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Le traitement de l’onomastique commerciale par les linguistes

Un système dénominatif

Chapitre 4 L’onomastique commerciale Dans les chapitres précédents, nous avons différencié les noms de jouets et

4.1. Les travaux en onomastique commerciale

4.1.2. Le traitement de l’onomastique commerciale par les linguistes

Les noms de marques et les noms de produits regroupés sous le terme d’onomastique commerciale font partie de la « compétence » linguistique et des productions langagières au même titre que le lexique « commun » et les noms propres canoniques (toponymes, anthroponymes), mais ils sont beaucoup moins étudiés d’un point de vue vraiment linguistique. Déjà Pottier (1954) attirait l’attention sur ce point :

La linguistique ne saurait négliger aucun aspect de ce qui est son objet : le langage sous toutes ses formes. C’est pourquoi nous pensons qu’à côté de l’anthroponymie et de la toponymie, l’onomastique mineure27 doit avoir sa place. (p. 51)

27 Pottier (1954 : 48-49) regroupe sous le terme d’« onomastique mineure » les noms de la langue de la réclame, les noms d’animaux, les noms d’êtres inanimés (noms de boutiques, noms de villas,

Depuis l’étude très complète de Galliot (1955), peu d’auteurs se sont intéressés à l’ensemble du domaine. On peut citer celle en langue anglaise de Praninskas (1968). A partir d’un corpus de 2000 « noms de marques », l’auteur s’intéresse à la création des « trade name » sur le plan morphosyntaxique et sur le plan des procédés sémantiques en mettant en évidence les manipulations par les créateurs. L’ouvrage collectif Le Fantaparole regroupe des articles courts de différents linguistes sur la langue de la publicité en Italie (Baldini 1987). Platen (1997) consacre – en langue allemande – un ouvrage aux noms commerciaux (ökonymie) en s’attachant à décrire les aspects sémantiques et morphosémantiques.

La plupart des travaux qui traitent de l’onomastique commerciale portent sur des aspects ou des problèmes particuliers. L’analyse des productions peut se focaliser sur un seul domaine commercial. Lopez Diaz (2001) s’intéresse à l’onomastique des parfums et aborde la question du sens de ces noms tout en les replaçant dans la problématique du Npr. Ronneberger-Sibold (1999) étudie les connotations à valeur affective dans les noms de marques de produits chimiques allemands, en particulier à travers les suffixes. Degauquier (1994) explore le domaine des cosmétiques en privilégiant les aspects morphosyntaxique et sémantique. Pour une étude comparable, Jacquemin (1989) part d’un relevé de 476 noms « inventifs » de produits français vendus en grande surface.

Les auteurs peuvent s’attacher à décrire certaines particularités de la langue publicitaire : l’emploi des noms épithètes, par exemple (Bonhomme 2002; López Diaz 2004). Dans Les mots de la publicité, Grünig (1990), s’intéresse plus particulièrement aux mots-valises publicitaires et analyse la rentabilité des combinaisons entre composantes sémantique et formelle (certains sont pour elle plus « réussis » que d’autres : elle affectionne particulièrement les mots-valises « glissés » de type Halogénial, par exemple). Pires (2000) étudie l’utilisation de l’apostrophe à partir d’un corpus de 200 noms (de magasins ou de produits). Il définit l’apostrophe commerciale comme « toute apostrophe participant à un nom propre non lexicalisé à usage mercantile : il s’agit essentiellement de raisons sociales déposées (noms de magasins, de sociétés) et de noms de produits commercialisés » (p. 64).

L’onomastique commerciale présente un terrain d’investigation intéressant tant par la facilité de récolte des observables (noms de marques et de produits) que par la richesse des possibilités d’analyse tant au plan morphologique/formel que sémantique. Mais elle offre une certaine résistance à une étude unifiée. Les études

purement morphologiques sont rares et l’analyse des noms commerciaux se résume parfois à une « morceaulogie »28 approximative.

La difficulté majeure réside dans le flou ou l’indécidabilité (quand la question est explicitement posée) du statut des noms commerciaux : noms propres ou noms communs ?

Certains travaux qui portent sur les noms commerciaux posent explicitement la question du statut des noms de marques et de produits : Pottier (1954), Galliot (1955), Praninskas (1968), Arnaud (1972), Siblot (1994), Platen (1997), Garric (1999), Petit (2000), Laurent (2006). Certains évoquent une distinction sans entrer plus avant dans la discussion. Adam (1997 : 58) subdivise le concept « marque » en deux parties distinctes : d’une part le nom de la firme, d’autre part le nom du produit. Maingueneau (1998 : 186) pose également un statut différent pour le nom de marque et le nom de produit.

Le problème posé par ces noms est qu’ils ne forment pas une classe homogène, ce qui n’empêche pas la plupart des auteurs de les considérer en un ensemble indistinct dès lors qu’il s’agit d’avancer dans la description : Siblot (1995) parle indifféremment de « Npr de marque », Praninskas les différencie dans un premier temps en product name vs brand name, pour ensuite étudier leurs caractéristiques morphosémantiques sans respecter cette bipartition. Or, distinguer nom de marque et nom de produit est indispensable pour les analyser correctement et définir leur statut.

Un autre accès aux noms de produits et aux noms de marques se fait par le biais de la problématique du nom propre. Plusieurs auteurs qui traitent de cette question s’interrogent de façon ponctuelle sur cet hybride qu’est le nom commercial. Rey-Debove (1991 : 147) parle de « faux noms propres ». Bosredon (1997 : 118) considère que, comme les titres d’œuvres, les noms de marque ne constituent pas des Npr même si ce sont des dénominations propres (mais il les considère plus loin comme des « sortes de Npr »). Dans la littérature allemande, Bauer (1985 : 54-55) établit une classification pragmatique à partir des éléments extralinguistiques propres au référent et fait figurer les noms commerciaux dans la catégorie des ergonymes, à côté des titres d’œuvres. Maingueneau (1998), pour sa part, voit dans le nom de produit comme dans le nom de marque « un type de nom propre ». Il différencie cependant le nom de produit du nom de marque :

28 Le terme est de Boyé, pour désigner une conception de la morphologie qui se réduirait à un découpage des mots en « morceaux » pour expliquer leur formation (type maisonn-ette). Or d’une part tout n’est pas découpable en morceaux (royaume n’est morphologiquement pas découpable) et d’autre part on peut construire des mots nouveaux autrement que par ajout de morceaux (orange N

Comme celui de la marque [le nom de produit] est un nom propre (« Clio, « Polo »…) qui se distingue de ceux d'êtres humains, de marques ou d'œuvres d'art (titres de tableaux, de romans…) en ce qu'il désigne non un individu unique mais un nombre a priori illimité de marchandises identiques. (p. 184)

Vaxelaire (2001 : 260) dans le cadre de sa thèse pointe cette absence de distinction Nmq/Npd et reproche à Rey-Debove de les confondre. Leroy (2004) considère que noms de marques et noms de produits sont des antonomases, analyse reprise également par Laurent (2006). Notre préférence va plutôt à l’hypothèse d’un construit morphologique.

Dans les ouvrages de synthèse sur le nom propre (Jonasson 1994 ; Gary-Prieur 1995 ; Leroy 2004), le nom de marque est évoqué comme un lieu d’observation intéressant :

On peut progresser dans la connaissance du domaine du Npr en faisant des observations empiriques : l’analyse de détail de telle construction, la mise en évidence des propriétés spécifiques aux différentes sous-classes (qu’est-ce qui distingue les patronymes des prénoms ? Comment se comportent les noms de marques ? etc.) (Gary-Prieur 1995 : 100)

Mais la plupart du temps, même si la différence est pointée, la distinction entre nom de marque et nom de produit n’est pas faite clairement. Il nous paraît pourtant indispensable de distinguerle statut de ces deux types de noms.

4.2. Onomastique commerciale et systèmes dénominatifs