuel, d’un point de vue social et environnemental… Tu vois, il y a un terrain vide, et là, 200 familles arrivent. Elles usurpent, elles occupent, elles prennent cette terre. Il faut ouvrir des rues, mettre l’eau potable, évacuer les déchets d’assainissement, évacuer les déchets qu’elles produisent (…). Il faut s’imaginer que c’est déjà difficile quand les quartiers

13 Secrétaire des services urbains de Quilmes, entretien du 20 février 2009.

14 http://www.moreno.gob.ar/IDUAR/default.aspx, consulté le 15 août 2013.

15 Coordinatrice des coopératives à l’IDUAR de Moreno, entretien du 20 mai 2011.

sont planifiés. Nous prévoyons un quartier de 500 familles. Même si nous savons qu’ils vont arriver le jour où nous remettons les clés des maisons, les gens sortent faire les courses. Et les boutiques sont vides, et ils produisent des déchets. Cela touche tous les services de la municipalité.

Afin de pallier les déficiences de la collecte, les accords de régulation entre municipalités, organisations communautaires et entreprises de collecte consistent à disposer des conteneurs en périphérie des quartiers. Cependant, cette solution n’est satisfaisante pour aucun des acteurs engagés. Pour les municipalités, les conteneurs ne parviennent pas à assurer le respect des normes minimales d’hygiène urbaine. A Quilmes, le secrétaire des services urbains indique ainsi que seuls dix conteneurs d’un mètre cube chacun sont mis à la disposition des 30 000 habitants de la Villa Eucalipto. A la Villa 31, en plein cœur de la ville de Buenos Aires, il est fréquent que passent plusieurs semaines sans que les bacs disposés en périphérie du quartier soient vidés, entraînant la formation de décharges autour de ces derniers (Carnets de terrain, 2008-2011). Pour les entreprises, ce sous-équipement est également problématique. D’une part, toutes ne disposent pas des camions adéquats pour prendre en charge les conteneurs, avec un système de levée hydraulique, et elles invoquent le comportement négligent des habitants pour expliquer la formation de mini-décharges.

Pour les habitants, l’insatisfaction est exprimée en termes de pratiques quotidiennes. Les organisations de quartier réclament régulièrement davantage d’équipements. Lors de l’une des séances de participation au processus d’urbanisation de la Villa 31, l’une des déléguées d’îlot réclamait que soit mis à la disposition des résidents un nombre plus important de conteneurs, et que ces derniers soient collectés plus régulièrement. En effet, les habitants doivent parcourir plusieurs centaines de mètres pour y déposer leurs déchets et, les enfants, affectés au transport des poubelles domestiques, sont parfois trop petits pour parvenir à les ouvrir ou à lancer leur sac dedans.

b- La pré-collecte

Ces dysfonctionnements du système des conteneurs ont entraîné la mise à l’épreuve d’autres formes de régulation, dans le but d’améliorer l’accès des quartiers informels à la collecte. Plusieurs expériences ont pu être relevées. A Morón, dans le quartier informel Carlos Gardel, en cours d’urbanisation, la collecte des déchets est effectuée tous les jours, à un horaire diurne. L’entreprise concessionnaire de la municipalité, Urbaser, prête l’un de ses camions à une équipe municipale, composée de résidents du quartier. Ceux-ci circulent dans les allées les plus larges et les moins inondées, et vident les conteneurs disposés à proximité des activités : primeurs, épiceries….16. La municipalité de General San Martín, quant à elle, a mis en place une autre modalité dans le quartier

de Villa La Cárcova, évoqué précédemment pour ses décharges. Celui-ci est peuplé de 80 000 habitants, et il s’agit de l’un des plus pauvres de toute l’agglomération de Buenos Aires. Les déchets étaient rassemblés dans des conteneurs jusqu’en 2008. Cependant, une décharge à ciel ouvert s’est formée autour des récipients, et la municipalité a changé de stratégie, optant pour l’organisation d’un service de pré-collecte (figure 1.3.).

Figure 1.3. Pré-collecte des déchets ménagers à Villa La Cárcova (Gral. San Martín) (2008) Une revue des travaux sur la gestion des déchets dans les villes en développement indique que deux modèles dominent. A Maputo, Jérémie Cavé explique que de Petits Opérateurs Privés (POPs) assurent ce service comme de micro-concessionnaires. Francisco Suárez a pu relever une pratique similaire dans le conurbano de Buenos Aires. Les carreros17 se chargent d’enlever les détritus spécifiques, moyennant quelques pesos. Cette pratique est aussi répandue dans les quartiers

17 Les carreros sont de petits opérateurs munis d’une charrette à cheval ou tractée par une mule. Ils sont contractualisés par des particuliers qui souhaitent se défaire de certains déchets trop volumineux pour être collectés par le service conventionnel : déchets verts, décombres.

informels peu ou pas asphaltés. En effet, à la suite d’intempéries, les inondations qui se forment empêchent le camion de passer. Les habitants n’ont d’autre recours que de remettre leurs ordures à un petit opérateur privé. Comme l’a aussi repéré Elisabeth Dorier-Apprill à Ouagadougou, les déchets ainsi collectés achèvent leur course dans les décharges à ciel ouvert (1998). A La Cárcova, (General San Martín), les services municipaux ont employé des habitants du quartier, leur ont fourni des uniformes, et une charrette à mule (figure 1.3.). Sous la supervision d’un interlocuteur entre la municipalité et le quartier (puntero), ils arpentent les ruelles pour collecter les déchets que leur remettent les habitants et déversent le contenu de leur véhicule dans une benne de grande capacité située au-delà du terrain de football. Pour Martín Medina (1997), spécialiste de la gestion des déchets dans les villes mexicaines, cette collecte informelle peut remplacer l’organisation du service par la municipalité. Source d’emploi, de richesse, et d’hygiène sanitaire, elle participe au développement local. Cependant, on peut se demander si cette modalité d’équipement n’interdit pas aussi les efforts d’amélioration de l’urbanisation du quartier à moyen terme. En reposant sur les structures sociopolitiques des quartiers informels, la pré-collecte légitime le mode défensif sur lequel s’édifient ces arrangements, et favorise l’amorce de systèmes clientélistes.

c- Ecopuntos et équipements collectifs

L’imbrication des enjeux de la collecte et de ceux de l’hygiène urbaine a entraîné le recours à une troisième modalité d’organisation d’ordre préventif. Tout d’abord, dans le cadre d’une amélioration du cadre de vie au niveau local, les municipalités transforment les espaces vacants en équipements collectifs – stade de football, parc de jeux pour enfants, place – pour éviter qu’ils ne deviennent des décharges à ciel ouvert. A La Cárcova, un terrain de football a été aménagé sur l’emplacement de l’ancienne décharge. Les municipalités de La Matanza, d’Almirante Brown et de Moreno ont également procédé à de tels aménagements. Ceux-ci sont valorisés dans les rapports que rédigent les observateurs de la participation, tel l’Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED – International Institute for Environment and Development). Ainsi, suite à une mission à Moreno, l’équipe latino-américaine de cet institut a montré comment la gestion des déchets était abordée en concertation avec la population des quartiers, au cours de séances de cartographie participative (Hardoy et al., 2011 : 58). La plupart de ces aménagements s’accompagnent de la mobilisation du registre religieux. A Vicente López, les services de l’hygiène

urbaine et de l’environnement indiquaient qu’ils avaient installé des autels « double-face » à la Vierge, pour éviter les amoncellements intempestifs de déchets au coin des rues18.

Figure 1.4. Les ecopuntos à Almirante Brown (2010)

Certaines municipalités ont accompagné les stratégies d’éradication des décharges à ciel ouvert de dispositifs de prévention de leur formation. Ceux-ci sont destinés aux prestataires de service informels et aux habitants. Ainsi, en 2009, la municipalité d’Almirante Brown a activé l’ouverture de cinq ecopuntos sur son territoire. En 2008, son agence des politiques environnementales a vérifié, par le nettoyage des décharges à ciel ouvert et la mesure des quantités prélevées, que près de 24% des déchets municipaux étaient collectés par des circuits alternatifs au service

18 Directrice de l’hygiène urbaine et de l’environnement, entretien du 6 novembre 2008.

conventionnel. En s’inspirant d’une expérience observée au Brésil, elle-même élaborée sur le modèle des déchetteries européennes19, l’agence a disposé plusieurs conteneurs dans les sites de décharges, et a sensibilisé les petits opérateurs afin qu’ils déposent leur chargement dans ces bennes. Les riverains, généralement des habitants de quartiers informels, sont également informés, afin de limiter le recours aux carreros lors des inondations. En 2010, les ecopuntos recevaient près de 700 tonnes de déchets par mois, soit l’équivalent de 6% des déchets produits par la municipalité.

Toutefois, ce dispositif est très coûteux. Le directeur de l’Agence de Politiques Publiques d’Almirante Brown indiquait que le retrait régulier des bennes coûtait près de 110 000 pesos par mois à la municipalité (22 000 euros, environ 1% du budget municipal annuel).

Ces trois modalités de régulation de la collecte des déchets ont montré que l’inégalité de l’accès au service est partiellement corrigée par les stratégies de prévention qui tendent à intégrer les espaces les plus marginalisés dans des paramètres de gestion conventionnels. Il est assez significatif que les recensements de 1991 et de 2010 ne s’interrogent pas sur l’accès de la population à ce service alors même qu’en 2001 cette variable figurait dans les questions posées aux résidents du pays (INDEC, 1991 ; INDEC, 2001 ; INDEC, 2010). Les arrangements institutionnels développés dans les interstices micro-locaux indiquent que l’embellissement et l’amélioration de la salubrité restent avant tout du ressort municipal. A la différence de l’eau et de l’électricité, qui ont fait l’objet de nombreux transferts de compétence entre les différents niveaux de gouvernement (Botton, 2005 : 85), la collecte a toujours relevé de l’orbite municipale. Autant l’articulation de ce service avec l’aménagement de l’espace public que son caractère local invitent maintenant à interroger les conditions de son financement.

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