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L’évolution du découpage des zones de collecte dans la ville de Buenos Aires

Introduction de la première partie

Carte 1.12. L’évolution du découpage des zones de collecte dans la ville de Buenos Aires

Dans le conurbano, la situation est différente. Les municipalités disposent d’un service en régie ou d’un service privatisé. Comme le remarque María Inés Bombal (1988), les municipalités ont été encouragées à privatiser leur service à partir des débuts du régime militaire, cette tendance s’accentuant au cours des années 1990. Néanmoins, la plupart d’entre elles conservent une zone témoin, de quelques cuadras nettoyées par une petite équipe municipale. Celle-ci n’est pas toujours corrélée avec le faible niveau socio-économique des habitants. Certaines municipalités, parmi les plus modestes, ont toutefois choisi de préserver leur gestion en régie par souci d’économie. Ainsi, à Berazategui ou à Malvinas Argentinas, la collecte est assurée par la municipalité dans l’intégralité du territoire.

c- Favoriser l’efficience économique : contre le service en régie

Quels sont les arguments invoqués par les décideurs publics pour laisser toujours plus de champ à la privatisation du service ? Dans les années 1990, la délégation des services publics à des acteurs privés est « analysée comme un échec de la gestion publique (state failure) » (Jaglin, 2004 : 6). Les débats qui se tiennent dans la municipalité de Buenos Aires en 1990 rejoignent ce constat. Un débat s’élève sur la qualité de la prestation de service de l’entreprise privée Manliba au conseil municipal de la ville de Buenos Aires. Certains conseillers municipaux penchent en faveur du retour à une prestation de service municipale généralisée. Ceux qui sont proches de l’intendant Carlos Grosso, fidèle au président Carlos Saúl Menem (1989-1999), d’affiliation péroniste mais ultra libéral, assurent que cette option ne serait pas viable. Ils sont revenus forts de leur expérience professionnelle ou de leur formation en Europe et aux États-Unis munis des recettes néolibérales appliquées à la gestion urbaine à Londres ou New York. Ils constatent que d’une part, le coût du service fourni par la municipalité est de 40 à 50% plus élevé que celui des entreprises prestataires de service Manliba et Cliba. D’autre part, les entreprises privées emploient moins de personnes pour un service plus performant en termes de propreté urbaine. Les enquêtes menées par le journaliste Ceferino Reato, en 1996, corroborent ces observations. Dans les années 1990, l’entreprise Manliba dispose de 1 400 employés pour collecter 68% des déchets de la ville sur un territoire 3,7 fois plus étendu que la zone municipale, alors que cette dernière rassemble 1 200 employés pour 11% des déchets (Reato, 1996 : 132). Par ailleurs, en 1996, un employé de la Municipalité de Buenos Aires signalait qu’au cours d’un recensement seulement 330 employés sur les 1 200 existants avaient pu être identifiés avec une tâche de balayage ou de collecte, mais que le syndicat de ces travailleurs lui-même n’avait pas été en mesure de signaler l’activité à laquelle se consacraient les autres (Reato, 1996 : 132). Cet argument est repris en 2008, lorsque le

gouvernement de Mauricio Macri tente de dégraisser les rangs des employés municipaux. Il pourfend les ñoquis44 à coup de licenciements massifs, tentant de casser le syndicat des travailleurs municipaux. Enfin, à la fin des années 2000, des dysfonctionnements portant sur le matériel sont repérés. La zone sud, desservie par la municipalité, ne dispose que de 20 camions en mauvais état, datant de l’année 1996 pour près de 200 000 habitants (AGCBA, 2008 : 5), contre 157 pour Cliba en 1990, pour plus d’un million d’habitants au centre de la ville (Concejo Deliberante de la Municipalidad de Buenos Aires, 1990 : 337).

Cette modalité de gestion de la ville vaut-elle pour l’ensemble de la métropole ? Bien que cette question émerge de manière beaucoup plus sporadique dans le conurbano, et soit bien plus difficile à identifier, on peut dire que des profils dissidents ont émergé. L’adhésion aux principes de la gestion urbaine libérale joue comme un facteur de différenciation entre les municipalités métropolitaines qui les appliquent et celles qui les refusent. Cette situation conduit à ce que ces préceptes soient régulièrement mis en cause. Ainsi, en 2012, lorsque la municipalité de Quilmes affronte un conflit syndical, l’intendant de Berazategui, mesure les bénéfices de la municipalisation à la lumière des investissements dans l’embellissement urbain : « grâce aux économies, tous les ans nous pouvons construire quatre à cinq espaces verts, et asphalter cinquante à soixante cuadras [500 à 600 mètres] » (InfoNews, 31 juillet 2012).

En conséquence, la diminution du service assuré en régie au nom de l’efficience économique n’a pas connu une trajectoire linéaire, même si la prestation du service par des entreprises privées domine désormais dans la métropole. La seconde partie reviendra sur les débats que nourrissent les dérives potentielles de l’équation dépenses/privatisation/efficience, notamment depuis 2012, dans la ville de Buenos Aires. Toutefois, auparavant, il convient de montrer que l’homogénéité apparente de la privatisation du service dissimule les logiques de localisation contrastées qu’adoptent les différents types d’entreprises en charge de la collecte.

2- Un espace entrepreneurial hétérogène

A Buenos Aires, il est difficile d’affirmer que « le secteur [des déchets] reste largement organisé par des firmes privées locales, par des régies municipales et dans de nombreux pays émergents, on se situe dans l’économie informelle » (Lorrain, 2002a : 14). A la marge de géants

44 En Argentine, le 29ème jour du mois, il est courant de manger des gnocchi, un plat d’origine italienne, et peu onéreux,

transnationaux des services urbains comme Veolia ou Suez, la métropole n’en offre pas moins un paysage diversifié, dans lequel cohabitent acteurs privés locaux et ceux d’envergure internationale.

Leur capacité à apposer sur les territoires un label qualitatif détermine aussi leur localisation, les municipalités disposant de marges de manœuvre différenciées pour procéder à cette sélection. La convergence des deux logiques permet d’effectuer une typologie des entreprises et de comprendre

« le regard » de ces acteurs sur le territoire (carte 1.13. et tableau 1.5.).

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