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CHAPITRE 2 SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL : QU’EN EST-IL DES CADRES ?

2.6 Facteurs susceptibles d’expliquer les problèmes de santé mentale chez les cadres

2.6.1 Facteurs organisationnels

2.6.1.2 Caractéristiques de l’organisation

Les caractéristiques de l’organisation ont un impact sur le travail des cadres, entre autres sur la conception de leurs tâches et les ressources qui leur sont allouées (Hambrick et

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al., 2005). Elles sont , de ce fait, susceptibles d’influencer à la fois leur bien-être physique et psychologique (Kelloway et Barling, 1991).

a. Taille de l’entreprise

La littérature managériale fait référence au fait que la complexité des rôles et des activités des cadres varie selon la taille de l’entreprise (Barabel et Meier, 2010; Delattre, 1982; Jaouen, 2008). Cette variation touche également leur santé mentale (Debray et al., 2014; Jaouen, 2008; Torrès, 2012). Il est principalement question dans ce cas, de la différence entre la santé mentale des cadres des PME (les petites et les moyennes entreprises)

et ceux des grandes entreprises16.

Il ne semble pas y avoir un consensus sur la question de savoir quelle taille d’entreprise présente le plus haut niveau de risques de problèmes de santé mentale pour les cadres. Il y a ceux qui soutiennent que les cadres des petites et moyennes entreprises sont plus susceptibles que ceux des grandes entreprises de faire l’expérience d’une manière intense aux antécédents et aux conséquences des problèmes de santé mentale (Cocker et al., 2013; Debray et al., 2014; Guiliani et Torres, 2013), alors que d’autres auteurs soutiennent que ce sont plutôt les cadres des grandes entreprises qui sont susceptibles de faire cette expérience (Brett et Stroh, 2003; Maume et Bellas, 2001).

La taille de l’entreprise soulève pour les cadres des enjeux de charge de travail, de proximité et d’isolement. Certains auteurs soutiennent que les cadres des PME, notamment les cadres dirigeants, ont une charge de travail plus élevée comparativement à ceux de grandes entreprises, surtout parce qu’ils sont souvent seuls aux commandes de leur entreprise (Gagnon, Savard, Carrier et Decoste, 2000; Jaouen, 2008; Torrès, 2010), ce qui leur génère un niveau élevé de tension susceptible de miner leur santé mentale. Toutefois, d’autres auteurs soutiennent que les cadres des grandes entreprises font également face à une charge élevée de travail qui draine leur énergie et qui menace leur santé mentale, notamment en raison du nombre élevé d’objectifs qu’ils doivent atteindre pour répondre aux exigences de

16PME est un sigle qui renvoie aux petites et moyennes entreprises. Cependant, certains auteurs, notamment Barabel et Meier (2010), utilisent ce sigle pour couvrir trois catégories d’entreprises dont les réalités et les caractéristiques sont fortement contrastées (Barabel et Meier, 2010), soit 1) les très petites entreprises (TPE) qui emploient moins de 20 employés ; 2) les petites entreprises (PE) qui emploient entre 20 et 50 employés et 3) les moyennes entreprises qui emploient entre 50 et 299 salariés (Barabel et Meier, 2010; Gagnon, Savard, Carrier et Decoste, 2000). À l’encontre des PME, les grandes entreprises emploient 300 employés ou plus (Gagnon et al., 2000). Il y a celles qui exercent leurs activités au niveau national, alors que d’autres les exercent au niveau international. Leur chiffre d’affaires est beaucoup plus élevé que celui des PME.

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plusieurs parties prenantes (responsable hiérarchique, actionnaires) (Barabel et Meier, 2010; Bretesché et al., 2011; Brett et Stroh, 2003; Maume et Bellas, 2001). Outre la charge de travail, la taille de l’organisation soulève des enjeux de proximité et d’isolement, qui peuvent augmenter le niveau de stress chez les cadres et amplifier leur souffrance psychologique (Torres, 2011), aboutissant ainsi à des problèmes de santé mentale, tels que la détresse psychologique, la dépression ainsi que l’épuisement professionnel la consommation à risque d’alcool ou de médicaments psychotropes (Cocker et al., 2013; Debray, Ben Tahar et Paradas, 2012; Torrès, 2012). La proximité, dans ce cas, est associée au lien entre les cadres et les autres membres de l’organisation, notamment le personnel non-cadre. Quant à l’isolement, il est étroitement lié au déroulement du processus de prise de décision. Certains auteurs soutiennent que ces enjeux concernent plus particulièrement les PME (Torres, 2011). En fait, la taille de ces dernières renforce le lien entre ses membres et rapproche ceux-ci. Par conséquent, les décisions pouvant avoir un impact négatif sur les employés sont difficiles à prendre et à vivre par le cadre dirigeant (Torres, 2011), par exemple les décisions de mise à pied, qui sont inévitables dans le cas d’une conjoncture économique. De plus, ces cadres doivent fréquemment composer avec un sentiment de solitude et d’isolement, étant donné qu’ils sont souvent seuls à prendre les décisions (Debray et al., 2014; Gumpert et Boyd, 1984), ce qui est susceptible d’entraîner une aggravation des symptômes de stress et des problèmes de santé mentale (Cocker et al., 2013). Cependant, il semblerait que ces questions de proximité et d’isolement ainsi que les problèmes psychologiques inhérents ne soient pas exclusifs aux PME. En fait, la question de proximité et de son impact a été également soulevée pour les cadres des grandes entreprises, principalement les cadres de premier niveau, connus également comme cadres de proximité (Bellini, 2005; Blais, 2013), qui sont souvent déchirés entre leur rôle de cadre et la proximité de leur personnel, notamment lorsqu’il est question d’annoncer les décisions critiques prises par leurs responsables hiérarchiques. Cette proximité devient pesante sur le plan psychologique, ce qui augmente leur niveau de stress ainsi que leur risque de vivre des problèmes de santé mentale (Bolduc et Baril-Gingras, 2010; Marchand et al., 2003b; Muntaner et al., 2003; Wright, 1997). Quant à l’isolement, il semblerait que les cadres dirigeants des grandes entreprises se sentent souvent isolés et seuls dans leur processus de prise de décisions. Dans ce cas, leur niveau de stress peut augmenter, ce qui peut miner leur santé mentale (Lindorff, 2001; Monneuse, 2014; Quick et al., 1990; Quick et Quick, 2013; Quick et al., 2013). Outre la taille des entreprises, la littérature managériale évoque aussi une variation des rôles et des activités

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des cadres suivant le secteur d’activité de l’entreprise (Barabel et Meier, 2010; Bernin et Theorell, 2001). Il semble que cette variation soit également présente quand il est question de stress et de problèmes de santé mentale (Sahu et Yadav, 2013; Subramanian et Kruthika, 2012; Worrall et Cooper, 2007).

b. Secteur d’activités

La variation associée au secteur d’activité se caractérise, dans ce cas, par la différence entre les cadres du secteur privé et ceux du secteur public quand il est question de problèmes de santé mentale au travail. Bien que les cadres du secteur public semblent susciter plus d’intérêt comparativement à ceux du secteur privé, il ne semble pas y voir un consensus, dans la littérature, sur le secteur qui présente le niveau le plus élevé de problèmes de santé mentale chez les cadres. En fait, il y a des auteurs qui soutiennent que les cadres du secteur public font face à un niveau plus élevé de problèmes de santé mentale comparativement à ceux du secteur privé (Berntson et al., 2012; Björklund et al., 2013; Landstad et Vinberg, 2013), alors que d’autres études révèlent plutôt le contraire, que ce sont les cadres du secteur privé qui font face à un niveau plus élevé de ces problèmes (Beauregard, 2010; Brant et Dias, 2004; Subramanian et Kruthika, 2012). Selon Subramanian et Kruthika (2012), les cadres du secteur privé font face à un niveau élevé de stress, une conséquence des demandes excessives de travail et des attentes déraisonnables des différentes parties prenantes (ex. : les actionnaires) contrairement à ceux du secteur privé. Ainsi, ils deviennent plus à risque d’avoir des problèmes de santé mentale, tels que l’épuisement professionnel (Subramanian et Kruthika, 2012). Toutefois, d’autres auteurs soutiennent que les conditions de travail des cadres du secteur public sont plus complexes que celles du secteur privé. Notamment parce qu'il est conditionné par des systèmes de contrôle politiques et des règles formelles liés à un programme gouvernemental qui limite leur latitude décisionnelle, ce qui les prédispose à vivre des problèmes de santé mentale (Spector, 2002; Subramanian et Kruthika, 2012).

Après avoir abordé le contexte et les caractéristiques organisationnelles, nous présenterons dans ce qui suit le rôle du niveau hiérarchique, de l’identité professionnelle, des nouvelles formes d’organisation et des pratiques de gestion des ressources humaines et des conditions de l’organisation du travail dans l’explication des problèmes de santé mentale chez les cadres.

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