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Modèle « déséquilibre efforts-récompenses » (Siegrist,1996)

CHAPITRE 2 SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL : QU’EN EST-IL DES CADRES ?

2.3 Principaux modèles théoriques

2.3.2 Modèle « déséquilibre efforts-récompenses » (Siegrist,1996)

différente des modèles précédents. En se basant sur la théorie de l’échange social et la norme de réciprocité, Siegrist (1996) a proposé deux nouvelles dimensions associées au milieu de travail, qui n’ont pas été développées dans les modèles précédents (Karasek 1979; Karasek et Theorell, 1990). Il s’agit 1) des efforts fournis par l’individu au travail et 2) des récompenses qu’il reçoit en contrepartie de ses efforts. Ce modèle postule que ce n’est pas simplement l’effort qui mène aux tensions et au stress en milieu de travail, mais plutôt le déséquilibre que l’individu perçoit entre l’effort qu’il croit avoir fourni et les récompenses qu’il reçoit en contrepartie de cet effort (Kinman et Jones, 2008; Siegrist, 1996). Ce modèle met en évidence le fait qu’une absence de réciprocité entre les coûts et les gains détermine un état de détresse émotionnelle (Siegrist, 1996) susceptible de compromettre la santé et le bien-être de l’individu, à long terme. À l’inverse, la perception d’une récompense juste et équitable devrait promouvoir son bien-être (Siegrist, 1996).

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Dans son modèle, Siegrist (1996) fait clairement la distinction entre deux sources d’efforts élevés au travail, soit 1) la source extrinsèque et 2) la source intrinsèque. La source extrinsèque renvoie, à l’instar des modèles de Karasek (1979) et Karasek et Theorell (1990), aux demandes du travail et aux facteurs situationnels qui rendent le travail plus exigeant pour l’individu (ex. : lourdes responsabilités, des interruptions fréquentes) (Kinman et Jones, 2008). La source intrinsèque réside, en revanche, dans la motivation et l’engagement de l’individu qui doit composer avec une situation exigeante. Par ailleurs, le modèle de Siegrist (1996) met de l’avant une composante importante. Il s’agit des récompenses qui font référence, dans ce modèle, à l’argent (un salaire approprié), l’estime ou la reconnaissance (un respect et un soutien social suffisant), l’état de contrôle, notamment la sécurité d’emploi et les opportunités de promotion (Kinman et Jones, 2008; Siegrist, 1996). Le lien entre les différentes composantes du modèle « déséquilibre efforts –récompense » se traduit par trois hypothèses : 1) l’hypothèse extrinsèque, 2) l’hypothèse intrinsèque du surengagement et 3) l’hypothèse intrinsèque d’interaction. L’hypothèse extrinsèque postule qu’un haut niveau d’efforts combiné à de faibles récompenses mène à des tensions qui dépassent celles générées d’une manière indépendante par les efforts et les récompenses, ce qui est susceptible de compromettre la santé et le bien-être de l’individu. L’hypothèse intrinsèque postule, quant à elle, qu’un haut niveau de surengagement est associé à haut niveau de tensions. Finalement, l’hypothèse intrinsèque d’interaction postule que l’impact négatif du déséquilibre efforts-récompenses sur le bien-être de l’employé serait plus élevé, en cas de surengagement de ce dernier (Kinman et Jones, 2008). L’hypothèse extrinsèque a trouvé un large soutien empirique, notamment en lien avec la fatigue, les problèmes cardiovasculaires, les troubles du sommeil, les désordres psychiatriques, les problèmes de consommation d’alcool, l’absentéisme (Bartram, Yadegarfar et Baldwin, 2009; Stansfeld et Candy, 2006). À l’opposé, les deux autres hypothèses (hypothèse intrinsèque et intrinsèque d’interaction), qui mettent de l’avant le rôle du surengagement dans l’accroissement des effets négatifs du déséquilibre, n’ont pas eu le même soutien empirique (Kinman et Jones, 2008; Marchand, Demers et Durand, 2006; Stansfeld et Candy, 2006).

Comme nous l’avons précédemment évoqué, le modèle développé par Siegrist (1996) met de l’avant deux nouvelles dimensions associées au travail (effort élevé/faible récompense), qui n’ont pas été abordées dans les modèles précédents (Karasek, 1979 ; Karasek et Theorell, 1990), ce qui vient enrichir les recherches sur la santé mentale en milieu de travail. Selon Harvey et coll. (2006, p.8), l’aspect le plus important du modèle

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« déséquilibre effort-récompenses » est « l’introduction d’une composante “sociale” ou “sociologique” aux considérations sur le stress ». En fait, Siegrist (1996) a abordé le stress au travail à partir d’une perspective d’échange sociale. Pour ce faire, la réciprocité et la perception de l’équité sont au cœur de son modèle. Il ne tient pas compte uniquement du contenu du travail : il met également en exergue les récompenses sociales et économiques, qui proviennent de ce travail (Rydstedt, Devereux et Sverke, 2007). De surcroît, ce modèle permet de faire la distinction entre les dimensions intrinsèques et extrinsèques des efforts de l’individu, contrairement aux modèles de Karasek (1979) et Karasek et Theorell (1990), mettant ainsi de l’avant la signification subjective de l’expérience du travail dans le processus du stress professionnel (Rydstedt et al., 2007). Malgré la pertinence de cette contribution scientifique, une seule hypothèse du modèle a trouvé un large soutien empirique : il s’agit de l’hypothèse extrinsèque, qui postule qu’un haut niveau d’efforts, combiné à de faibles récompenses mène à des tensions susceptibles de compromettre la santé et le bien-être de l’individu, alors que l’hypothèse intrinsèque, qui met l’accent sur le rôle déterminant du surengagement, a été bien au contraire très peu, voire rarement soutenue sur le plan empirique (Kinman et Jones, 2008; Marchand et al., 2006; Stansfeld et Candy, 2006). Outre cette faiblesse empirique, on reproche à ce modèle le fait d’être statique (Bakker et Demerouti, 2007), étant donné que le salaire, l’estime et le contrôle du statut d’emploi sont les seules ressources susceptibles de réduire l’impact des tensions au travail, ce qui fait en sorte qu’il ne semble pas y avoir une place pour d’autres ressources (Bakker et Demerouti, 2007). De plus, à l’instar des modèles de Karasek (1979) et Karasek et Theorell (1990), ce modèle ne tient pas compte du type de profession et du contexte organisationnel (Bakker et Demerouti, 2007). Bakker et Demerouti (2007, p. 312) affirment, d’ailleurs, que: « most studies on the DCM and the ERI-model have been restricted to a given and limited set of independent variables that may not be relevant for all job positions » . Par ailleurs, à l’instar des modèles « demandes-contrôle » et « demandes-contrôle-soutien », le modèle « déséquilibre efforts-récompenses » fait abstraction des caractéristiques individuelles (ex. traits de personnalité, genre) qui peuvent expliquer la variation des réactions face au stress. En outre, bien qu’il aborde les récompenses, la dimension organisationnelle (ex. politiques de rémunération) n’est pas prise en considération. De plus, le modèle ne tient pas compte du contexte social dans lequel évolue l’individu, tel que les hiérarchies sociales, les relations de pouvoir implicites qui influencent, d’une part, la distribution des stresseurs associés au travail, et d’autre part, certaines variables médiatrices, telles que l’estime de soi. De plus,

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contrairement aux modèles de Karasek (1979) et Karasek et Theorell (1990), le modèle « déséquilibre efforts-récompenses » ignore la variable « contrôle », qui a souvent été confirmée sur le plan empirique (Jones et al., 1998). Pour remédier aux faiblesses identifiées dans les modèles de Karasek (1979), Karasek et Theorell (1990) et Siegrist (1996), notamment le fait de se limiter à un nombre restreint de facteurs explicatifs, Demerouti et al. (2001) ont développé le modèle « demandes-ressources ».

2.3.3 Modèle « demandes –ressources » (Demerouti et al., 2001)