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CHAPITRE 2 SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL : QU’EN EST-IL DES CADRES ?

2.7 Limites des connaissances actuelles

La revue de littérature, présentée dans ce chapitre met en évidence le fait que les cadres ne sont pas à l’abri des problèmes de santé mentale, contrairement à l’image idéale, voire parfaite, associée à cette population. Dans ce contexte, cette revue de littérature a permis d’éclairer les limites des études actuelles sur la santé mentale au travail. D’abord, il est clair que peu d’études se sont intéressées à la santé mentale des cadres comparativement à celle du personnel non-cadre (Björklund et al., 2013; Byrne et al., 2014; Gadinger et al., 2010; Hentrich, Zimber, Sosnowsky-Waschek, Gregersen, et al., 2016; Mohr et Wolfram, 2010; Rodham et Bell, 2002), que ce soit la détresse psychologique, la dépression, l’épuisement professionnel et la consommation d’alcool ou des médicaments psychotropes. Néanmoins, il semble y avoir plus d’intérêt pour le rôle modérateur que ces cadres jouent dans le maintien et la promotion de la santé mentale de leurs collaborateurs et de ses conséquences, notamment la question de la supervision abusive (Byrne et al., 2014; Tepper et al., 2006). Par conséquent, il y a eu peu d’études qui ont étudié la santé mentale des cadres. De surcroît, la majorité des auteurs qui se sont intéressés aux cadres et à leur travail, notamment dans la littérature managériale, font référence à un malaise identitaire ou à une perte d’identité au travail (Cousin, 2004, 2008; Monneuse, 2014; Rouleau, 1999; St-Onge et Provost, 2014). Toutefois, aucune étude empirique n’a, à notre connaissance, été effectuée pour analyser le lien entre l’identité de ces derniers et leurs problèmes de santé mentale au travail. Ce constat ne se limite pas uniquement à la population des cadres. En fait, d’une manière générale, ce lien a été peu étudié dans la littérature sur la santé mentale au travail.

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Or, l’identité représente, selon Dejours (2008), l’armature et le noyau de la santé mentale. De plus, il semblerait que les évènements associés aux identités, à la saillance identitaire et à la vérification de ces identités aient un impact sur le bien-être des individus (Burke, 1991; Haines III et Saba, 2012; Thoits, 2012, 2013). En fait, ces évènements sont susceptibles d’engendrer des problèmes de santé mentale (Burke, 1991). Cependant, il n’y a pas eu, à notre connaissance, de modèle théorique qui mobilise ou qui intègre la théorie de l’identité pour expliquer ces problèmes chez les cadres. En fait, la littérature sur le travail et la santé mentale semble être dominée par les modèles demandes- contrôle (Karasek, 1979), demandes-contrôle- soutien ( Karasek et Theorell, 1990); équilibre efforts-récompenses (Siegrist, 1996) et demandes-ressources (Demerouti et al., 2001) (Cooper et al., 2001; Haines III et Saba, 2012). La majorité des études ont fait abstraction de certaines théories pertinentes pouvant élargir la portée des recherches sur le travail et la santé mentale, dont la théorie de l’identité. En fait, cette théorie peut fournir une explication intéressante et originale en mettant la lumière, d’une part, sur le lien direct entre la vérification de l’identité de rôle et les problèmes de santé mentale, notamment dans un contexte d’identité saillante, et d’autre part, sur le lien indirect entre la vérification de l’identité et ces problèmes, en tenant compte du rôle médiateur de l’estime de soi, très peu, voire rarement analysé chez les cadres et dans les études sur le travail et la santé mentale. Un niveau faible de vérification d’une identité de rôle est susceptible de diminuer l’estime de soi, augmentant ainsi le risque de développer des problèmes de santé mentale.

Outre l’identité au travail et l’estime de soi, d’autres facteurs importants ont été ignorés dans l’étude de ces problèmes. Il s’agit de certains facteurs organisationnels associés à la structure et aux pratiques développées dans les organisations, ainsi que les facteurs hors travail, les facteurs associés à la famille et ceux associés aux caractéristiques individuelles, qui n’ont pas été abordés dans les modèles théoriques dominants exposés (Demerouti et al., 2001; Karasek et Theorell, 1990; Karasek, 1979; Siegrist, 1996). Les facteurs organisationnels qui ont été très peu, voire rarement analysés en lien avec les problèmes de santé mentale des cadres, sont les pratiques de gestion des ressources humaines à haute performance et le niveau hiérarchique managérial. Or, leur importance n’est pas négligeable. En fait, les pratiques de gestion des ressources humaines sont associées aux nouvelles formes d’organisation du travail que de nombreux auteurs lient au malaise identitaire des cadres. Quant au niveau hiérarchique, il permet d’apprécier la variation des problèmes de santé mentale entre les cadres.

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Outre ces facteurs organisationnels, les facteurs hors travail (ex. : le réseau social hors travail) ainsi que les facteurs liés à la famille (ex. : le statut matrimonial et les tensions dans la relation de couple; les enfants et les tensions dans la relation parentale; la conciliation travail famille) et ceux liés aux caractéristiques individuelles (ex. : le genre, l’âge, le niveau de scolarité, les habitudes de vie et les traits de personnalité) (Marchand, 2004; Marchand et al., 2005a) ont également été ignorés. En fait, peu d’études, à ce jour, considèrent simultanément tous ces facteurs. Cependant, la vie de l’individu, de manière générale, et du cadre, de manière spécifique, ne se limite pas au milieu du travail. Elle est multidimensionnelle (Beauregard et al., 2011; Danna et Griffin, 1999; Kendall et Muenchberger, 2009; Marchand et al., 2006a; Sonnentag et Jelden, 2009). Donc, le fait de ne pas prendre en considération ces facteurs ne permet pas d’avoir un portrait complet des facteurs explicatifs des problèmes de santé mentale des cadres.

Pour répondre aux limites des études actuelles, il nous semble important de développer un cadre théorique qui intègre la théorie de l’identité et qui inclut ces facteurs peu abordés dans la littérature, à savoir les pratiques de gestion des ressources humaines à haute performance, le niveau hiérarchique managérial, les facteurs hors travail et les facteurs individuels, et ce, pour analyser les problèmes de santé mentale d’une population très peu étudiée, les cadres. C’est ce que nous tenterons de faire dans le prochain chapitre de la présente thèse, dédié à la présentation de la problématique et du modèle théorique.

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