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C’est surtout le dénouement de cette guerre qui attisa les rancœurs. L'armistice, signé à Rethondes le 11 novembre 1918, fut reconnu comme étant dur pour les Allemands. Le point le plus difficile à accepter était la reconnaissance de la responsabilité de la guerre par l’Allemagne et ses alliés, qui seuls durent porter cette charge. C’est le fameux article 231, qui structurait l’ensemble du traité et constituait la base juridique pour appliquer le remboursement des dommages et les réparations. Les sanctions économiques atteignaient effectivement un montant extrêmement élevé, en dédommagement du préjudice subi par la France et la Belgique pour leurs pertes civiles. C’est cet article qui heurta le plus non seulement les instances dirigeantes, mais aussi le peuple allemand. Il stipulait :

« Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l'Allemagne reconnaît que l'Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés. »1

A leurs yeux, ce fut une humiliation. Pour la France, en revanche, cela ne paraissait pas suffisant. Il est vrai que le pays, le Nord en particulier, était détruit, et surtout la perspective de reconstruction était largement entachée par le fait qu’une génération de jeunes hommes avait été balayée, des villages entiers ne purent compter que sur les femmes qui restaient et qui avaient fait tourner l’économie pour la première fois de l’histoire pendant ces quatre années de guerre. Le montant des réparations (132 milliards de marks-or) constituait une dette importante. Hitler, lors de son accession au pouvoir, décida de stopper le remboursement, déjà largement amputé du fait de la crise de 1929 (Plans Dawes et Young, Moratoire Hoover) et finalement celui-ci fut soldé après la réunification de l’Allemagne (un premier versement en

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Article 231 du Traité de Versailles, consultable sur le site du Centre National de Documentation Pédagogique : http://www.cndp.fr/entrepot/index.php?id=56

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1990, un deuxième en 2010, ne portant que sur les intérêts des emprunts contractés auprès des Etats-Unis principalement, pour rembourser cette dette initiale).

Les Etats-Unis justement, de même que la Grande-Bretagne, se montrèrent des vainqueurs bien plus souples que la France. Alors que cette dernière tenait coûte que coûte à imposer le remboursement des dettes de Guerre à l’Allemagne, les pays anglo-saxons reconnaissaient à l’Allemagne un fort potentiel industriel, et envisagèrent très tôt ce pays comme un partenaire économique viable. Il ne fallait donc pas la rabaisser de trop et ainsi compromettre toute chance que le pays se relève économiquement. Cette flexibilité à l’égard de l’Allemagne s’illustra par exemple par l’épisode de l’occupation de la Ruhr. La France, voyant que les dettes de guerre n’étaient pas honorées, décida d’occuper la région industrielle de la Ruhr aux côtés de la Belgique. Cependant, les autres puissances alliées ne les suivirent pas dans cette occupation, et la France et la Belgique durent finalement retirer leurs troupes devant la proposition américaine qui consistait à ré-échelonner les versements tout en accordant un emprunt à l’Allemagne (plan Dawes). Cet épisode fut un échec pour la France et la Belgique. De plus, une autre raison poussait la Grande-Bretagne et les Etats-Unis à opter pour une approche plus conciliante : c’était pour ne pas encourager un certain esprit de revanche, qui pourtant ne cessa de se développer, notamment après l’occupation de la Ruhr. La clause de responsabilité était déjà problématique, mais devant l'intransigeance des Français et des Belges, le peuple allemand s’organisa, provoqua émeutes, grèves et résistance passive. Les relations franco-allemandes de l’entre-deux-guerres furent entièrement parasitées par la question des réparations.

L’esprit de revanche était donc inévitable, ou plutôt - malgré les appels des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne en particulier pour éviter qu’il ne se développe de trop - celui-ci avait déjà pris racine d’un côte comme de l’autre, et le ressentiment ne pouvait que s’accroître. On peut même postuler que ce sentiment de revanche était ancré de part et d’autre depuis bien longtemps, et prendre l’exemple du premier Traité de Versailles (auquel il est impossible de ne pas faire allusion lorsqu’on évoque celui de 1919), traité qui proclamait la création de l’empire allemand dans la Galerie des Glaces en 1871. Ce lieu était donc hautement symbolique : et si c'est la Galerie des Glaces qui avait été choisie en premier lieu par les Allemands, cela constituait déjà un moyen de prendre une revanche sur les guerres napoléoniennes, et celles menées par Louis XIV. La rancœur remontait donc assez loin. Lors de l'invasion de la France en 1940, l'original du Traité de Versailles de 1919 disparut. La partie du traité ratifiée par les français fut, elle, saisie et présentée au Führer. On crut pendant

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longtemps que l'original se trouvait à Moscou, mais l'ouverture des archives n'a pas permis (jusqu'à maintenant) de le retrouver.

Outre la question de la rétribution, le Traité de Versailles ciblait de manière évidente les frontières, et l'aspect géographique n'est pas à négliger. En effet, la question de l'Empire se posait, encore et toujours, en termes de rivalités. L'Allemagne étant une grande puissance coloniale, la priver d'une partie de ses territoires était un autre enjeu majeur. L'Alsace et la Lorraine, en particulier, étaient hautement symboliques pour la France, qui put les récupérer. Ceci fut encore une fois vécu comme une humiliation. Un des points du traité mettait l'accent sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Pourtant, une contradiction rapidement soulignée était l'interdiction aux Autrichiens germanophones de se rattacher à l'Allemagne. De nouveau, la rancœur provoquée par ce non-respect à l'égard des vaincus eut des répercussions sur ce qui se déroula par la suite : la façon dont l’Anschluss fut accueillie positivement. Pour bon nombre de personnes, il devenait évident que la pression exercée par les gouvernements des puissances victorieuses sur l’Allemagne était infléchie par une force extérieure, qui avait suffisamment de pouvoir pour faire plier ces gouvernements, pour les influencer. Pour certains, l'Armistice constituait une preuve en soi que les francs-maçons avaient effectivement agi en secret pour faire pression sur les gouvernements, et le Traité de Versailles apportait de l'eau au moulin conspirationniste. Cependant, comme le note André Combes, si les griefs contre la franc-maçonnerie se modernisèrent, «devenant responsable de l'attentat de Sarajevo et des incohérences du traité de Versailles, le seul négociateur maçon est l'insignifiant délégué italien Orlando ! » 1 Il apparaît donc que la franc-maçonnerie ne joua pas de rôle fondamental dans ces pourparlers.

Enfin, si la dette constituait un fardeau écrasant pour le peuple allemand, sa puissance industrielle, contrairement à celle de la France ou de la Belgique, demeurait, elle, intacte. Et c'est ce point précisément qui constitue la force d'une nation. Avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler quelques années après, l'Europe comprit, mais un peu tard, l'importance de l'industrie qui avait été épargnée, même si les Allemands étaient sortis perdants du conflit. Tout ceci pesa bien sûr dans la balance et éclaira les réactions européennes au matin de la Seconde Guerre Mondiale, notamment par exemple la passivité face à la remilitarisation de la Rhénanie.

Mais pour l'heure, la dette suffisait à attiser les sentiments anti-français, et la résistance passive face à l'occupation de la Ruhr prit un tournant d'opposition à la République de

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Weimar qui avait commencé à rembourser, notamment par la réaction notable d'un Hitler qui n'était alors qu'un inconnu : le putsch de Munich.