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Modèles « demandes-contrôle » et « demandes-contrôle-soutien »

CHAPITRE 2 SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL : QU’EN EST-IL DES CADRES ?

2.3 Principaux modèles théoriques

2.3.1 Modèles « demandes-contrôle » et « demandes-contrôle-soutien »

Le modèle « demandes-contrôle » (Karasek, 1979) met de l’avant la présence de deux

dimensions de l’organisation du travail qui influencent le comportement et la santé des employés, soit 1) les demandes du travail, notamment les demandes psychologiques et 2) le niveau de la latitude décisionnelle. Les demandes psychologiques regroupent une variété de composantes telles que le rythme de travail, les exigences associées aux délais d’exécution d’une tâche, la quantité de travail (ex. : nombre de rapports à préparer par semaine), l’ambiguïté du rôle ou des tâches et la surcharge de travail. Quant à la latitude décisionnelle, elle combine à la fois l’utilisation des compétences et la prise de décision. Elle fait référence à la capacité du travailleur à contrôler ses propres activités et ses propres compétences au travail (Karasek et Theorell, 1990). Ce modèle tente d’expliquer comment ces dimensions sont susceptibles d’influencer les tensions et l’apprentissage au travail (Perrewé et Ganster, 2010). Il repose, dans ce cas, sur deux principales hypothèses, soit l’hypothèse de tensions ou « strain hypothesis » et l’hypothèse d’apprentissage actif ou « buffer hypothèses » (Karasek, 1979). La première hypothèse postule que la combinaison d’une latitude décisionnelle faible et de fortes demandes psychologiques est associée à un niveau élevé de tensions au travail, susceptible d’entraîner des effets délétères sur la santé du travailleur (ex. : anxiété, fatigue dépression, maladies physiques, etc.), alors qu’à l’inverse, la deuxième hypothèse soutient que la combinaison d’une forte latitude décisionnelle et de fortes demandes psychologiques serait plutôt bénéfique pour la santé de ce dernier, son apprentissage et son développement au travail. Dans ce cas, l’énergie mobilisée par l’individu pour composer avec les stresseurs se traduit en actions, le mettant ainsi face à des défis à relever, ce qui est censé le protéger des effets négatifs susceptibles de miner sa santé, considérant que la latitude décisionnelle modérerait le lien entre les demandes élevées de travail et leurs possibles conséquences négatives. L’interaction entre les demandes au travail et la latitude décisionnelle, mise en évidence dans ce modèle, conduit à une typologie de quatre catégories d’emplois. La première renvoie aux emplois qui exigent des efforts élevés « High strain job ». Ils sont caractérisés par des demandes psychologiques élevées et une latitude décisionnelle faible au travail, ce qui constitue un environnement contraignant pour l’individu qui transforme son énergie en des efforts résiduels comportant des dommages pour la santé. Cependant, la seconde renvoie aux emplois qui exigent peu d’efforts « Low strain job ». Ces emplois sont caractérisés par des demandes psychologiques faibles et un niveau de latitude décisionnelle

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élevé au travail, ce qui diminue les risques de maladies, d’une part parce qu’il y a peu de défis et d’autre part parce qu’il y a une grande latitude décisionnelle permettant à l’individu de répondre à chaque défi susceptible de se présenter. La troisième renvoie aux emplois dits actifs ou l’« Active job », qui est caractérisée par des demandes psychologiques élevées et une latitude décisionnelle élevée au travail. Dans ce cas, comme évoqué précédemment, l’énergie qui provient des stresseurs au travail est traduite en action (ex. : résolution de problèmes), il y a peu de tensions résiduelles susceptibles de créer des perturbations. Finalement, la quatrième catégorie renvoie à des emplois dits passifs (« passive job ») qui sont caractérisés par des demandes psychologiques faibles et un niveau de latitude décisionnelle faible, ce qui réduit les risques de tensions psychologiques et de maladies, considérant la présence de peu d’agents stressants, comparativement aux emplois actifs.

Critiqué pour sa simplicité et par le fait qu’il ne prend pas en considération plusieurs aspects associés au travail, le modèle « demandes- contrôle » a été enrichi par l’ajout d’une troisième dimension à savoir « le soutien social », ce qui a donné naissance en 1990 au modèle « demandes- contrôle- soutien » (Karasek et Theorell, 1990). Le soutien social fait référence aux interactions sociales au travail qui sont utiles et qui sont présentes entre les travailleurs, et entre l’employé et son superviseur (Karasek et Theorell, 1990). Karasek et Theorell (1990) ont identifié deux types de soutien social. Le premier s’avère le soutien socio-émotionnel, qui amortit les tensions psychologiques. Il peut être mesuré par le degré de l’intégration sociale et émotionnelle et la confiance entre les collègues, les superviseurs et les autres (il peut être mesuré par l’intégration dans le groupe). En revanche, le second est le soutien instrumental social, mesuré par les ressources ou l’assistance au niveau des tâches au travail fournies par les collègues ou les superviseurs. Par l’ajout de cette troisième dimension, Karasek et Theorell (1990) développent l’hypothèse de l’iso-tension ou « iso- strain hypothesis » qui met de l’avant le rôle modérateur du soutien dans le lien entre les demandes de travail et la latitude décisionnelle. Ainsi, le modèle postule que le niveau de stress ou de tension augmente quand le travailleur fait face à des demandes psychologiques élevées, une latitude décisionnelle faible et une absence ou un niveau faible de soutien social en milieu de travail, ce qui est susceptible de mener à des problèmes de santé physique et psychologique (Gadinger et al., 2010; Karasek et Theorell, 1990). Le modèle développé par Karasek et Theorell (1990) met de l’avant à son tour une typologie de quatre catégories d’emploi qui se base à la fois sur le niveau de latitude décisionnelle et sur le niveau du soutien social. 1) le leader participatif (caractérisé par une latitude décisionnelle élevée et un

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soutien social élevé) Ex. : gestionnaire, enseignant. 2) « Cowboy héro » (caractérisé par une latitude décisionnelle élevée et un soutien social faible) Ex. : avocat, architecte, artiste. 3) Le prisonnier isolé (caractérisé par une latitude décisionnelle faible et un soutien social faible) Ex. : les opérateurs téléphoniques. 4) Camarade obéissant (caractérisé par une latitude décisionnelle faible et un soutien social élevé) Ex. : le facteur et l’appariteur.

Les modèles « demandes-contrôle » Karasek (1979) et « demandes-contrôle-soutien » constituent une base théorique intéressante pour les études sur la santé des travailleurs. D’une manière générale, ils permettent de mettre en exergue le lien entre le milieu du travail, le stress et les problèmes de santé chez les travailleurs. D’une manière plus spécifique, ces modèles permettent de faire le lien entre les demandes psychologiques, le stress professionnel, la latitude décisionnelle et le soutien social. Dans les faits, les fortes demandes psychologiques au travail sont susceptibles d’augmenter le stress chez les travailleurs (Karasek et Theorell, 1990), augmentant ainsi les risques de problèmes de santé mentale. Quant à la latitude décisionnelle et au soutien social au travail, ils sont susceptibles de réduire le stress, notamment lorsque l’individu détient un niveau élevé de contrôle et peut obtenir du soutien au travail (Karasek et Theorell, 1990; Karasek, 1979). Ces postulats fondamentaux ont été supportés empiriquement (Cadieux, 2013; Häusser, Mojzisch, Niesel et Schulz-Hardt, 2010; Karasek et Theorell, 1990; Marchand, Demers et Durand, 2005a; Stansfeld et Candy, 2006). Cependant, l’interaction entre les demandes psychologiques, le niveau de latitude décisionnelle, le soutien social et le stress au travail demeure la faiblesse majeure de ces modèles sur le plan empirique (Bakker et Demerouti, 2007; Clays et al., 2007; Marchand et al., 2007; Stansfeld et Candy, 2006). En effet, il est difficile de conclure, par exemple, que le fait de disposer d’une latitude décisionnelle élevée ou d’un niveau élevé de soutien social dans un environnement caractérisé par de fortes demandes psychologiques aboutit, dans tous les cas, à une diminution du stress au travail, étant donné que les demandes psychologiques ne changent pas, c’est-à-dire que le volume de travail, les délais et la surcharge de travail demeurent les mêmes. Une latitude décisionnelle élevée, dans ce cas, ne permet pas de réduire le niveau de stress. De ce fait, le problème demeure inchangé. De surcroît, bien que ces modèles s’intéressent au stress du travailleur dans les milieux de travail, ils ne tiennent pas compte de ce travailleur et de ses spécificités. Or, les réactions face au stress varient d’un individu à l’autre. En outre, ces modèles mettent l’accent sur un seul niveau d’analyse (c’est-à-dire l’individu), faisant ainsi abstraction du contexte organisationnel et social. En fait, la dimension organisationnelle, notamment les différentes

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structures et politiques de l’organisation, n’a pas été abordée, alors qu’elle a des incidences sur la manière dont les conditions de travail sont articulées sur le plan individuel, c’est-à-

dire au niveau du travailleur. Par ailleurs,ces modèles ne tiennent pas compte du type de

profession, du contexte organisationnel, des caractéristiques spécifiques du travail et de la multiplicité des demandes et des ressources dans les milieux du travail (Bakker et Demerouti, 2007; Jones, Bright, Searle et Cooper, 1998). On reproche ainsi à ces modèles leur caractère statique et le fait qu’ils se limitent à un nombre restreint de facteurs explicatifs du stress professionnel, ce qui ne permet pas de cerner toute la problématique (Bakker et Demerouti, 2007). De plus, ces modèles n’abordent pas la dimension sociale, à savoir les facteurs qui sont hors du milieu du travail, mais qui peuvent avoir des effets négatifs sur la santé de l’individu, par exemple la famille (Beauregard et al., 2011), ainsi que les hiérarchies sociales, les relations de pouvoir implicites, qui influencent d’une part, la distribution des stresseurs associés au travail, et d’autre part, certaines variables médiatrices, telles que l’estime de soi (Stansfeld et Candy, 2006).

Outre Karasek (1979) et Karasek et Theorell (1990), Siegrist (1996) a développé un modèle qui a connu la même notoriété théorique que les modèles précédents : il s’agit du modèle « déséquilibre efforts-récompenses ».

2.3.2 Modèle « déséquilibre efforts-récompenses » (Siegrist,1996)