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CHAPITRE 1 LES CADRES

1.5 Les femmes cadres

On ne peut pas avoir un portrait complet des cadres si nous n’abordons pas la thématique du genre, spécifiquement la différence entre les femmes cadres et leurs homologues masculins. Bien qu’elles soient de plus en plus diplômées, même dans certains cas plus que les hommes, il semblerait que les femmes soient sous-représentées dans les hauts niveaux de la hiérarchie managériale, qui a l’air d’être monopolisée par les hommes (Boulet, 2013; Burke, Koyuncu, Singh, Alayoglu et Koyuncu, 2012; Buvik et Sagvaag, 2012; Davidson et Burke, 2012; Li Kusterer, Lindholm et Montgomery, 2013; Naschberger, Quental et Legrand, 2012; Pochic, 2005; St-Onge, 2013). En fait, il semblerait, tel que soutenu par Buvik et Sagvaag (2012, p. 497), que « the managerial arena is dominated by

men ». Catalyst (2010)6 cité dans Bastien (2011) révèle que parmi les 500 entreprises ayant

les plus hauts revenus au Canada (FP500), seulement 3,8 % de celles-ci sont dirigées par une

femme. De surcroît, l’étude de Boulet (2013), basée sur les données de l’Enquête sur la

population active (EPA) de 2012 menée par l’Institut de la statistique de Québec, met en évidence le fait qu’au Canada, les emplois d’encadrement de haut niveau, notamment ceux de cadres supérieurs, sont détenus majoritairement par des hommes. En 2012, sur 65 700

6Catalyst est une organisation sans but lucratif qui a pour mission d’assurer le développement des opportunités pour les femmes et les entreprises. Elle entreprend de nombreuses recherches sur ce sujet. http://www.catalyst.org/who-we-are

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postes de cadres supérieurs, 48 200 sont occupés par ces derniers. Au Québec, entre autres, sur 13 300 postes de cadres supérieurs, 10 100 sont occupés par des hommes en 2012, une situation qui n’est pas tellement différente des années 1980 considérant qu’en 1987, les hommes occupaient 11 600 des 14 400 postes de cadres supérieurs (Boulet, 2013). Du côté européen, Belghiti (2003) cite les résultats de l’enquête menée en 2000 par l’Eurostat l’Office Statistique des Communautés Européennes qui mettent également de l’avant le fait que les hommes sont plus présents que les femmes dans des emplois d’encadrement. En l’occurrence, 10,1 % des hommes font partie de la direction des entreprises dans l’Union européenne contre 5,7 % des femmes. La présence majoritaire des hommes aux emplois d’encadrement peut être expliquée par la difficulté des femmes d’occuper ces emplois ou d’y aspirer, particulièrement quand il s’agit de ceux de haut niveau avec une rémunération élevée, ce qui complexifie leur progression de carrière (Naschberger et al., 2012). Cette difficulté est attribuée notamment au phénomène du « plafond de verre », qui a fait couler beaucoup d’encre dans la littérature managériale (Bastid, 2003; Bastien, 2011; Belghiti, 2003; Boulet, 2013; Burke et al., 2012; Cooper Jackson, 2001; Naschberger et al., 2012; Pigeyre, 2001; St-Onge, 2013). Le plafond de verre est une métaphore utilisée pour définir des barrières invisibles auxquelles se heurtent les femmes cadres (St-Onge, 2013), entravant ainsi leur progression hiérarchique (Bastien, 2011). Ces barrières sont associées d’une part aux stéréotypes et aux préjugés basés sur le sexe et d’autre part à la difficulté des femmes cadres à maintenir un équilibre entre leur travail et leur famille (Bastien, 2011; Li Kusterer et al., 2013; Naschberger et al., 2012; Pigeyre, 2001). Ces stéréotypes et ces préjugés sont associés à deux facteurs majeurs : d’une part le fait que les emplois de cadres aient été historiquement conçus sur la base d’un modèle masculin (Bastid, 2003; Davidson et Burke, 2012; Li Kusterer et al., 2013), conséquence d’une reproduction dans les organisations des normes sociales traditionnelles qui associent les femmes aux tâches domestiques et qui les relèguent dans des tâches subalternes (Pigeyre, 2001) ; et d’autre part le fait qu’il y ait une préférence dans les organisations pour les comportements masculins, synonymes d’autorité, d’intransigeance et de solidité émotionnelle contrairement aux comportements féminins qui sont plutôt associés à l’émotivité, la douceur et la communication (Bastien, 2011; Schuler, 1979), ce qui met souvent les femmes face à une tension associée à la gestion de leur image au travail et à la recherche de légitimité (Naschberger et al., 2012). Certains auteurs soulignent que lorsqu’un responsable hiérarchique dit, dans une réunion, à une femme-cadre « “ah, tu es bien une femme !”… cela ne veut pas dire seulement qu’elle est une femme, mais

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que les arguments qu’elle avance sont entachés d’irrationalité, de subjectivité, de sentimentalisme, contrairement au “fait établi” et aux arguments supposés rationnels de lui-même en tant qu’homme » (Barabel et Meier, 2010, p. 152 ). Ainsi, les femmes sont souvent tiraillées entre le choix de gérer comme un homme pour avoir une crédibilité et gagner le respect des membres de l’organisation ou de gérer comme une femme et gagner la sympathie de ces derniers (Naschberger et al., 2012). En outre, elles se sentent souvent obligées de fournir plus d’efforts comparativement à leurs homologues masculins afin de se faire reconnaître ; elles cherchent même, dans certains cas, à dépasser les attentes organisationnelles (Pigeyre, 2001). Comme nous l’avons mentionné précédemment, outre les stéréotypes et les préjugés, les barrières auxquelles se heurtent les femmes cadres dans leur parcours professionnel sont également associées à leur difficulté de maintenir un équilibre entre leur travail et leur famille (Bastid, 2003; Boulet, 2013; Naschberger et al., 2012). Malgré la participation grandissante des hommes dans la sphère domestique, il semblerait que l’équilibre travail-famille soit davantage un obstacle à la progression professionnelle des femmes cadres (Bastid, 2003; Bastien, 2011; Boulet, 2013; Davidson et Burke, 2012; Rinfret et Lortie-Lussier, 2003). Selon Belghiti (2003, p. 22) « plus le conflit travail/famille augmente et plus l’avancement hiérarchique des femmes augmente et, plus le conflit famille/travail augmente et plus leur avancement hiérarchique diminue ». Dans ce cas, certaines femmes cadres accordent une priorité à leur rôle de mère au détriment de leur carrière (Rinfret et Lortie-Lussier, 2003), ce qui réduit leur disponibilité au travail (Pigeyre, 2001), et constitue une source de tension pour celles qui veulent progresser dans la hiérarchie managériale.

Pour résumer, nous avons mobilisé nos efforts dans ce premier chapitre à brosser un portrait le plus complet possible des cadres. Le prochain chapitre sera dédié aux problèmes de santé mentale des cadres. Nous tenterons de cerner cette problématique et de présenter l’état des connaissances sur ce sujet.

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