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Macro-structure du catalogue de jouets

Chapitre 3 Le catalogue de jouets comme genre

3.2.1. Arrière-plans théoriques

Bronckart envisage le genre dans un cadre psycho-socio-discursif. Ses travaux prennent ancrage dans une conception du langage comme pratique langagière. Sa démarche explicative intègre les dimensions sémantiques, syntaxiques et pragmatiques. Il s’appuie entre autres sur Saussure, Wittgenstein et Bakhtine qu’il considère comme les précurseurs d’une approche interactionniste

du langage. Saussure et Wittgenstein attribuent au signe une « valeur d’usage social » et en font donc un instrument de communication. Le signe considéré comme une « entité processuelle » dépend de l’usage et le système de la langue est en interaction avec les systèmes sociologique, psychologique et discursif (Bronckart 2006). L’auteur a recours plus explicitement aux propositions de Vygotsky pour sa conception du langage comme « instrument majeur de l’activité humaine sous-tendu et organisé par les conditions et les motivations mêmes de cette activité » (Bronckart 1985b : 18). Vygotsky s’est appuyé sur les études de philosophes (Marx, Engels), d’anthropologues, de linguistes et de psychologues pour examiner les systèmes de signes qui jouent un rôle dans l’organisation des processus mentaux de l’homme. La notion de « médiation sémiotique » est devenue centrale pour Vygotsky : langage et activité (ou conduite) humaine s’autodéterminent au plan des mécanismes sociaux. Il distingue médiation sémiotique décontextualisée et médiation sémiotique contextualisée et s’intéresse à la médiation par le langage en restant au niveau du mot. Même s’il n’a pas explicitement problématisé la notion de contexte au sens large, il rejoint Bakhtine par sa prise en compte dans la définition du sens d’un mot ou d’un énoncé. Pour Bronckart, Vygotsky et Bakhtine partageant sensiblement les mêmes options épistémologiques, les travaux du second sont complémentaires de ceux du premier. En effet Vygotsky n’a que peu abordé les aspects discursifs et syntaxiques de la langue alors que Bakhtine met en relation tous ces éléments en envisageant les différentes formes de discours comme des activités dialogiques (Bronckart 1985b : 17).

Biber (1988 : 6) se réfère à des auteurs à l’origine du concept de "context of situation", Malinowski puis Firth. Il s’appuie également sur des études plus récentes de sociolinguistes (Ferguson, Gumperz, Halliday, Hymes) portant sur la variation linguistique en fonction des situations sociales, des usages communicatifs et des groupes de locuteurs. Pour décrire un genre, Biber (1995 : 11) identifie trois composantes :

la description de la situation dans laquelle le genre est utilisé ; la description des caractéristiques linguistiques du genre ;

l’analyse des rapports fonctionnels ou conventionnels entre la situation et les traits linguistiques.

Le schéma ci-après montre que, les relations étant bidirectionnelles, les caractéristiques situationnelles influencent le choix des formes linguistiques et que les choix linguistiques participent à leur tour à créer la situation. Biber précise que les relations, même si elles sont figurées par des flèches simples, ne sont pas

Schéma 8 – Les trois composantes pour l’étude d’un genre/registre d’après Biber (1995)

Alors que Biber semble poser les paramètres situationnels comme des objets externes Bronckart en fait état en les incluant d’emblée dans les mécanismes de l’activité langagière, conformément à l’arrière-plan de l’interactionnisme social.

3.2.2. Articuler langagier et extralangagier

Pour Bronckart comme pour Biber, la prise en compte du contexte, des éléments extralangagiers est essentielle à la description des genres. Biber (1988 : 30-31) sélectionne un certain nombre de paramètres situationnels :

• les caractéristiques et rôle des participants ; • les relations entre les participants ;

• le format ;

• le cadre (physique, temporel…) ; • le thème ;

• le but ;

• l’évaluation sociale (événement communicatif, attitude du locuteur par rapport au contenu) ;

• la relation des participants au texte ; • le médium.

Les emplois du langage sont définis situationnellement et fonctionnellement. Biber (1988 : 35) s’appuie sur les travaux de Halliday et de Hymes et distingue sept fonctions majeures : fonction idéationnelle (densité informationnelle, présentation), fonctions textuelles (structure informationnelle, saillance, cohésion), fonctions personnelles, fonctions interpersonnelles (rôles, attitudes), fonctions contextuelles (temps, lieu, but, psycho), fonctions de

traitement, fonctions esthétiques (forme). Pour le choix des traits, Biber sélectionne les caractéristiques linguistiques qui représentent l'éventail des possibilités fonctionnelles de l'anglais (Biber 1988 : 211). D’autre part, Biber (1988 : 64) fait appel aux recherches déjà existantes sur les textes pour identifier les caractéristiques linguistiques potentiellement importantes.

Considérant que les textes varient en fonction des paramètres situationnels ou fonctionnels, Biber part du principe que de fortes co-occurrences de traits

SITUATIONAL FEATURES FUNCTIONS AND CONVENTION LINGUISTIC FORMS

linguistiques peuvent marquer des dimensions fonctionnelles. Les dimensions ne sont pas posées a priori mais sont nécessaires pour rendre compte de ces co-occurrences (Biber 1988 : 13). Ces dimensions constituent un continuum le long duquel se positionnent les textes concrets (donc les registres/genres tels qu’ils sont catégorisés dans le corpus). Cinq dimensions ont été mises au jour et conservées (une sixième dimension – la dimension on-line informational vs edited ou non

informational qui peut permettre d’opposer un éditorial à un roman de fiction par exemple – a été abandonnée dans les travaux postérieurs à 1988) :

1. production impliquée vs production informationnelle 2. orientation narrative vs orientation non-narrative

3. référence explicite vs référence dépendant de la situation d’énonciation 4. visée persuasive explicite

5. style abstrait

Chez Bronckart la description des paramètres extralangagiers est organisée en s’appuyant sur le principe des « structures profondes » sur lesquelles repose l’activité langagière. Ces structures sont mises en relation avec les formes linguistiques. Les paramètres extralangagiers sont divisés en deux groupes sur la base des théories énonciatives de Benveniste et de Culioli dont s’inspire Bronckart : l’« espace contextuel » et l’« espace référentiel ».

L’espace contextuel est étudié selon deux axes : l’« espace de l’acte de production » et l’« espace de l’interaction sociale ». L’espace de l’acte de production – qui correspond à l’énonciation au sens large – regroupe le producteur (ou locuteur), les coproducteurs (ou interlocuteurs) éventuels et l’espace-temps (équivalent au « canal » de la Théorie de l’information).

Pour décrire la façon dont les paramètres de l’activité sociale s’articulent à l’activité langagière, Bronckart s’inspire la théorie de l’interactionnisme social. L’« espace de l’interaction sociale » (inclus dans l’espace contextuel) sera donc défini selon quatre paramètres : le lieu social, le destinataire, l’énonciateur, le

but. Le lieu social est la zone de coopération dans laquelle se déroule (et à laquelle s’insère) l’activité langagière, c’est en gros l’institution sociale. Bronckart définit 11 valeurs pour l’interaction sociale : institution économique, institution

étatico-politique, institution littéraire, institution académico-scientifique, institutions de soins, institution de répression (justice, police), institution scolaire, institution familiale, institutions médiatiques, lieu des pratiques de loisirs, lieu des pratiques de contact quotidien. Le destinataire est la cible de l’activité langagière, le public visé. L’énonciateur est l’instance sociale d’où émanent les conduites verbales. Le

couple destinataire/énonciateur est à différencier du couple producteur/co-producteur dans la mesure où le premier couple est une représentation, un rôle ou encore l’expression de « places sociales » assignées au second. Au travers d’un seul producteur, plusieurs voix sociales peuvent s’exprimer, plusieurs rôles peuvent se superposer, dialoguer ou entrer en compétition. On abordera ce point au chapitre 10. La position du destinataire par rapport à l’énonciateur peut être soit dominante, soit dominée, soit neutre. Enonciateur et destinataire sont définis par trois champs : économique, socio-culturel, cognitif. Le but est l’effet spécifique de l’activité langagière sur le destinataire. Quatre types fondamentaux d’» intentions communicatives » sont définies : informer (transmettre des connaissances, des impressions), clarifier (aider à comprendre), activer (faire agir), créer un contact (ou le maintenir). A partir de ces sous-catégories de but on définit des sous-catégories d’actions langagières et des types de discours différents.

L’espace référentiel est décrit à partir de trois « primitives » psychologiques : les notions, les relations et les schématisations. Les notions correspondent aux représentations sous-jacentes à un mot : ((chapeau)) est la représentation de l’objet désigné par ce terme. Les notions peuvent être classées en rôles (participation comme support, agent, instrument, agi, patient,

bénéficiaire). On mesure le taux d’« agentivité » des notions. Les relations (en général marquées par des verbes) sont des entités qui réunissent les opérations cognitives de différents niveaux attribuées aux notions. Les relations organisent les notions. On mesure le taux de « transitivité » d’une relation : les relations les plus transitives acceptent quatre rôles directs (agent, instrument, agi, patient) et les moins transitives un seul rôle (support, par exemple). On mesure également le degré de « perfectivité » : les relations perfectives modifient les états notionnels, les imperfectives les conservent. Différentes relations sont distinguées : propriété, procès, équation, description, possession et localisation. Les schématisations sont équivalentes à des opérations logico-mathématiques, ce sont des schèmes construits par les sujets. Elles sous-tendent les processus d’identification, de

classification, de quantification, de repérage. Dans le schéma 9, on a résumé sommairement le traitement des paramètres extralangagiers.

Schéma 9 – Traitement des paramètres extralangagiers chez Bronckart

Après avoir décrit l’organisation et le contenu des espaces référentiels et contextuels, Bronckart s’attache à montrer comment « les opérations langagières […] “rendent compte” de l’articulation du texte au contexte (et au référentiel), c’est-à-dire du traitement des paramètres extralangagiers et de l’expression du résultat de ce traitement sous forme d’unités linguistiques organisées en texte. » (Bronckart 1985 : 37). En fait cela revient à décrire une « grammaire ». Bronckart choisit des « sortes d’unités » pertinentes qui peuvent marquer une fonction distinctive. Il le rappelle encore récemment (200624).

[…] d’un point de vue praxéologique, l’identité d’une entité verbale ne peut être établie que sur la base des opérations qui la sous-tendent (en d’autres termes, des entités linguistiques diverses constituent une même marque dès lors qu’elles matérialisent une même opération).

Il analyse d’abord les unités de niveau phrastique puis classe les unités interphrastiques. Il subdivise les opérations langagières en trois types : les opérations de contextualisation, les opérations de structuration et les opérations de textualisation.

Les opérations de contextualisation renvoient à la gestion de l’espace référentiel qui vient d’être décrit. Bronckart donne un aperçu de ces opérations complexes sans les mettre très clairement en lien avec le choix des traits. Nous en faisons le résumé sans nous y attarder. En partant du « schéma de la lexis » de

Espace référentiel Espace contextuel

Acte de

production Interaction sociale -Producteur -Coproducteur -Espace-temps (canal) - Lieu social - Destinataire/Enonciateur (économique, socioculturel, cognitif)

- But (4 intentions communicatives : informer, clarifier, activer, créer un contact)

Sous-catégories d’actions langagières

Types de discours

Notions Relations Schématisation

Culioli, Bronckart propose un schéma de micro-structure propositionnelle. Il existe un réseau de dépendances entre une relation « primitive » (un verbe) et des

notions (des noms en général) auxquelles sont assignés des rôles. Les relations primitives doivent se mouler dans les formes de prédicat retenues par la langue : la structure attributive (copule + GN ou GAdj) qualifiée de prédicat statif, la structure intransitive (V sans GN à droite) de prédicat actif indéterminé, la structure transitive (V avec GN à droite) de prédicat actif déterminé sont les trois structures de surface possibles. Les notions, quant à elles, doivent s’inscrire à l’intérieur du système des cas de la langue : nominatif (GN pré-verbal), accusatif (GN post-verbal, datif (GP)). Le réseau de dépendances entre la relation et les notions correspond au système prédicatif de la langue.

Les opérations de structuration sont plus clairement définies. Elles se subdivisent en opérations d’ancrage discursif, en opérations de repérage

discursif, en opérations de planification discursive. L’ancrage discursif est « la modalité d’articulation du discours à la situation énonciative dans laquelle il est produit ». Les opérations d’ancrage déterminent le mode d’insertion des structures propositionnelles (à base référentielle) et des valeurs sociales dans l’espace de l’acte de production … ». L’ancrage peut être conçu comme la résultante de deux procédures à caractère déictique : le choix entre le mode discursif impliqué et

autonome (on rejoint la dimension 1 de Biber impliquée/informationnelle) et le choix d’un rapport au référent : disjonction ou conjonction (on rejoint la dimension 3 de Biber référence explicite/dépendante de la situation d’énonciation).

Le discours en situation (DS) est caractérisé par un mode d’ancrage

impliqué et conjoint, le discours théorique (DT) par un ancrage autonome et

conjoint. Le texte pédagogique (PE), le discours politique (PO) ou encore l’éditorial (ED) bénéficient d’un mode d’ancrage qui se situe entre le DS et le DT et le catalogue semble partager cette position intermédiaire. Le rapport à l’acte matériel de production est de type impliqué dans la mesure où le destinataire est identifié par la situation de communication. Par contre, le texte fonctionne de façon autonome. Ce mode d’ancrage se caractérise donc par une « autonomie articulée à une situation déterminée de production » (Bronckart 1985 : 102). Les opérations de repérage discursif correspondent à l’organisation de la temporalité générale d’un discours. L’espace/temps de l’acte de production est repéré le long de la chaîne textuelle par les temps verbaux. La planification discursive peut être monogérée ou polygérée. La planification discursive monogérée rend compte de l’organisation des « paquets de propositions » en phases successives. Bronckart suit en les discutant les propositions d’Adam en la matière. Pour le récit ordinaire,

on distingue des séquences obligatoires (exposition, complication, résolution) et des séquences facultatives (résumé, résultat, évaluation, coda) dans une linéarité du type : résumé, exposition, complication, résolution, résultat, évaluation, coda. En ce qui concerne les textes théoriques, Bronckart regrette le manque de système d’organisation.

Enfin, les opérations de textualisation concernent la « mise en texte », c’est-à-dire l’organisation séquentielle effective des unités verbales. Bronckart distingue les opérations de connexité, les opérations de cohésion, les opérations de

modalisation. Les opérations de connexité consistent à relier les structures propositionnelles par des points de connexion (traces : coordonnants, subordonnants, adverbes transphrastiques). Les opérations de cohésion se rapportent au parcours thématique (traces : passivation, emphase, interrogation), au relais des arguments (traces : pronoms diaphoriques, affixes nominaux, déterminants du nom), au relais des prédicats (traces : auxiliaires, affixes verbaux, désinences verbales). Les opérations de modalisation renvoient directement aux paramètres de l’interaction sociale, Bronckart distingue modalisation « introjetée » (traces : auxiliaires de modalisation) et modalisation « projetée » (traces : adverbes (modalités du possible, du probable, du nécessaire), méta-opérateurs (il semble que).