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CHAPITRE 2 SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL : QU’EN EST-IL DES CADRES ?

2.6 Facteurs susceptibles d’expliquer les problèmes de santé mentale chez les cadres

2.6.3 Facteurs individuels

2.6.3.3 Traits de personnalité

Il semblerait que les traits de personnalité influencent la perception que les individus ont des situations professionnelles vécues et les prédisposeraient à être plus vulnérables face au stress, ce qui favoriserait le développement, l’aggravation ou l’atténuation des problèmes de santé mentale (Code et Langan‐Fox, 2001; Hentrich, Zimber, Sosnowsky-Waschek, Kellner et Petermann, 2016; Marchand, 2004). De plus, ces traits auraient un impact sur la capacité d’ajustement face au stress ou ce que Lazarus et Folkman (1984) appellent « coping » (c’est-à-dire la capacité de l’individu à développer des stratégies d’adaptation lui permettant de faire face au stress). Bien qu’ils soient importants pour la compréhension des spécificités des réactions individuelles, il semblerait que les traits de personnalité ne soient pas nécessairement stables, étant donné qu’ils pourraient être influencés par le milieu de travail qui est susceptible de modifier ses composantes, rendant ainsi l’individu plus vulnérable ou résilient face au stress professionnel (Karasek et Theorell, 1990; Marchand, 2004). Nous mettrons l’accent sur les cinq facteurs de personnalité (Big Five), le centre de contrôle et l’estime de soi.

a. Cinq facteurs de personnalité (Big five)

Les cinq facteurs de la personnalité font référence à l’extraversion, du névrosisme, de l’agréabilité, de la conscience et de l’ouverture d’esprit (Carver et Connor-Smith, 2010; Madnawat et Mehta, 2012; McCrae et Costa, 2003). L’extraversion fait notamment, référence au fait d’être extraverti. Les traits associés à ce facteur sont le fait d’être sociable, bavard, actif et ambitieux (Barrick et Mount, 1991; Carver et Connor-Smith, 2010). Le névrosisme fait plutôt référence à la stabilité émotionnelle de l’individu, les traits qui lui sont

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associés sont : l’anxiété, le sentiment d’embarras, le sentiment d’insécurité, la colère, la dépression, l’émotivité et la crainte (Barrick et Mount, 1991). L’agréabilité fait référence à l’amabilité; les traits qui lui sont associés sont le bon caractère, la courtoisie, la coopération, la confiance et la tolérance. La conscience fait référence à la fiabilité et à la volonté de faire le travail ; les traits qui sont associés à ce facteur sont la persévérance, l’organisation, le souci du travail et le fait d’être orienté vers l’atteinte des résultats. Finalement, l’ouverture d’esprit renvoie principalement à l’ouverture à l’expérience, l’intelligence et le fait d’avoir de l’imagination (Barrick et Mount, 1991).

La littérature révèle que les cinq facteurs de personnalité (big five) peuvent être significativement associés à la santé mentale de l’individu (Grant et Langan-Fox, 2007; Grant, Langan-Fox et Anglim, 2009; Vearing et Mak, 2007). En l’occurrence, le névrosisme augmente les risques chez les individus, d’une manière générale, de développer des problèmes de santé mentale (ex. : dépression) (Vearing et Mak, 2007), alors que l’agréabilité, l’extraversion, l’ouverture d’esprit et le fait d’être consciencieux seraient plutôt bénéfiques pour l’individu (Goodwin et Engstrom, 2002; Vearing et Mak, 2007). En ce qui concerne les cadres, l’étude de Madnawat et Mehta (2012) soutient que le névrosisme et l’extraversion sont les plus importants prédicteurs de l’épuisement professionnel chez cette population. Le névrosisme est positivement associé à l’épuisement émotionnel et au cynisme et négativement associé à l’efficacité professionnelle. En revanche, l’extraversion serait négativement associée à l’épuisement émotionnel et au cynisme (dépersonnalisation) et positivement associée à l’efficacité professionnelle. Par ailleurs, l’étude de Hentrich, Zimber, Sosnowsky-Waschek, Kellner, et al. (2016) démontre que le névrosisme prémorbide augmente la relation positive entre les demandes du travail et les symptômes dépressifs. Cependant, les auteurs de cette dernière étude n’ont trouvé aucun effet d’interaction en ce qui concerne l’épuisement professionnel. Au-delà de ces traits de personnalité, il semblerait que le centre de contrôle et l’estime de soi puissent également contribuer à l’explication des problèmes de santé mentale (Hentrich, Zimber, Sosnowsky-Waschek, Gregersen, et al., 2016; Marchand et al., 2005a, 2006; Näswall, Sverke et Hellgren, 2005; Semmer et Schabracq, 2003).

b. Centre de contrôle

Le centre de contrôle renvoie à la perception que l’individu a de son contrôle sur les évènements de sa vie (Rotter, 1966). Les individus qui possèdent un centre de contrôle

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externe croient ne détenir aucun contrôle sur les évènements de leur vie. Ils les attribuent plutôt à des facteurs externes, tels que le destin, la chance et le hasard (Rotter, 1966). Ces

individus seraient plus à risque de développer des problèmes de santé mentale (Hentrich,

Zimber, Sosnowsky-Waschek, Gregersen, et al., 2016; Marchand et al., 2005a, 2006; Näswall et al., 2005; Semmer et Schabracq, 2003), comparativement à ceux dont le centre de contrôle est interne, c’est-à-dire ceux qui croient contrôler ce qui se passe dans leur vie. Ils attribuent alors ce qui leur arrive à des facteurs internes, par exemple leurs efforts, leur capacité et leurs comportements (Rotter, 1966). Dans le cas des cadres, il ne semble pas y avoir beaucoup d’études qui se sont intéressées au lien entre leur centre de contrôle et leurs problèmes de santé mentale au travail. Néanmoins, certaines études, dont celle de Kirkcaldy, Shephard et Furnham (2002) révèle que les cadres qui ont un centre de contrôle externe perçoivent un niveau élevé de stress, particulièrement en termes de relations interpersonnelles et font davantage face à des problèmes de santé mentale que ceux qui ont un centre de contrôle interne. Les auteurs ajoutent que le risque pour la santé mentale des cadres serait plus élevé quand un centre de contrôle externe est jumelé avec une personnalité

de type A20 (Kirkcaldy, Shephard, et al., 2002).

Après avoir abordé le lien entre le centre de contrôle et les problèmes de santé mentale des cadres, nous présenterons la contribution de l’estime de soi dans l’explication de ces problèmes.

c. Estime de soi

Certaines études ont démontré que l’estime de soi contribue à l’explication des problèmes de santé mentale, tels que la détresse psychologique (Marchand et al., 2005a, 2005b, 2006), l’épuisement professionnel (Janssen, Schaufelioe et Houkes, 1999), la dépression (Sowislo et Orth, 2013) et la consommation à risque d’alcool (Pedersen, Hsu, Neighbors, Paves et Larimer, 2013; Tomaka, Morales‐Monks et Shamaley, 2013). Plus concrètement, les individus qui ont un niveau élevé d’estime de soi (c’est-à-dire une image favorable de soi) auraient moins de risques de vivre des problèmes de santé mentale (Paterniti et al., 2002). Ce niveau élevé d’estime de soi leur procure la confiance nécessaire

20La personnalité, type A est caractérisée par une impatience, une forte compétitivité, une hyperactivité, un sentiment d’urgence, un besoin de se surpasser et d’atteindre des objectifs difficiles, voire impossibles à atteindre, avec une grande importance accordée au succès et à la performance et une recherche de la perfection (Kirkcaldy, Shephard, et al., 2002).

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pour faire face aux tensions de leur environnement (Toits, 2012). L’estime de soi est considérée aujourd’hui comme « une nécessité pour survivre dans une société de plus en plus compétitive » (André, 2005, p. 26). Il y a plusieurs définitions de l’estime de soi (Dolan et Arsenault, 2009). La définition la plus populaire est celle de (Rosenberg, 1979). Il définit l’estime de soi comme l’évaluation que l’individu fait et maintient de sa propre personne, et qui se traduit par une attitude positive ou négative envers soi-même. À l’instar de l’identité, l’estime de soi représente l’une des caractéristiques du soi ou « the self ». Elle représente, selon Thoits (2013, p. 359), « an understanding of one’s quality as an object—that is, how good or bad, valuable or worthless, competent or incompetent, or superior or inferior one is », ce qui rejoint la définition proposée par Rosenberg (1979), qui présente l’estime de soi comme une évaluation du soi. Dans ce cas, Thoits (2013) souligne que l’estime de soi peut être globale (ex. : je suis une bonne personne) ou spécifique (ex. : je suis bon en gestion).

En ce qui concerne les cadres, très peu d’études se sont intéressées au lien entre l’estime de soi et leurs problèmes de santé mentale. Le peu d’études recensées vont dans le sens des recherches citées ci-dessus. L’étude de Leroy-Frémont, Desrumaux et Moundjiegout (2014), qui analyse, entre autres, le lien entre l’estime de soi et l’épuisement professionnel des cadres révèle que l’estime de soi de ces derniers est négativement corrélée avec leur épuisement professionnel, ce qui implique que lorsque l’estime de soi est faible, le cadre aura tendance à mobiliser toute son énergie, sans limites, pour pouvoir réussir, ce qui va l’épuiser à long terme. Dolan et Arsenault (2009) ajoutent, dans ce contexte, que les cadres qui sont affligés d’une faible estime de soi se fatiguent autant qu’ils fatiguent leur entourage.

Nous avons abordé plus haut dans la partie dédiée aux facteurs organisationnels le concept de l’identité. Nous avons souligné qu’une faible vérification de l’identité du rôle de cadre pourrait être une importante source de tension, susceptible d’avoir un impact négatif sur la santé mentale des cadres, notamment dans un contexte de saillance identitaire. Dans le même ordre d’idées, certains auteurs mettent l’accent sur l’importance d’analyser l’estime de soi en lien avec l’identité pour expliquer les problèmes de santé mentale chez les individus, d’une manière générale. Plus concrètement, ces auteurs appellent à examiner la contribution du lien entre ces deux variables (les identités et l’estime de soi) dans l’explication du lien entre les identités et les problèmes de santé mentale (Marcussen, 2006; Thoits, 2012). Marcussen (2006) soutient « that the relationship between identities and self-

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esteem is important and particularly relevant to studies linking identities and mental health. ».

Dans ce chapitre, nous avons présenté une revue de littérature, dans laquelle nous avons tenté de mobiliser de nombreuses disciplines, entre autres les sciences de gestion, la psychologie, les sciences de la santé et la sociologie afin de brosser un portait global qui nous renseigne sur les facteurs susceptibles d’expliquer les problèmes de santé mentale chez les cadres. Cet exercice nous a permis d’une part d’avoir une vision claire sur l’état actuel des connaissances sur le travail et la santé mentale des cadres et d’autre part d’identifier leurs limites. Nous présenterons ces limites dans la prochaine section, ce qui va faciliter la mise en perspective de la contribution théorique de la présente thèse doctorale.