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Chapitre II : Les conséquences de la guerre

II) Maçons anglais déportés et camps de prisonniers (Prisoner-Of-War camps) : la fraternité par delà les (Prisoner-Of-War camps) : la fraternité par delà les

2. Œuvrer… dans l’ombre

Comme nous l’avons vu, un fort désir de maintenir la loge et ses activités en vie comme si la guerre n’avait pas lieu saisit les francs-maçons dès la reprise autorisée par la Grande Loge. La date de cette reprise est à ce titre indicative de leur souhait de poursuivre leurs tenues le plus rapidement possible : suspendues le 1 septembre 1939, elles furent à nouveau autorisées dès le 29 du même mois. La réunion trimestrielle de la Grande Loge Unie d’Angleterre du 6 septembre ne put être annulée, et le Grand Secrétaire, Sydney White, commenta à son propos :

« Mercredi, la réunion de la Grande Loge, avec une vingtaine de participants, ne fut pas longue. Je pense que nous avons commencé environ huit minutes avant dix-huit heures, puisque tous ceux qui devaient vraisemblablement participer étaient présents, et nous avons terminé à dix-huit heures cinq. »1

Lors de cette même réunion, il fut évoqué brièvement la bonne conduite à tenir par les maçons, et l’interdiction de ne pas faire usage de son statut de franc-maçon pour s’attirer des faveurs ou en réclamer pour d’autres dans des situations ne concernant pas la franc-maçonnerie. Cet avertissement faisait suite à une demande inconvenante d’un ancien grand officier réclamant par le truchement d’une circulaire l’appui de ses frères pour un candidat à une fonction publique. Le conseil jugea cet acte « très répréhensible », et en informa l’auteur. De même, il demanda aux maçons de faire preuve de discernement pour éviter de pareilles pratiques à l’avenir.2

Le débat porta également ce jour, bien entendu, sur les dispositions particulières prises suite à l’état de guerre, et il fut souligné l’importance de maintenir les tenues, et le souhait que celles-ci reprennent rapidement :

known to and vouched for by one of the Brethren present, or unless he shall be well vouched for after due examination. Documentary evidence should be produced.”United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, décembre 1938, p. 257.

1

« Grand Lodge on Wednesday with an attendance of about 20 was not a prolonged business. I think we started about eight minutes to six, as everyone who seemed likely to attend was then present, and we were out about 5 minutes past. » Sydney WHITE, cité par Diane CLEMENTS dans Masons at War, MQ Magazine, numéro 13, avril 2005.

2

«The Board unanimously regarded this circular as most reprehensible. The writer has been so informed, and has given an undertaking that the offence shall not be repeated. » United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, septembre 1939, p. 403. « The Board trusts the Brethren in future will do all they can to avoid these irregular practises. » Idem, p. 405.

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« Nous savons que la franc-maçonnerie joue un rôle important dans la vie de nombreuses personnes dans ce pays, et il serait difficile pour les frères d’être privés de ce moyen d’association et d’entraide qui a d’autant plus de valeur en période de détresse nationale. Beaucoup d’entre nous se rappellent que la franc-maçonnerie a compté lors de la dernière guerre, non seulement pour nos propres frères mais aussi pour les frères émanant d’autres pays de l’Empire et qui se trouvaient dans ce pays. »1

De son côté, Keith Flynn, dans A Province at War, commente :

« Il existait parmi les frères à l’époque une obsession quasi-perverse de continuer les tenues à tout prix, qu’elles ne soient interrompues sous aucun prétexte. Ce n’était pas une question d’adhérer aveuglément à une pratique ou un entêtement colérique. La signification reposait dans le fait que la franc-maçonnerie elle-même était menacée, dans ses mœurs, et dans ses valeurs éprouvées qui prennent racine dans notre passé. »2

De nombreux maçons corroborèrent cette explication, dans des temps si difficiles, la maçonnerie fut pour eux un phare, une institution encore garante des valeurs mises à mal par les régimes totalitaires qui prirent le contrôle de l’Europe. Nous y voyons également ici un parallèle avec l’attitude que la Grande-Bretagne toute entière adopta pendant la guerre, celle du dernier rempart contre la barbarie, celle du dernier pays libre en Europe, qui se battit pour les valeurs qu’il pouvait encore défendre puisqu’il demeura invaincu et non-occupé par l’ennemi. Nous aurons l’occasion de voir que la franc-maçonnerie s’adapte au contexte social, idéologique, géopolitique du pays dans lequel elle évolue. L’attitude de la Grande Loge en Angleterre lors de cette période de guerre en est un exemple frappant.

Il fut donc entendu, que les maçons continueraient leurs tenues, sans faire d’imprudences quant à leur sécurité, mais se rendraient à la loge tant que celle-ci existerait encore.

Il convenait néanmoins de respecter les règles énoncées par la Grande Loge et dont nous avons fait mention précédemment. Mais les choses avaient changé, quoique pussent en dire les maçons. Parmi ceux qui n’étaient pas partis au front, nombreux sont les maçons qui

1

«We know that masonry plays a great part in the lives of many of the people of this country, and it would be hard if brethren were deprived of this means of association and mutual support which is of especial value in times of National stress. Many of us remember what masonry meant in the last war, not only to our own brethren but to those of the empire who were in this country. » United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, septembre 1939, p. 400.

2

« There existed among the brethren at the time almost a perverse obsession that meetings should be held at all costs and should not be interrupted under any circumstances. It was not a matter of blind adherence to practice or a cussedness born of pique. Its significance lay in that FM itself was threatened, as a way of life, as a set of values proved and rooted in our past.» Keith FLYNN, A Province at War, Swansea : Albert E. Davies, 1988, p.10.

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s’étaient engagés dans la Garde Nationale (Home Guard), et qui se portaient volontaires la nuit pour éteindre les feux des bombes incendiaires. Ces mentions apparaissent souvent dans les rapports demandés aux loges par la Grande Loge à l’issue de la guerre, pour garder une trace des activités maçonniques durant cette période. Parfois, il pouvait être difficile de se rendre à la loge, surtout pour ceux qui venaient de loin, puisqu’il n’y avait souvent plus de transports publics, et les voitures personnelles se faisaient rares en raison de la pénurie de carburant. De même, il était très délicat de se déplacer le soir durant les black-outs où il n’y avait aucune lumière. On ne pouvait plus disposer de la loge aussi librement qu’avant, et si celle-ci était détruite dans un raid ou une explosion, il fallait retrouver un local qui ferait office de loge, mais qui serait également partagé. Parfois les francs-maçons se retrouvaient dans des écoles, des pubs, ou d’autres endroits suffisamment grands pour les accueillir. Lorsque c’était le cas, il fallait redoubler de prudence, surtout ne rien laisser derrière soi qui aurait pu compromettre le caractère secret des tenues maçonniques, que ce soit un vêtement ou quelque ornement. Parfois, les endroits où ils avaient l’habitude de se retrouver pour les agapes étaient également détruits. En ce qui concernait les vêtements, la Grande Loge attira l’attention des maçons sur le fait qu’ils ne devaient être portés qu’en présence d’autres frères. Le problème soulevé fut donc de se rendre de la loge aux agapes en passant par des lieux publics. La seule chose que le Conseil put recommander fut la prudence extrême sur ce point, ainsi que sur la tenue de propos maçonniques devant des non-initiés, ce qui de toute évidence et au vu des recommandations du Conseil lors des réunions trimestrielles pouvait se produire.1 Il était d’autant plus nécessaire de se montrer rigoureux lorsque les tenues ne prenaient pas place dans les lieux habituels. La situation inverse se produisit également, et ce furent parfois les maçons qui proposèrent leur loge comme refuge à ceux qui avaient tout perdu, ou encore à des soldats stationnés dans la ville. Le siège même de la Grande Loge Unie d’Angleterre,

Freemasons’ Hall, fut réquisitionné pour servir d’abri en cas d’attaque aérienne. Sa situation

très centrale dans le quartier de Holborn à Londres et la taille du bâtiment constituaient des atouts tout indiqués. Le sous-sol était prévu pour accueillir 2500 personnes dans la journée et plus d’un millier la nuit, bien que ce nombre fût fréquemment dépassé, comme le fait remarquer Diane Clements.2 Les membres du personnel de la GLUA participèrent activement

1

« Masonic clothing is to be worn only in places where none but masons are present or on occasions for which a dispensation is granted. We can only ask brethren to be as careful as they possibly can in this matter, and also to be careful as to the discussion of masonic matters in mixed company. There were complaints of unsuitable and indecorous behaviour after lodge meetings and this is another matter which we do ask brethren to discourage as far as they can, but it is a matter we must leave to the good sense of the Craft, and we cannot lay down any general rules about it. » United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, juin 1938, p.204.

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à l’effort de guerre, que ce soit auprès des malades, à l’intendance, ou pour des tâches administratives.

Mais les bombardements et destructions d’autres bâtiments tout proches, de même que le saccage des temples des îles Anglo-Normandes, fit prendre conscience au Grand Secrétaire que les documents, objets et bijoux conservés à Freemasons’ Hall n’étaient pas nécessairement en sécurité dans ce lieu. La porcelaine et les objets en verre furent stockés au sous-sol, l’argenterie et les bijoux dans un coffre. En octobre 1940, le Grand Secrétaire prit la décision de mettre les plus précieux de leurs documents dans un endroit gardé secret, si jamais les projets d’invasion des nazis avaient abouti. Au cas où il serait arrivé malheur aux seuls maçons anglais qui connaissaient l’endroit, le Grand Secrétaire écrivit à ses homologues dans quatre Grandes Loges à travers le monde : en Nouvelle-Zélande, au Canada, dans le Massachussetts et dans la province de Nouvelle Galle du Sud en Australie. Il leur adressa cette missive, conservée à la bibliothèque de Freemasons’ Hall :

« Cher Frère Grand Secrétaire

Nous avons estimé qu’il était désirable de placer certains de nos documents originaux dans un endroit sûr afin de pouvoir les conserver pour la postérité. Si jamais il arrivait malheur à tous ceux qui connaissent cet endroit, il est souhaitable que cette information soit connue de leurs successeurs.

Il a été décidé qu’une enveloppe cachetée, que j’inclus à cette lettre, serait confiée à quatre Grandes Loges, dont la vôtre, leur demandant de la préserver et de la retourner, non-ouverte, à la réception d’une lettre le sollicitant, ou un télégramme indiquant ‘renvoyer enveloppe.’ Je suis certain que cela ne vous dérangera pas de nous rendre ce service. »1

Ces enveloppes furent effectivement renvoyées après la guerre, non-ouvertes comme demandé, à la Grande Loge Unie d’Angleterre, lorsque le Grand Secrétaire en fit la demande le 10 octobre 1945. L’une de ces enveloppes est conservée dans le dossier concernant la franc-maçonnerie et la Seconde Guerre Mondiale de la bibliothèque de la GLUA, et a été décachetée. Loin de constituer un indice pour une chasse au trésor grandeur nature, l’inscription qu’elle contient indique simplement : « sous l’escalier »!

1

«Dear Brother Grand Secretary, We have considered it desirable to place certain of our original documents in a place of safety in order to preserve them for posterity. Should misfortune befall all who are aware of the location, it is desired that the information be made available to their successors. It has been decided that a sealed envelope, which is enclosed, be deposited with four Grand Lodges, of which yours is one, asking them to preserve it and return, unopened, upon receipt of a letter making the request, or a cable worded ‘Return Envelope’. I feel sure that you will not mind doing this service for us. » Lettre du Grand Secrétaire Sydney WHITE aux Grands Secrétaires des Grandes Loges de Nouvelle-Zélande, Canada, Massachussetts et Nouvelle Galle du Sud, Octobre 1940. Freemasonry and WWII Subject file.

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D’autres loges eurent moins de chance que Freemasons’ Hall, et perdirent de nombreux documents et objets précieux. Pour ne citer qu’un exemple, le temple maçonnique de Park Street à Bristol fut complètement détruit, avec tout le mobilier, les patentes et les objets rituels. Pour d’autres, ce fut seulement les documents écrits qui furent détruits, souvent dans un incendie. Pour d’autres loges encore, et cette situation est peut-être d’autant plus frustrante, des précautions avaient été prises pour sauvegarder les documents pour la postérité, et ceux-ci avaient été placés dans des coffres. C’est le cas des loges de la province du Hampshire et de l’Île de Wight, à qui l’on avait demandé de placer toutes les archives dans la crypte de la cathédrale de Winchester, où elles seraient protégées des bombes. Malheureusement, tous les documents furent détruits non pas par des bombes ou des incendies, mais par l’humidité qui régnait dans la crypte.1 D’autres loges avaient placé leurs documents précieux dans les coffres de banques, pensant qu’ils seraient à l’abri, mais les banques elles-mêmes furent détruites, ainsi que tout ce qu’elles contenaient.2

Certaines loges avaient investi dans des coffres anti-incendie, et dans au moins deux cas répertoriés par Gledinning, les coffres étaient intacts à l’issue de la guerre, mais les documents placés dedans, avaient été entièrement brûlés.3

Enfin, Keith Flynn évoque également la perte des documents comptables de plusieurs loges dans les incendies des maisons des trésoriers.4