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Intégration et perception des anglicismes

Un système dénominatif

Chapitre 5 La formation des noms de jouets L’objectif de ce chapitre est d’étudier les modes de formation des noms de

5.6. Questions transversales

5.6.2. L’apostrophe dans les NJ

5.6.3.2. Intégration et perception des anglicismes

L’intégration des anglicismes au lexique français est très variable. La perception, par le lecteur du catalogue, de ceux qu’on trouve dans les NJ est conditionnée par leur degré d’éloignement par rapport au français. On peut distinguer plusieurs cas de figure :

– Les « vrais amis ». Le mot anglais et le mot français ont la même graphie et grosso modo le même sens : action, mission, surprise, cycle, tricycle,

crocodile, dragon, machine, camp, base, forces, de luxe… Dans ce cas, il ne s’agit pas forcément d’anglicismes. Compte tenu de l’interpénétration du français et de l’anglais dans les NJ, ils peuvent appartenir aussi bien à l’une ou l’autre langue.

90 Dans certains cas, la graphie pourrait lever l’ambiguïté : le français met un trait d’union à

Mais en contexte anglais ils seront immédiatement compris. Entrent également dans cette catégorie un certain nombre de préfixes (maxi-, super-, hyper-).

– Les « presque vrais amis ». Le mot anglais est très proche du mot français graphiquement : ball, joy, line, center, space, power, system, dance,

music, rebound, attack, trophy, monster, viper, tiger, panther, taboo, typhoon, tornado, explorer, orchestra, formula, galaxy, family, archery, advance, adventure, mechanic, arctic… Il sera lui aussi immédiatement reconnu et compris.

– Les emprunts déjà lexicalisés (en donnant à ce mot le sens ‘appartenant au lexique’) : flipper, baby-foot, basket-ball, skate-board, kart, glamour, set,

kitchenette, nursery, scanner, star, clown, ranch, rodeo, challenge, design, baby, mini-… Ils rejoignent la première catégorie mais gardent une coloration anglaise importante pour les connotations qu’elle comporte. On peut y ajouter, pour cette raison, les faux anglicismes comme camping-car.

– Les emprunts plus récents, moins intégrés à la langue que les précédents, mais déjà familiers à une partie au moins des locuteurs : laser,

scanner, rollers, quad, quiz, playstation, fun, funky, soft …

– Les mots anglais très courants : boy, girl, man, friend, farmer, master,

dog, foot, city, land, car, market, darling, love, play… Ils sont connus et compris de la plupart des locuteurs, même non anglophones, parce qu’ils apparaissent constamment dans des titres de films, des chansons, ou dans des mots construits déjà empruntés. Le Grand Robert mentionne -man comme « élément tiré de l'angl.

man ‘homme’ […] qui figure dans un certain nombre d'emprunts et de faux anglicismes. Ex. : bluesman, rugbyman, tennisman ». Sans avoir été emprunté en tant que lexème, man figure de fait dans le lexique français. Dans le cas de boy, il y a plus de chances, paradoxalement, que le mot soit perçu par un jeune français avec son sens anglais que dans ses acceptions enregistrées en tant qu’emprunts dans les dictionnaires (‘jeune domestique indigène’, ‘danseur de music-hall’).

– Les mots anglais opaques pour un locuteur qui n’a pas appris la langue : squad, truck, bike, fire, hawk, shark, thunder, boggle, raider, walker,

dark, tricky, (to) scrabble, (to) drive… En font partie certains emprunts anciens peu diffusés comme roadster.

– Les formations néologiques, qui peuvent être opaques même pour ceux qui connaissent l’anglais : megazord hawkeye, prosilver, powerplay, robodrive,

bobslide, megasketcher, grabers, lovies…

Dans ces formations, il est bien difficile de distinguer entre emprunt et composition (ou construction des mots en général), deux voies d’enrichissement du lexique bien distinctes en morphologie. En synchronie, d’un point de vue

fonctionnel, est réputé mot construit un mot dont la compositionnalité est perçue par le locuteur, parce que ses formants sont présents dans la langue. Peu importe que football club ait été emprunté tel quel ou construit en français, puisque

football et club sont séparément intégrés au français. Mais il semble, au vu de ce qui précède, qu’il faille ajouter à ces formants des éléments restés étrangers mais qui sont néanmoins compris du locuteur et n’entachent pas la perception de la compositionnalité du mot construit (ou pas plus que celle de lexèmes bien français mais peu familiers du locuteur et qui sont compris de façon approximative). On observe d’autre part que, même si la structure des composés reste majoritairement française, l’ordre inverse à commencé à s’introduire.

L’onomastique commerciale tire parti habilement de cet état de fait. En intégrant massivement des éléments anglo-saxons ou angloïdes qui, paradoxalement, sont à la fois familiers et exotiques, elle joue simultanément sur tous les tableaux : elle ne prend pas trop de risques puisqu’ils sont généralement compris ; et elle bénéficie de la séduction que cet univers exerce sur les acheteurs.

5.7. Conclusion et perspectives

Nous nous sommes appuyée sur les propositions de Roché (à paraître) qui constituent une réflexion d’ensemble visant à donner des moyens concrets et des outils d’analyse pour rendre compte des mécanismes de construction du lexique. Nous en avons retenu les grandes lignes et avons tenté de les appliquer par analogie au classement des observations de notre corpus. Nous avons fait certains raccourcis mais le but était de disposer d’une grille d’analyse (à gros tamis) pour opérer par la suite un premier classement des productions rencontrées en onomastique commerciale. Pour faire un bilan des outils explicatifs mobilisés, nous aurons recours à deux schémas. Nous avons construit le premier schéma en reprenant l’analyse de la construction des noms d’arbre effectuée par Roché (ibid.). La classe référentielle est constituée des éléments du monde à nommer (‘les arbres’). Elle peut contenir des mots construits ou des mots non construits (sapin, chêne) ou plus exactement non analysés comme construits en synchronie puisque c’est le point de vue choisi.

Schéma 10 – Système dénominatif (ex : noms d’arbres)

On peut considérer que l’on applique un schème de nomination à la catégorie (référentielle) nommée par le lexème base pour obtenir la catégorie du nom construit. On pose une fonction Sn, l’indice n signifiant qu’il peut exister plusieurs fonctions différentes. Il s’agit donc de rapports entre référents (départ  arrivée) matérialisés par le lexème base et le lexème construit.

S1 (catégorie base) = catégorie mot construit S2 (catégorie base) = catégorie mot construit …

Sn (catégorie base) = catégorie mot construit

Dans l’exemple (schéma 10), le schème de nomination (S1) est ‘proto-agent91 d’un procès dont le Nbase est le résultat’. On voit que certains éléments de la classe référentielle ‘arbre’ sont nommés selon ce schème (arbre à caoutchouc,

pommier, prunier).

Pour rendre compte de la classe lexico-morphologique, on peut considérer que la classe est obtenue en appliquant une fonction Mn qui transforme le lexème base en lexème construit. On simplifie ici : on a vu que cette fonction se subdivisait elle-même en opérations catégorielle, sémantique, formelle. Ainsi la

91 La notion de proto-agent a été empruntée par Roché (à paraître) à Dowty (1991). Elle permet de regrouper plusieurs rôles sémantiques et évite de les spécifier dans une première approche.

pommier prunier arbre à caoutchouc fromager sapin chêne

Classe référentielle (R) ‘arbres’ Classe schème de nomination

(S1) ‘proto-agent d’un procès dont le Nbase est le résultat’

Classe lexico-morphologique (M1) ‘Dérivés en -ier’ fraisier potier équipier machine à café

classe des dérivés en -ier est définie par trois éléments : catégorie nominale pour le lexème base et le lexème construit, la sémantique associée au suffixe -ier est stable (on pose plusieurs classes de dérivés en -ier justement à cause des différences de sens : contenu/contenant (compote/compotier), résultat procès/proto-agent (poire/poirier)…). Pour tenter de classer les observations recueillies, on adaptera à l’analyse des noms de jouets et des noms de marques de jouets le même mode d’analyse résumé dans le schéma 11.

Schéma 11 – Système dénominatif appliqué à une classe référentielle quelconque

L’ensemble représentant la classe référentielle est en trait plein pour signifier que cette classe est fixe. Les deux autres classes sont en pointillés pour montrer que c’est la somme et la combinaison de ces deux classes qui permettent de former l’ensemble des mots construits relatifs à cette classe référentielle. Pour restituer l’ensemble des dénominations (‘arbres’, ‘jouets’) on peut admettre que l’on peut faire défiler l’ensemble des schèmes de nomination possibles (S1…Sn) ainsi que l’ensemble des classes lexico-morphologiques disponibles (M1…Mn). Un même schème de nomination peut concerner plusieurs classes morphologiques et inversement. Lorsqu’il s’agit de dérivés, la classe morphologique varie en même temps que la classe du schème ce qui est logique car l’instruction ou le contenu sémantique associés au suffixe coïncident avec le schème de nomination (résultat procès/proto-agent (poire/poirier)…).

Les grands types de formats dénominatifs sont presque tous représentés dans notre corpus (composition, dérivation…), ils correspondent aux différents

Classe référentielle ‘arbres’, ‘jouets’…. Classes schème de nomination

S1 …Sn

Classes lexico-morphologiques M1…Mn

procédés en usage pour la formation du lexique. Pour rendre compte de la construction des noms de jouets on aura recours aux classes lexico-morphologiques (Mn) que l’on peut spécifier plus ou moins selon les besoins explicatifs.

Classes lexico-morphologiques Exemples Endocentrique [NAdj], [NN], [NNpr]

Comp.syntagmatiques

MOBILE CELESTE, BALLON SAUTEUR,

BEBE PROMENADE, BABY SOPHIE MON PREMIER TABLEAU

COMPOSITION

M1

Exocentrique [VN]

[NN], [NAdj]… Comp.syntagmatiques

CROQUE-CAROTTE, CHASS’TAUPES BEBE-GYM, NUIT ENCHANTEE MES PREMIERS GRIBOUILLIS

Affixale Préfixation SUPER GARAGE

Suffixation SPIKY, SOLEILOO

Non affixale Conversion92 TABOO

Dérivation sémantique HIBOO, AQUARIUM, SAVAGE

DERIVATION

M2

Dérivation délocutive CREE TES BIJOUX, PATATRAS! Troncation EDITO

AUTRES

M3 Réduplication WEB WEB, YANO YANO Tableau 9 – Formats dénominatifs des NJLEX

Dans le tableau 10, nous regroupons les observations faites relativement à l’écart constaté dans l’utilisation des procédés « classiques » de la morphologie constructionnelle. Nous notons norme + dans le tableau l’utilisation qui présente le moins d’écart. Sur une échelle de 0 à 4 nous situons cet écart en stipulant chaque fois à quel phénomène l’imputer. Par exemple, pour le procédé de la dérivation suffixale, l’écart à la norme est dû à une instruction catégorielle et/ou sémantique différente de celle attribuée habituellement au suffixe.

norme + Composition norme -

Troncation de formants Mots-valises Ordre DaDé

norme + Préfixation norme -

norme + Suffixation norme -

Instructions sém. et catégorielle du suffixe

Suffixoïdes

norme + Réduplication norme -

norme + Troncation norme -

Tableau 10 – Ecart à la norme des formats dénominatifs des NJLEX

Pour l’instant, nous proposons de calculer l’écart à la norme en affectant à chaque NJ un écart allant de 0 à 4 par rapport à la norme de formation des mots. Nous faisons ensuite la moyenne des NJ par case pour les cinq types d’écart envisagés. Tous les types d’écarts seront cependant examinés car ils peuvent initier une tendance en devenir dans le champ de la construction du lexique. Le traitement des données pourrait sans doute être amélioré par un traitement statistique plus adéquat à la gestion des écarts.

Nous regroupons dans le tableau 11 les observations réalisées sur les schèmes de nomination relevés dans notre corpus. On a regroupé en quatre grands types les schèmes identifiés. Ce tableau n’est pas exhaustif, il semble que d’autres schèmes puissent être mis au jour en fonction des classes référentielles observées. Le plus souvent on observe une combinaison de deux schèmes (comme dans MA COIFFEUSE qui combine un schème descriptif (objet du monde adulte) et énonciatif (1ère personne).

Schèmes de nomination Exemples Objet monde adulte

Nom générique jouet

ASPIRATEUR CHEVAL A BASCULE

Forme SOLEILOO, TRIOMINOS

Fonctionnalité SPIKY, XOOMY, LUMINOU

Descriptif/dénotatif S1

Autre caractéristique TABLEAU DOUBLE FACE

Anthroponymes MATHILDE, MISTER PIANO

Appellatif

S2 Création POO-CHI

Utilisation (procès) Principe du jeu

DESSINETTO, JE DESSINE ET JE COLORIE CROQUE-CAROTTE, BLOKUS

Agent LES BATISSEURS

Lieu de l’activité SUPERMARCHE

Actantiel S3

Bénéfice NUIT ENCHANTEE

Enonciatif MA COIFFEUSE

Evaluatif LE VRAI TELECRAN

Stéréotypique BEBE AH REU

Intertextuel BEBE DO BLANC, BEBE BISOUS D’AMOUR

Evocateur AQUARELLUM, CANARDOS

Scénographie énonciative

COUCOU, ME VOILA !, SALUT LES PINGOUINS !!!

Associatif S4

Création d’univers SURPRISE LAND Tableau 11 – Schèmes de nomination NJLEX

Les outils de la morphologie nous ont permis de dégager plusieurs constantes pour la formation des NJ. La composition est le procédé de formation privilégié, mais tous les autres sont également utilisés. Ils le sont, le plus souvent, conformément aux « règles » de la morphologie constructionnelle. Les écarts sont souvent liés à la tendance à tronquer les formants, en particulier dans les composés (ce qui peut poser des problèmes quant à l’identification catégorielle du formant). La préfixation présente un fonctionnement assez proche de ce qu’elle

catégorielle attachée aux suffixes, ou avec les suffixes eux-mêmes (qui souvent n’en sont pas). La composition présente un visage très diversifié à cause de la forte présence de l’anglais, dans le choix des formants mais aussi dans celui des structures (ordre DaDé vs DéDa).

L’ensemble des NJ présente une hétérogénéité assez marquée et il faudrait procéder à des regroupements par sous-classes référentielles pour vraiment observer des ressemblances. En dépit de cette hétérogénéité apparente, on peut considérer que l’ensemble des noms de jouets forme une sorte de paradigme dénominatif, relativement à une situation de communication donnée.

Pour terminer, on peut envisager de relier la notion de genre plus traditionnellement convoquée pour les « textes » – aux systèmes dénominatifs et plus loin à la morphologie. Cette mise en relation s’effectue grâce à la notion de schème de nomination. En effet, nous avons montré dans le domaine du jouet que la visée de la communication conditionnait les choix de schèmes dénominatifs tout comme elle conditionne les choix d’expression (à plusieurs paliers) pour le texte (on le verra dans la troisième partie).

Enfin, une telle grille d’analyse peut être utile pour l’étude d’autres paradigmes dénominatifs dans la sphère des noms propres : noms de tableaux, noms de bateaux, noms de villas, noms de groupes de musique, etc. et, dans l’onomastique commerciale, les noms de produits et de marques dans leurs domaines respectifs (alimentaire, parfums, voitures…). Elle présente l’intérêt de spécifier l’« air de famille » du paradigme en termes de formats (composés syntagmatiques avec déterminant défini pour les noms de sous-marins, par exemple) et de schèmes dénominatifs (noms évocateurs pour les noms de villas, par exemple).

Chapitre 6 La formation des noms de marques