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Suffixation et pseudo-suffixation

Un système dénominatif

Chapitre 5 La formation des noms de jouets L’objectif de ce chapitre est d’étudier les modes de formation des noms de

5.2. Les noms de jouets construits par dérivation

5.2.2. Suffixation et pseudo-suffixation

La suffixation est utilisée le plus souvent, dans les noms de jouets, à des fins expressives. D’un côté des suffixes ou pseudo-suffixes hypocoristiques en /i/ ou en /u/à connotation affectueuse, de l’autre des suffixes (ou de simples finales) plus dispersés mais qui ont comme point commun de « faire savant », pour nommer des jeux éducatifs ou artistiques.

48 Raider ‘agent qui accomplit un raid’.

Le suffixe –y (/-i/)

Le suffixe anglais -y permet de former des adjectifs dénominaux méronymiques (smoke  smoky ‘enfumé’) et aussi des diminutifs (Thomas 

Tommy). SCOOTY appartient à cette dernière catégorie : il est construit à partir de

scooter par dérivation substitutive, le suffixe -y se substituant au suffixe -er. PINKY, SPIKY, XOOMY, LOVIES sont des noms mais se rapprochent des précédents. PINKY est un jeu de société dont le héros est un cochon, forcément rose (pink).

SPIKY étant un perroquet parlant, on peut supposer que spik- est une francisation graphique de (to) speak ‘parler’49. XOOMY est un appareil à dessiner comportant un zoom : la base a subi une modification phonique – /z/  /gz/ – et graphique – z  x. Les LOVIES sont des peluches (maman avec son bébé et plusieurs éléments en forme de coeur). LOVIES est donc le pluriel de lovy (comme ladies celui de

lady) et le tout est plein d’amour (love). Sur le plan catégoriel, on peut remarquer qu’à partir du moment où l’opération sémantique est de type méronymique ou métonymique, la base peut être indifféremment nominale, verbale ou adjectivale. Les suffixes en /-u/

Le suffixe -ou est à l’origine une francisation de l’équivalent occitan du suffixe -on (même graphie, mais prononcé /u/). Il est utilisé principalement dans des formations familières ou hypocoristiques (bisou), en particulier dans les « diminutifs » de prénoms : Philou (Philippe), Michou (Michel / Michelle), Nanou (Anne), Zizou (Zinedine Zidane)… Dans l’onomastique commerciale, il a tantôt des connotations ‘terroir’ (le saucisson COCHONNOU…), tantôt des connotations douces et affectueuses. Ce sont évidemment ces dernières qu’on trouve dans les noms de jouets.

LUMINOU est un nom de gamme de la marque Jemini qui entre dans la composition des NJ : FAUTEUIL LUMINOU + PELUCHE 18 CM, PANTIN LUMINOU 35

CM, VER LUISANT LUMINOU. Il s’agit de peluches lumineuses. La dérivation est substitutive : le suffixe -ou se substitue au suffixe -eux. Par ailleurs, LUMINOU est proche (graphiquement) de l’anglais luminous. La transparence dans plusieurs langues est une motivation importante lors de la création du nom. Proches des diminutifs : Max  MAXOU (dans MAXOU LE TIGRE), tigre  TIGROU (dans

ANIMATRONIQUE TIGROU, LES AVENTURES DE TIGROU, LA MAISON TRONC DE TIGROU, MON TIGROU PARLANT, PANOPLIE TIGROU, TIGROU CALIN).

On rencontre une variante du suffixe -ou : la forme -oun(e) qu’on relève dans le baby talk (moumoune, coucoune) et comme interfixe dans tristounet ou dans d’autres secteurs de l’onomastique commerciale (GRATTOUNETT’). Dans notre corpus, ZIGOUNET est le nom d’un poupon de sexe masculin qui fait pipi (il figure d’ailleurs également sous le nom de ZIGOUNET PIPI dans l’un des catalogues). C’est à la fois un dérivé de zig(ue) ‘individu’ avec -oun- comme interfixe et le suffixe -et, et une formation méronymique par inversion du genre50

à partir de zigounette, une des nombreuses dénominations hypocoristiques du sexe d’un garçonnet, pour désigner un poupon dont cet attribut est la principale caractéristique.

Autres variantes : la graphie anglicisée -oo, par exemple, dans SOLEILOO

(hochet en forme de soleil). Et peut-être une combinaison de celle-ci avec la précédente dans BABOON.

Illustration 23 – BABOON

Baboon signifie ‘babouin’ en anglais, mais le signifié ne saute pas aux yeux, la peluche de la marque LANSAY étant assez éloignée de la représentation que l’on se fait d’un babouin. On pourrait proposer une suffixation sur la base baby avec substitution de -oon à -y.

Certains NJ ne relèvent pas de la suffixation mais utilisent le son /u/ pour ses connotations, en intégrant en particulier des formations à redoublement (chouchou, doudou51, toutou) : ROCK A BYE CHOUCHOU, LAPIN DOUDOU MOUSSAILLON, LES RIDOUDOUX, MOBILE DOUDOU COLOR, SERIE DOUDOU EPONGE,

POWER TOUTOU PATACHOU CIEL, BOUBOU LE PANDA, CHOU JUNGLE, VALET

50 Et un des rares exemples de dérivation de ce type qui parte du nom de l’objet (féminin) pour donner celui du personnage (masculin) ; en général, c’est l’inverse : Guillotin  guillotine,

cordelier  cordelière, etc. (cf. Roché 1994).

51 Parmi les noms d’« objets transitionnels » inventoriés par Rézeau & Rézeau (1992), doudou n’est pas le seul où revienne le son /u/ : on trouve aussi boubou, chouchou, chouchouille, coucou,

coucoune, foufou, loulou, moumoune, moumoute, nounou, nounoune, poupou, soussou, toutouille, toutoune.

TOUDOU, LILOU, COFFRET TIDOO, COFFRET TITOO. Ils seront examinés lors de l’analyse des composés.

Le suffixe -os

On peut rapprocher le suffixe -os (CANARDOS, HORRIBLOS) du suffixe argotique que l'on trouve, par exemple, dans matos ‘matériel’, gratos ‘gratuit’,

calmos ‘calme’, ou encore coolos (sur la base anglaise cool). Dans HORRIBLOS, la base est l'adjectif horrible. Le jouet est une machine qui permet de fabriquer des bonbons en forme de mygales ou autres insectes repoussants. Le choix du nom est donc motivé : est horrible ce qui est produit par la machine. Dans CANARDOS, on reconnaît la base canard sur laquelle vient se greffer le suffixe (ou pseudo-suffixe) -os. Cette finale -os peut évoquer celle de guérilléros. En ce qui concerne la base, on peut penser au verbe familier canarder ‘tirer d’un lieu où l’on est à couvert (comme dans la chasse aux canards)’ car sur l’emballage est représenté un canard qui tire à l’arbalète. Mais il se peut aussi que la terminaison soit interprétable comme le pluriel de canardeau avec altération graphique. Canardos est plus « iconique » que canardeaux. Toujours est-il que le suffixe -os apporte une connotation canaille qui n’est pas incompatible avec cette famille de canards à la Daffy Duck.

Les suffixes « ethnico-culturels »

A l’opposé des précédentes, on trouve une série de dénominations qui, pour des jeux éducatifs, font appel à des suffixes (ou pseudo-suffixes) qui cherchent à provoquer des associations avec l’univers culturel ou artistique, tout en conservant une dimension ludique.

Dans VOCABULON, on reconnaît la base nominale française vocabulaire (ou latine vocabulum, ou anglaise vocabulary) et une terminaison -on. Il s’agit d’un jeu de société destiné à faire acquérir du vocabulaire. Comme le cyclotron produit des électrons, le VOCABULON aide à produire du vocabulaire. Le suffixe

-on peut donner une coloration pseudo-scientifique tout en inscrivant le mot dans un paradigme ludique, puisque VOCABULON – qui rime avec Zébulon52peut être lu comme la version enfantine des cyclotrons ou autres machines sérieuses des adultes.

Dans COMPOSIO, jeu dans lequel il faut composer des mots, la finale -io peut faire penser au suffixe diminutif familier de coffiot ‘petit coffre’, maigriot,

etc. Mais comme la base est un verbe, peut-être s’agit-il d’une latinisation fantaisiste de la première personne du présent, forme sous laquelle on désigne les verbes latins – COMPOSIO ‘je compose’. Et COMPOSIO rappelle tertio et deusio, autres latinismes plus ou moins authentiques.

Pour MOTUS,un jeu où il s’agit de trouver des mots sans faire d’erreur sous peine d’être réduit au silence (c’est à l’origine un jeu télévisé), la volonté de « faire latin » est évidente. Comme dans l’interjection motus (et bouche cousue !), c’est une « latinisation plaisante de mot » (GRé), qui vient du latin populaire

mottum. En affublant mot de la terminaison latine -us, MOTUS renvoie à la fois à

mot et à l’interjection motus : il s’agit de jouer avec les mots sans dire un mot ! Latin encore dans AQUARELLUM, tandis qu’avec DESSINETTO on passe logiquement à l’italien puisqu’on est dans le domaine artistique. -ellum et -etto sont d’authentiques suffixes diminutifs, mais ils sont utilisés ici de façon peu orthodoxe. TRIOLET – un jeu dont le but est de former des sommes égales à quinze avec trois jetons – est plus régulier, puisqu’il est formé comme triolet ‘poème à forme fixe’ et triolet ‘groupe de trois notes d’égale valeur’, ou quintolet, sextolet (autres termes de musique), TRIOLET est construit sur tri- ‘trois’ avec le suffixe -et et l’interfixe -ol-53.

Le « suffixe » -rama, enfin, a été formé à partir de la finale de panorama. Il s’agit en fait d’une fausse coupe, panorama se décomposant en pan ‘tout’ et

-orama ‘vue’, ‘vision’. Cela n’a pas empêché -rama d’acquérir le statut hybride entre suffixe et élément de formation (diaporama, cyclorama, TELERAMA…). Dans notre corpus, COLORAMA (un jeu basé sur l’association formes/couleur) est formé de cette façon sur color-, qui est à la fois l’allomorphe savant de couleur dans de nombreux dérivés (colorer, coloris, colorier…) et son équivalent anglo-américain.

Les NJ obtenus par suffixation s’écartent-ils des modèles rencontrés en morphologie lexicale ? Oui, si l’on considère qu’une opération de suffixation est strictement définie par le type de base sélectionné et par la stabilité instructionnelle du suffixe (par exemple, on dira que le suffixe -eur sélectionne des bases verbales pour construire des noms d’agent). Pas tant que cela si l’on considère l’ensemble des dérivés et leur mode de production. Par exemple, VOCABULON, CANARDOS ne sont pas plus aberrants que les noms d’animaux, de

53 Dans triolet ‘trèfle rampant’, le segment -ol- est étymologique (lat. trifolium). Ce nom a pu influencer ses homonymes, mais il ne suffit pas à expliquer leur formation, ni celle de quintolet et

sextolet. On retrouve l’interfixe -ol- dans guignolet, prestolet, sans doute escarpolette. Chez Rabelais, le sirop vignolat est le jus de la treille (cf. Roché 2005 : 82).

métaux, d’inventions, etc. construits sur un Npr à partir d’un rapport anecdotique et en dépit de l’instruction du suffixe : robinier sur Robin (comparer à pomme 

pommier ‘arbre qui donne des pommes’), curium sur Curie (comparer à magnésie  magnésium ‘métal extrait de la magnésie’), morphine sur Morphée (comparer à

café  caféine ‘principe actif du café’).

Cependant il est difficile d’attribuer à certains suffixes rencontrés dans le corpus (-ellum, -etto) un réel contenu sémantique, au delà d’une vague connotation « savante » ou autre… Ces procédés font pourtant sens et sont productifs en onomastique commerciale où l’on rencontre des suffixes à instruction « connotative » (VIENNETTA, DANETTO PALMITO, GERVITA DIORELLA,

DUNLOPILLO DEPURATOR, ENERGIZER) voire des finales très éloignées du suffixe de la morphologie traditionnelle (BANANIA

,

SEMOULIA

,

BONUX

,

KREMLY,

DEODORIL

,

FRUTOS

,

PEDALO

).

Ces procédés doivent donc être étudiés au même titre que les autres.

La suffixation reste néanmoins très peu productive dans le domaine du jouet (si l’on considère que notre corpus en est un échantillon représentatif) alors qu’elle est largement utilisée, en onomastique commerciale, pour les noms de produits du domaine de l’alimentaire ou encore de la droguerie. C’est donc l’inverse de ce que nous avons observé pour la préfixation. Tandis que celle-ci joue sur l’intensité du message, le suffixe semble inscrire le nom dans un paradigme référentiel et connotatif. Dans notre corpus, pour le type d’objet vendu, l’ensemble des connotations joue un rôle important, car elles inscrivent le jouet dans un type d’univers (doux, tonique, gai, technologique…). Mais on verra plus loin qu’il existe d’autres moyens que la suffixation (lexicaux essentiellement).

Les deux procédés s’adaptent aux schèmes de nomination sous-jacents : pour la préfixation, un préfixe de quantité en emploi évaluatif (super, maxi, mega) sur une base qui est l’hyperonyme du jouet (ou dont le N tête est hyperonyme du jouet) ; pour la suffixation, une base exprimant une des caractéristiques du jouet et qui subit une dérivation sémantique (par métonymie ou par analogie) pour constituer le nom de jouet, complétée par un suffixe qui ajoute une connotation expressive.