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L’avenir de la relation entre la famille royale et la franc-maçonnerie

Chapitre I : Le rapport aux institutions

3. L’avenir de la relation entre la famille royale et la franc-maçonnerie

Georges VI joua un rôle non-négligeable dans l’image de la franc-maçonnerie, depuis son initiation en 1919 jusqu’à son décès en 1952. Mais alors qu’avant la guerre elle demeurait une institution respectable et d’utilité publique grâce à ses actions charitables, le conflit mondial et les conséquences que celui-ci eut sur la maçonnerie dans les pays occupés changèrent le cours

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« It is possible that a stronger King could secure more influence for himself in the affairs of the state and the government, but Parliament and the Cabinet are vigilant in protecting their rights and would force the King back into his role of mere representation, or even bring about his abdication. This might have been the real cause of Edward VIII’s abdication in favour of his more passive brother George VI in the autumn of 1936. » John ERICKSON, Invasion 1940, Londres : St Ermin's Press, 2000.

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des choses. La fierté d’y appartenir et le décorum l’entourant laissèrent place à un certain degré de prudence. Les affaires purement maçonniques devinrent privées, et l’on n’exposa plus son appartenance aussi ouvertement. Pendant et après la guerre, le roi installa lui-même plusieurs grands maîtres, dont son frère : le patronage royal demeura donc assuré. Cependant, les deux frères perdirent la vie à dix ans d’intervalle, et en 1952 plus aucun membre de la famille royale n’appartenait à la franc-maçonnerie. Alors que la plupart des hommes des générations précédentes avaient été francs-maçons, le futur de l’organisation apparut dénué de toute implication royale. Si Edouard VIII n’avait pas d’enfants, Georges VI n’avait eu que des filles, et les deux fils du Duc de Kent n’avaient pas encore l’âge d’être initiés (ils étaient nés respectivement en 1935 et 1942). Sans que l’on ne connaisse réellement les raisons qui l’ont poussé à entrer en maçonnerie, le Prince Philip, époux de la Reine Elizabeth II, fut initié en décembre 1952, soit dix mois après le décès de son beau-père. Certains journalistes émirent l’hypothèse que ce fut pour contenter le roi1. Cependant comme je l’indiquais, il n’entreprit la démarche qu’après la mort de celui-ci, alors qu’il avait épousé Elizabeth en 1947. Il avait donc eu cinq ans auparavant pour se plier aux désirs de Georges VI, et cette hypothèse ne me parait pas concluante. Le journaliste controversé Stephen Knight, dont nous aurons l’occasion de reparler, estime pour sa part que :

« En 1947 lors des fiançailles d’Elizabeth et Philip, le Roi Georges VI, son futur beau-père, avait fait clairement comprendre qu’il s’attendait à ce que le mari de sa fille appartienne à la Franc-Maçonnerie selon la tradition de la famille royale. »2

Bien que Philip fût initié dans la même loge que Georges VI (Navy Lodge n. 2612), rien ne permet d’assurer que ce soit son beau-père qui ait exercé une quelconque pression sur lui. Par ailleurs, cette pression n’aurait été que peu efficace, si elle n’avait porté ses fruits que plusieurs années après. Cependant, j’estime que son décès n’est sûrement pas étranger dans le choix du Prince Philip. On peut par exemple imaginer qu’il fût « courtisé » par les maçons, désireux de s’assurer un nouveau mécénat royal. Je crains fort qu’aucune source officielle ne puisse confirmer cela, mais le désir des maçons semblerait logique de même que la personne sur laquelle ils l’auraient projeté.

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Stephen KNIGHT, cité par Paul CALDERWOOD, Freemasonry and the Press in XXth century Britain, Oxford: Routledge, 2016.

2

« In 1947 when Philip became engaged to Princess Elizabeth, his future father-in-law King George VI had made it plain that he expected any husband of his daughter to maintain the tradition of royal patronage to Freemasonry. » Stephen KNIGHT, The Brotherhood, Londres : Grafton Books,1983, p. 211.

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Néanmoins, l’engagement du Prince Philip fut de courte durée : il n’évolua pas au-delà du statut d’apprenti. Calderwood écrit :

« [Son initiation] fut un événement porteur de grands espoirs quant à son avenir maçonnique – mais ces espoirs n’étaient pas destinés à être exaucés, car son activité au sein de la franc-maçonnerie ne semble pas avoir dépassé la première année [….] Son intérêt dans la franc-maçonnerie semble s’être évaporé presqu’aussitôt et depuis lors, les media en ont rarement fait mention. »1

Il est tout de même amusant de noter que bien qu’il n’ait jamais pris part aux activités de sa loge depuis 1953, le Duc d’Edimbourg continue malgré tout à régler ses cotisations jusqu’à ce jour. Son absence de la vie maçonnique active n’est pas soulignée par la Grande Loge Unie d’Angleterre, qui lui consacra un court article dans sa revue Freemasonry Today en 2013. Le titre de l’article, « le Prince Philip, Duc d’Edimbourg, fête ses soixante ans comme membre de la franc-maçonnerie » 2, ne rend absolument pas justice à cet anniversaire. En effet, sur 335 mots que comporte l’article, seuls 57 évoquent directement le Duc. Le court paragraphe vient clore l’article, qui malgré son titre traite finalement de manière plus générale des liens entre la monarchie et la franc-maçonnerie, et ne laisse pas entrevoir le statut d’abonné absent du Prince. La formulation conventionnelle est la suivante :

« Nous célébrons à nouveau cette année un soixantième anniversaire, celui des soixante années d’appartenance à la franc-maçonnerie en tant que membre cotisant de son Altesse Royale le Prince Philip, Duc d’Edimbourg. Le Grand Maître lui a adressé un message de félicitations pour marquer cette occasion et en retour le Prince Philip a demandé que soient transmis à tous les membres ses remerciements et ses meilleurs vœux. »3

Les apparences trompeuses de l’article (même si le prince continue effectivement de s’acquitter de ses cotisations), peuvent être interprétées comme une tentative de la part de la GLUA de maintenir le lien entre la famille royale et la franc-maçonnerie aux yeux de la

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« [His initiation] was an event that was accompanied by high hopes for his masonic future – but these hopes were not to be fulfilled, for his activity within freemasonry does not appear to have survived a year. […] His interest in freemasonry appears to have evaporated almost immediately and it has rarely been mentioned in the media since. » Paul CALDERWOOD, Freemasonry and the Press in XXth century Britain. Oxford : Routledge, 2016.

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Peter LOWNDES, Prince Philip, Duke of Edimburgh, reaches 60 years as a member of the Craft. Freemasonry Today, 5 septembre 2013.

3

« We celebrate another royal sixtieth anniversary this year – that of HRH The Prince Philip, Duke of Edinburgh’s sixty years as a subscribing member of the Craft. The Grand Master sent him a message of congratulations to mark the occasion and, in reply, Prince Philip asked for his thanks and best wishes to be expressed to all members. » Peter LOWNDES, Prince Philip, Duke of Edimburgh, reaches 60 years as a

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population britannique. Les fils du Duc d’Edimbourg n’ont pour leur part jamais exprimé le souhait de faire partie de la fraternité. Lorsqu’ils furent en âge d’être initiés, leur cousin le Duc de Kent était déjà grand maître, ce qui assurait tout de même la relève royale au sein de la franc-maçonnerie. Mais il est naturel de penser que les membres dirigeants avaient souhaité malgré tout un rapprochement de la part du Prince Charles. Si cela ne fut pas écrit noir sur blanc dans la presse maçonnique, la presse nationale commenta sur cette possible adhésion, la plupart du temps en spéculant. C’est surtout à la fin des années 1970 que la question de l’initiation de Charles refit surface. Pourquoi à ce moment-là ? Car son père avait lui-même été initié à l’âge de trente ans, et autant la monarchie que la franc-maçonnerie étaient considérées à juste titre comme des institutions accordant une grande d’importance aux traditions. Beaucoup pensèrent donc que le Prince de Galles allait suivre l’exemple de son père et entrer en maçonnerie en 1978. Plusieurs articles soulignèrent cette interrogation, qui constitua un point d’accroche dans la presse pour parler plus généralement de la franc-maçonnerie. Dans les années 60 et 70, le désir de la Grande Loge de se soustraire à la vue du public eut pour conséquence un net déclin de la couverture médiatique. A cette époque, la presse ne parlait pas de la franc-maçonnerie car elle ignorait ce qu’il s’y passait, et ainsi un événement (ou dans ce cas, une rumeur) comme la possible initiation du prince de Galles, donnait lieu à des commentaires d’ordre plus général sur la franc-maçonnerie. Pour citer quelques exemples, un article paru dans le Belfast Telegram titra :

« Si le Prince Charles rejoint la Fraternité.

On dirait que le Prince Charles va suivre la tradition royale et entrer en franc-maçonnerie. Mais quelle est la vérité sur cette ‘société secrète’.»[sic] 1

Le Liverpool Echo commente de manière assez similaire :

« Puisque le Prince Charles va vraisemblablement rejoindre la Franc-Maçonnerie, à l’instar de son père et de plusieurs de ses ancêtres – on assiste à un regain d’intérêt public pour cette ‘société avec des secrets’.»2

Dans les années 1970, la spéculation était de mise quant à la franc-maçonnerie, la GLUA ne donnant aucune information à la presse. Certains journalistes déduisirent de par l’âge et le

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« If Prince Charles joins ‘the Broterhood’.

It looks as if Prince Charles will follow in Royal tradition and join the Freemasons. But what is the truth about this ‘society with secrets’. » Derek WHALE, If Prince Charles joins the Brotherhood. Belfast Telegram, 27 avril 1978.

2

« With Prince Charles likely to join the Freemasons- like his father and several ancestors- there has been renewed public interest in the ‘society with secrets’. » Derek WHALE, Masons : will the Prince uphold Royal

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respect des traditions que le Prince Charles serait l’héritier logique et accéderait au statut de Grand Maître. Ni lui ni ses frères pourtant ne furent tentés. Pas plus que les Princes William et Harry, qui pour la troisième génération consécutive délaissent l’institution.

Le Duc de Kent est le membre de la famille royale qui est resté le plus longtemps Grand Maître : cela fera quarante ans en 2017. Son frère cadet, le Prince Michael de Kent, est lui aussi franc-maçon. Encore une fois, après cette génération, rien n’indique que le mécénat royal sera perpétué, les fils d’Edouard et de Michael n’étant pas à priori francs-maçons. La question de l’avenir du lien entre monarchie et franc-maçonnerie se posera donc à nouveau, inévitablement, à court ou moyen terme. Les princes et ducs seront-ils approchés par la Grande Loge Unie d’Angleterre ? Nous pouvons constater que l’intérêt de la nouvelle génération pour la franc-maçonnerie n’est pas ce qu’aurait pu espérer la Grande Loge. Leur attitude suit celle de la population de leur pays, qui depuis les années 1970 se tourne de moins en moins vers cette institution. Cela va également de pair avec le désir de s’affranchir des traditions imposées par la monarchie. Le souverain était autrefois uniquement un personnage public, dévoué corps et âme à sa patrie et obéissant donc à ses coutumes. A l’inverse, le Duc et la Duchesse de Cambridge par exemple, sont connus pour leur souhait de préserver leur vie de famille, sans avoir à jouer en permanence leurs rôles de représentation. Mais cette attitude attire beaucoup de critiques de la part d’une certaine presse et finalement d’une population somme toute assez conservatrice vis-à-vis des devoirs royaux.

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II) Franc-maçonnerie et Establishment : une relation