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L’accès au service d’enfouissement, face à un système fiscal inéquitable

Introduction de la première partie

Chapitre 2 La métropolisation des déchets dans le

A- Les fragilités du système CEAMSE : du centre vers le conurbano vers le conurbano

1- L’accès au service d’enfouissement, face à un système fiscal inéquitable

Selon Sébastien Velut les mécanismes de répartition interprovinciale des ressources

« pénalisent les provinces les plus peuplées, en premier lieu la Province de Buenos Aires, alors que des petites provinces perçoivent des sommes considérables » (2002 : 203). La faillite des municipalités du conurbano de Buenos Aires au cours de la crise de 2001 est l’une des conséquences du régime de rigueur fiscale, inégalement appliqué dans le territoire argentin au cours de la décennie libérale (1989-1999). Néanmoins, elle met aussi la CEAMSE au bord de la faillite, et, avec elle, la possibilité d’assurer la continuité du service d’enfouissement. Des mécanismes de consolidation fiscale et environnementale sont engagés par la province à partir de 2004 au nom de la préservation des ressources naturelles.

a- La redistribution des ressources dans le conurbano de Buenos Aires

Dans la redistribution des ressources fédérales, la province de Buenos Aires dispose d’une position ambivalente. Elle est l’une des cinq provinces qui concentrent 70% de la population et du PIB argentin mais reçoivent les transferts les plus faibles par habitant (Prévôt-Schapira, 2003 : 27).

Ces transferts s’appuient sur le mécanisme de la coparticipation, créé en 1934. Les provinces participent, à hauteur variable aux ressources fédérales, puis ces ressources sont redistribuées selon le calcul d’un coefficient dépendant de la population, de la capacité de recouvrement des impôts, et de la superficie. En 2012, la province de Buenos Aires a contribué à hauteur de 37% au total des fonds perçus au niveau national, occupant la première place. Cependant, elle n’a reçu que 1 471 pesos par habitant, soit près de trois fois moins de la moyenne, située à 4 465 pesos par habitant.

Elle se situe donc à l’avant-dernière place, avant la ville de Buenos Aires (InfoBae, 04 juillet 2012).

Bien qu’elle soit particulièrement exacerbée dans cette province, cette situation concerne l’ensemble du vieux cœur historique argentin (Córdoba, Santa Fe, Rosario, ville de Buenos Aires).

Toutefois, la province de Buenos Aires est l’entité dans laquelle cette disparité est la plus problématique. Bien que le conurbano de la métropole produise 50% des richesses provinciales, en 2004, sa deuxième couronne, qui a connu la plus forte croissance au cours des années 1990, concentrait le plus grand nombre de pauvres du pays. La proportion de ces derniers dans la

population oscillait alors entre 40 et 60%. En 2011, ce taux pour l’ensemble du conurbano était de 34 à 40%, selon une enquête effectuée par l’Université Catholique Argentine (UCA – Universidad Católica Argentina)25. Au lendemain des émeutes de la faim de 1989, et après le recensement de 1991, la province invoque le caractère « doublement national »26 des dynamiques socio-économiques et migratoires dans cet espace pour demander réparation au niveau central du gouvernement. Elle obtient la création du Fonds de Réparation Historique du conurbano (Fondo de Reparación Histórica del Conurbano) (Danani, Chiara, Filc, 1997 : 16). Cependant, celui-ci reste sous-représenté dans la redistribution interne à la Province de Buenos Aires, ses municipalités recevant 46% des ressources provinciales depuis 2000 alors qu’elles concentrent 62,81% de la population provinciale (López Accotto et al., 2010) et 50% des pauvres de la province. La coparticipation est le transfert le plus important effectué par le niveau provincial vers les muncipalités : il s’élève à 84% en 2008 (López Accotto et al., 2010). Mais sur le moyen terme, la part de ces ressources dans la structure des ressources municipales a connu une forte diminution.

En 1989, elle en constituait 40% (Porto, Urbiztondo, 1991) alors qu’en 2006, elle n’en représente plus que 15,5% en moyenne (Mundo, 2006), cette proportion étant même inférieure dans le conurbano (12,73%). Certaines municipalités sont plus tributaires que d’autres de ces ressources pour financer leurs services de gestion des déchets. C’est le cas de celles où se concentre la plus forte proportion d’habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté, et ne sont pas ou peu solvables.

Les délais de recouvrement de la coparticipation provinciale sont donc régulièrement invoqués par ces entités politico-administratives pour justifier la cessation de paiement auprès des entreprises de collecte (Ekos de Ituzaingó, 27 juillet 2012)27.

b- Le financement de la gestion des déchets, aux risques de l’inéquité territoriale

Ces inéquités territoriales se reportent sur le système de financement de la CEAMSE, qui perçoit un tarif fixe par tonne de déchets enfouie, indistinctement du niveau socio-économique de la population desservie. Le conurbano de Buenos Aires est celui qui participe le plus au financement du système. Il produit les plus grandes quantités de déchets, environ deux-tiers du total

25 http://www.uca.edu.ar/uca/index.php/comunicacion/gacetilla/es/universidad/comunicacion-institucional/gacetillas-de-prensa/2012/mayo/informe-pobreza, consulté le 10 octobre 2012.

26 La population des municipalités du conurbano composée à 47% d’habitants en provenance de l’Intérieur du pays et de 11% d’habitants en provenance des pays limitrophes s’accroissait alors en raison de la recrudescence des flux migratoires qui avaient suivi des inondations répétées au nord de l’Argentine. La seconde nationalisation est celle de l’inscription de la question dans le cadre de la confrontation provinces/capitale fédérale.

27 De mai à juillet 2012, la municipalité d’Ituzaingó affronte une grève des éboueurs de l’entreprise Urbanhica, en

métropolitain. Le service d’enfouissement pèse plus lourdement sur les municipalités du conurbano que sur la ville de Buenos Aires. Même si dans les dépenses municipales, il occupe un poids minime par rapport à la collecte, il consomme une plus grande proportion de ressources que dans la ville-centre et les municipalités les plus aisées. Or, la fragilité de cet échafaudage fiscal apparaît pleinement avec la crise de 2001. Selon Marie-France Prévôt-Schapira (2003), cet épisode signale avant tout une débâcle fédérale, où les mesures de rigueur économique n’ont fait qu’exacerber les disparités d’un système inéquitable depuis sa création. La réforme de l’État, qui débute en 1989, active un plan de rigueur économique et fiscale, articulé avec les recommandations énoncées par les bailleurs de fonds du pays, et notamment le Fonds Monétaire International (FMI). Les années suivantes sont marquées par une forte instabilité et l’application inégale de ces mesures dans le territoire argentin. Elles sont strictement mises en œuvre dans les régions urbaines, accroissant les effets de l’inéquité fiscale (Prévôt-Schapira, 2003). De 1989 à 2001, la CEAMSE présente un budget en équilibre, voire excédentaire. Les années 1988 et 1991 sont affectées par la cessation de paiement de la municipalité de Buenos Aires et de certaines municipalités du conurbano dans un climat d’hyperinflation. Dans les Mémoires et Bilans annuels des années 1989 à 2001, les défis économiques, affrontés par l’entité, sont égrenés en une litanie qui dénote la fragilité fiscale de la métropole, mais s’achève toujours par l’annonce d’un budget en excédent (CEAMSE-a, 1989 à 2001). Elle parvient à équilibrer ses comptes parce que la ville de Buenos Aires, qui produit alors environ 45% des déchets, est un contributeur plus régulier que les municipalités du conurbano, et que cela compense partiellement les cessations de paiement.

Graphique 1.2. Production de déchets de la ville de Buenos Aires et de la région métropolitaine (%) (1980-2011)

Cependant, à partir de cette date, la population des municipalités les plus pauvres du conurbano connaît un accroissement important, même si le niveau de vie n’augmente que modérément (voir chapitre 1). La part des déchets produits par la ville de Buenos Aires et celle produite par les municipalités de la région métropolitaine s’inversent graduellement. En 2002, la première ne contribue plus qu’à hauteur de 36% des déchets municipaux enfouis, alors que la seconde est responsable de 63% du total. A partir de 2001, la CEAMSE enregistre des cessations de paiement municipales toujours croissantes (CEAMSE, 2001). Leur impact est bien plus ample que celles intervenues au cours des années 1988 et 1991. Elle sont d’autant plus problématiques que l’ensemble de la métropole connaît une diminution de la production de déchets durant la crise, ce qui entraîne une chute parallèle de la contribution des entités politico-administratives solvables. Le budget de l’entité est déficitaire jusqu’en 2011. Tous les ans, ville et province doivent la financer pour qu’elle puisse poursuivre ses opérations.

c- Une compensation provinciale timide pour la protection de l’environnement

Cette situation a souligné que l’enfouissement des déchets, qui était un des problèmes de la ville de Buenos Aires lors de la dictature et de la construction du système de la CEAMSE, devient, en termes quantitatifs, un enjeu du conurbano. En 2010, après une forte augmentation liée au retour de la croissance économique, la ville ne représente plus que 27% de la production totale des déchets municipaux, contre 72% pour les municipalités conurbaines.

A partir de 2006, on constate une reformulation des modalités de financement de l’entité. Au lendemain de la crise, plusieurs programmes de consolidation municipale sont créés à l’initiative de la province, dans le but de corriger à la marge les inéquités territoriales de la redistribution des ressources. Ils s’articulent avec un mouvement de renforcement de l’échelon municipal depuis les années 1990, celui sur lequel reposent les plus lourdes responsabilités en matière de contention sociale (Cravacuore, Clemente, 2006 : s.p.). La loi 13 163 de la Province de Buenos Aires (30/12/2003) crée le Fonds de Renforcement des Programmes Sociaux (Fondo de Fortalecimiento de Programas Sociales), financé par les impôts sur l’immobilier rural et les casinos, soit des ressources perçues directement par la Province de Buenos Aires. En 2005, l’affectation de ce fonds est partiellement modifiée : il devient le Fonds de Renforcement des Programmes Sociaux et d’Assainissement Environnemental (Fondo de Fortalecimiento de Programas Sociales y de Saneamiento Ambiental). 80% de son montant est destiné à la gestion des programmes sociaux ; les 20% restants sont consacrés au traitement des déchets et à leur disposition finale, avec une clause

conurbano de Buenos Aires sont complètement pris en charge par la province, qui prélève le montant correspondant aux tonnes enfouies sur la coparticipation provinciale destinée aux municipalités.

Ce glissement du niveau municipal vers le niveau provincial est assez exceptionnel, dans la mesure où il va à l’encontre des mouvements de décentralisation des pouvoirs et des compétences vers le niveau local de gouvernement. Inversement, la CEAMSE reste une entité dans laquelle les municipalités n’ont pas voix au chapitre : elles ne participent pas aux conseils de gestion et ne peuvent peser dans les décisions sur les tarifs de l’enfouissement ou le devenir des déchets. En fait, la prise en charge du financement de l’enfouissement par le niveau supérieur de décision apparaît comme la dernière pierre à l’édifice de la provincialisation du problème des déchets. Comme pour les autres provinces les plus riches, celle de Buenos Aires bénéficie d’une autonomie plus importante en matière de prélèvement des impôts. Cette marge de manœuvre est même supérieure à celle des états fédérés mexicains et vénézuéliens (Diaz Cayeros, 2006 : 209). A l’inverse de ces derniers, elles captent près d’un tiers de leurs ressources propres par l’application de taxes aux activités, ce taux atteignant près de 50% dans la Province de Buenos Aires (López Accotto et al., 2010).

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