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L’histoire du Special Operations Executive est très intéressante à bien des égards, mais en particulier par rapport au sujet que nous traitons ici : la franc-maçonnerie. Churchill eut l’idée de créer ce service (il était lui-même franc-maçon…bien qu’il ne pratiquât pas après 1912), et Hugh Dalton, Ministre de la Guerre, en prit la responsabilité. La mission du SOE était de coordonner l’action alliée dans les pays occupés à travers le sabotage et la subversion ou, selon les termes de Churchill, « mettre le feu à l’Europe».1 Dès le départ, la stratégie étudiée se basait sur des organisations terroristes comme l’IRA en Irlande du Nord, et s’inspirait de leurs méthodes. Les agents étaient recrutés sur leur capacité à se fondre dans le pays. Si nous prenons l’exemple de la France, beaucoup d’entre eux avaient donc un parent français, ou une maîtrise de la langue suffisamment bonne pour passer pour des Français. Ils suivaient un programme d’entraînement intense, qui couvrait des champs d’action comme les explosifs, le combat rapproché, le parachutage, le sabotage, la radiodiffusion, la propagande etc.2 Ils évoluaient donc derrière les lignes ennemies, parachutés la plupart du temps en groupe de trois, apportant souvent beaucoup de matériel et de denrées avec eux pour les réseaux de résistance locaux.

Il faut comprendre que le SOE était assez controversé, et ce pour différentes raisons. Tout d’abord, c’était un réseau britannique, répondant au commandement britannique. Mais de par l’implication des membres qui avaient un intérêt particulier dans tel ou tel pays, l’allégeance n’était pas évidente. Par exemple, de Gaulle demanda à ce que de la section F (pour la France) passe sous commandement français, ce qui lui fut refusé. Ensuite, le choix des membres eux-mêmes pouvait prêter à discussion. En effet, ce n’est pas seulement le recrutement des femmes qui posait problème, mais le fait que le SOE recrutait à travers toutes les strates de la société, que ce soit au sein de la noblesse ou des membres de la pègre, en passant par des

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« Set Europe ablaze ».

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Le programme d’entraînement des agents du SOE fit l’objet d’un roman paru en 2012 : Joël DICKER, Les

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communistes, des prostituées, et… des francs-maçons. Michael Foot, auteur de plusieurs ouvrages sur le SOE, commente :

« Le SOE était prêt à travailler avec n’importe quel homme, femme ou institution, catholique ou franc-maçon, trotskyiste ou libéral, syndicaliste ou capitaliste, rationaliste ou chauvin, radical ou conservateur, stalinien ou anarchiste, juif ou gentil, qui pût contribuer à battre les nazis. »1

La franc-maçonnerie se targue elle-même de représenter la société dans son ensemble, mais à la différence du SOE, les mœurs sont un critère essentiel. Un point commun reste néanmoins à souligner entre les deux organisations : le devoir de discrétion. Les agents du SOE se devaient d’être plus que discrets, leur vie et celle des membres des réseaux locaux en dépendait souvent. C’est cette condition qui m’amena à me renseigner sur les possibles liens entre cette organisation et la franc-maçonnerie. En effet, les maçons étaient des aides tout indiquées dans ce contexte : leurs valeurs les poussèrent souvent vers la résistance en France (on citera les exemples les plus connus de Pierre Brossolette et de Jean Zay), et ils avaient déjà une culture approfondie du secret et de la discrétion. Au fil de mes recherches, j’ai pu établir ce lien dans plusieurs cas. Les agents du SOE avaient très souvent pour mission d’organiser la résistance locale, dans la région où ils étaient parachutés. Des sympathies vis-à-vis des résistants pouvaient naître auprès de la population, sans que celles-ci se concrétisassent nécessairement ; ou bien des groupuscules de résistants étaient constitués mais n’avaient aucuns moyens. Lorsqu’il s’agissait de recruter parmi la population des personnes de confiance qui étaient prêtes à prendre le maquis, les agents du SOE coordonnaient la mise en place. J’ai pu recueillir des témoignages qui confirment que la franc-maçonnerie servit effectivement de « vivier » pour ces recrutements. Ce fut le cas dans le Sud-Ouest, région à laquelle je me suis intéressée plus particulièrement, de par la présence d’un homme qui mit en place un des plus grands réseaux de résistance français, George Starr, alias Hilaire, et qui était lui-même franc-maçon. Le réseau « Victoire », qui l’accueillit dans le Lot-et-Garonne, et qui fut « absorbé » par le réseau Hilaire-Buckmaster (Wheelwright), était au commencement une ‘Loge maçonnique’ fondée par Fernand Julien Gauchet, adjudant chef au 150ème R.I replié à Agen. Cette loge ‘Victoire’ est née en mars 1941 et regroupe des sous-officiers du 150ème R.I et 24ème R.A.D ».2 Alain Geay, Président de l’Amicale du Réseau VICTOIRE Hilaire

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Michael FOOT et Jean-Louis CREMIEUX-BRILHAC, Des Anglais dans la Résistance. Paris : Tallandier, 2013, p. 71.

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Correspondance avec Alain GEAY, Président de l’Amicale du Réseau VICTOIRE Hilaire Buckmaster, février 2016.

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Buckmaster, fils et petit-fils de résistant et lui-même franc-maçon, confirme donc l’utilisation faite de la franc-maçonnerie dans la création de réseaux de résistance, puis le développement de ceux-ci par le SOE. Il souligne :

« Par nature un Frère ou une Sœur se doit d’aider son Frère ou sa Sœur, ceci étant encore plus valable dans la période de l’occupation. Les réseaux ont aussi bénéficié de cette attitude. Au sein de l’Europe occupée y compris en Allemagne les agents Francs-maçons ont utilisé le fait d’être Frères et Sœurs pour s’aider et réussir des opérations contre les nazis, pour aider à libérer des juifs ou autres prisonniers, bref la Franc-maçonnerie a fait fonctionner ses valeurs naturelles de fraternité et internationalistes. »1

Un autre cas de l’utilisation de la franc-maçonnerie par le SOE peut être trouvé dans le témoignage d’un ancien agent, Raymond Neres. Un enregistrement d’un entretien pour

l’Imperial War Museum, réalisé en 1983, nous permet d’affirmer que le SOE recrutait

effectivement au sein de la franc-maçonnerie, comme l’indique Neres. Binational, il fut recruté alors qu’il était encore étudiant à Cambridge. Il raconte son expérience, son entraînement et sa mission pour le SOE, notamment la mise en place d’abris, ou de « planques » (safe-houses). Lorsqu’on lui demande s’il était facile de recruter, il répond :

« Dans notre cas, nous avions un noyau très large de francs-maçons qui travaillaient pour nous. La franc-maçonnerie avait été interdite par le gouvernement de Vichy, et donc tous les francs-maçons étaient de fait hostiles a) aux Allemands, et b) au gouvernement français en place. Et à travers ce noyau préexistant, j’ai pu recruter beaucoup d’autres personnes qui m’avaient été recommandées par les membres existants de l’organisation, qui étaient francs-maçons. »2

Il convient de nuancer les propos de Neres quant à l’hostilité évidente des maçons au gouvernement de Vichy, hostilité qui n’était malheureusement pas avérée dans tous les cas. Emmanuel Pierrat dresse d’ailleurs dans son nouvel ouvrage le portrait de maçons qui collaborèrent activement avec le régime de Vichy, comme Jean Mamy (alias Paul Riche, le

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Correspondance avec Alain GEAY, Président de l’Amicale du Réseau VICTOIRE Hilaire Buckmaster, février 2016.

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« In our case, we had a very large nucleus of freemasons working for us. Freemasonry had been outlawed by the Vichy government, and so all freemasons, ipso facto, were hostile, a) to the Germans, and b) to the existing French government. And so through the nucleus which was in existence, I was able to recruit many more people who were recommended to me by the existing members of the organisation, who were freemasons. » Raymond NERES, Entretien par Penny JONES, BBC CLN38/102P784, Imperial War Museum Catalogue number 8691, 1983.

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réalisateur du film de propagande Forces Occultes, que nous avons évoqué précédemment).1 Malgré tout, nous avons bien ici la preuve que la franc-maçonnerie servit de « vivier » de recrutement, pour certaines branches du SOE en tout cas. La franc-maçonnerie vient donc éclairer d’un jour nouveau les valeurs universelles de la résistance par delà les frontières.