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Le catalogue et les médias de masse

Macro-structure du catalogue de jouets

Chapitre 2 La communication catalogue Le catalogue présente un dispositif particulier par rapport aux textes

2.2. Le catalogue et les médias de masse

Si par certains aspects, la communication catalogue peut s’inscrire dans la communication de type mass media, par d’autres aspects elle semble avoir un statut à part.

2.2.1. Une communication « un/tous »

La communication en jeu dans le catalogue est une communication de type « un/tous ». Une entité émettrice s’adresse à tous les récepteurs disponibles. Le catalogue de jouets, distribué à des millions d’exemplaires chaque année, par le nombre de récepteurs touchés, pourrait s’inscrire dans la catégorie des médias de masse (ou mass media) concept théorisé par le sociologue Marshall Mc Luhan, au même titre que les prospectus, les affiches, les journaux, les magazines, la radio, la télévision, le Web. Les médias de masse sont les instruments de la communication de masse, cette dernière étant « un processus social qui fait usage de ces outils » et plus précisément « le processus social particulier qui se réalise en faisant appel à la masse de l’audience, aux communicateurs et à la pratique communicationnelle » (Lazar 1991 : 9).

Schéma 4 – La communication de masse (Lazar 1991 : 9)

Le concept de masse de l’audience, outre la connotation de quantité (largeur) se définit plus précisément selon deux autres composantes :

hétérogénéité sociale des membres (appartenance à différentes couches sociales),

anonymat des membresqui ne sont ni individualisés les uns par rapport aux autres ni organisés (il n’y a pas d’interaction entre eux). Les communicateurs, en revanche, forment un groupe organisé et mettent tout en œuvre pour que la communication soit efficace.

La communication de masse, par ailleurs, se réalise à travers une pratique

communicationnelle qui se distingue d’autres communications par trois spécificités :

• à la différence d’autres communications comme la lettre ou l’appel téléphonique, elle est publique et non privée ;

elle est caractérisée par la rapidité : il s’agit, par la télévision, la radio, les journaux, de toucher le plus rapidement possible le plus grand nombre de gens ;

elle est éphémère, caractère lié à la rapidité : dans la mesure où le message vaut surtout pour ici et maintenant, il a une durée de vie limitée.

De cette définition de la communication de masse comme pratique communicationnelle émanant d’un groupe organisé, on peut en déduire une certaine stabilité des productions. On peut poser que les mass media possèdent dans notre société un « ensemble particulier de normes institutionnalisées qui les relient à l’audience et à leurs lecteurs, et des formes spéciales de contenu. » (Lazar 1991 : 13).

Si l’on observe les trois composantes de la communication de masse : masse de l’audience, communicateurs et pratique communicationnelle, on peut considérer que le catalogue relève de la communication de masse. Il est diffusé

COMMUNICATION DE MASSE (PROCESSUS SOCIAL) MASSE DE L’AUDIENCE COMMUNICATEURS PRATIQUE COMMUNICATIONNELLE – largeur – hétérogénéité – anonymat – publique – rapide – éphémère

anonymes appartenant à différentes couches sociales, sans distinction aucune (il suffit de posséder une boîte aux lettres). Les communicateurs, appartenant à la sphère commerciale forment un groupe organisé avec des visées clairement définies (il s’agit de faire acheter des produits/jouets). Le critère de rapidité propre à la pratique communicationnelle est plus discutable lorsqu’on le confronte au catalogue. Le catalogue émanant de grandes surfaces de vente est distribué à une date t et le lecteur dispose d’une période assez longue (3 à 6 semaines) pour le consulter et effectuer un choix en se rendant au magasin. S’il s’agit d’un catalogue de V.P.C., la validité du catalogue est généralement de six mois à un an. On peut seulement poser que l’offre et donc la communication est limitée dans le temps et est relativement éphémère de ce point de vue.

Reste la question du feedback, qui n’est pas mentionnée par Lazar, et qu’il nous paraît important d’aborder ici afin dedécrire plus précisément l’arrière-plan communicationnel du catalogue. Le feedback, terme issu de la cybernétique, désigne le retour en information (ou en énergie) de l’output sur l’input le long d’une chaîne d’action. De manière générale, il est admis que la communication de masse, mis à part le courrier des lecteurs ou autres interventions d’auditeurs à l’antenne, autorise peu le feedback. Bien souvent on limite la manifestation de feedback à une réaction langagière mais le feedback peut être autre : l’achat du jouet présenté dans le catalogue peut être considéré comme un feedback. On rapprochera cette notion du concept d’attitude responsive active proposé par Bakhtine (1984 : 274-5). Dans une situation de communication, le destinataire peut donner une réponse qui n’est pas forcément verbale. La compréhension du message/énoncé est elle-même considérée comme une première étape, la

compréhension responsive active. Au final, l’achat du jouet peut être considéré comme une réponse par acte à retardement qui marque une attitude responsive active.

2.2.2. Un objet affectif de la sphère privée

Si le catalogue peut, par la plupart de ses caractéristiques, être analysé comme une production émanant de la communication de masse, sa réception dans les foyers – dans la sphère privée – le distingue d’autres documents comme les prospectus publicitaires.

Une brève incursion dans l’histoire des catalogues de vente par correspondance est instructive sur certains points. S’appuyant sur les rapports de recherche réalisés récemment pour le Red Deer and District Museum de l'Alberta et le Fraser-Fort George Museum de Prince George, Cole (2000) retrace en particulier l’histoire du catalogue Eaton au Canada. La firme Eaton propose tous

les produits possibles, possède de nombreux magasins et un service de vente par correspondance. A partir de la fin du XIXème siècle et pendant de nombreuses années, Eaton publie des catalogues saisonniers, quelques catalogues spécialisés, des éditions ponctuelles comme le catalogue Klondike (1898) et celui des pionniers (1903), et bien d'autres. Ces publications présentent des choix « de maisons, de granges, de papiers peints, de peinture, de luminaires, de partitions, de livres, de semences et de produits d'épicerie ». Certaines comptent seulement 32 pages ; d'autres sont plus volumineuses. Le catalogue de Noël, (l'Eaton's

Christmas Book 1956) publié pour la première fois en 1897, est au début assez mince (8 feuilles) puisqu’il s’agit d’un catalogue dit saisonnier.

Illustration 13 – Catalogues de jouets de la firme Eaton (Canada : 1897, 1905, 1956,1975)

Il ne cesse de s’épaissir et dans les années 1950, il devient un véritable « livre de souhaits » de plus de 200 pages (incluant, outre les jouets, tous les produits destinés aux enfants et adolescents : vêtements, livres, équipement sportif, matériel d’art et artisanat…). Cole souligne que, même à partir des années 50, alors que de nombreux magasins locaux ont ouvert leurs portes et alors que la gamme des produits offerts à la vente s’est étendue, le catalogue d’Eaton reste largement plébiscité.

Des témoignages issus d’enquêtes montrent la relation affective au catalogue, à la fois véritable « fenêtre sur le monde extérieur » et support de rêves, non seulement dans les milieux ruraux mais également parmi les citadins.

Une femme, qui a élevé huit enfants vers la fin de cette décennie, raconte : « Nous regardions beaucoup le catalogue, surtout pendant la période des fêtes. […] À Noël, il était presque tout abîmé parce que les enfants l'avaient feuilleté et y avaient choisi des choses. Ils n'ont pas toujours reçu l'objet convoité, mais ils en rêvaient. » 20

Fortement implanté dans la sphère privée, le catalogue bénéficie de conditions de réception particulières par rapport aux autres documents publicitaires de la sphère commerciale. Ceci est lié en partie à son histoire,

comme en témoigne en France le célèbre catalogue MANUFRANCE (Petitot 1979). Il faut donc moduler la position prise plus haut qui considérait le catalogue comme une communication de masse. Le rapport au catalogue n’est pas du même ordre que celui que le consommateur entretient avec d’autres médias dits de masse. Tout d’abord, le rapport au catalogue s’inscrit dans une certaine durée, ensuite le récepteur n’est pas uniquement passif comme il l’est devant le journal ou la télévision : il peut se servir du catalogue comme outil, pour obtenir l’objet convoité comme le montre la citation ci-dessus. C’est peut-être, en partie, ce qui explique la relative stabilité de ce type de document tant au plan de la structure que du contenu informationnel.