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Robison a donc bénéficié d’un contexte de méfiance assez particulier à l’égard de la franc-maçonnerie lors de la publication de ses travaux. En effet en 1799, la loi sur les sociétés secrètes (Unlawful Societies Act en anglais) aurait pu leur causer encore plus de tort. Mais la franc-maçonnerie, dans un contexte anglo-saxon bien différent de celui de la France, en sortit indemne, voire confortée. Cette loi, An Act for the more effectual suppression of societies

established for seditious and treasonable purposes ; and for the better preventing treasonable and seditious practices, ou « Loi pour la suppression radicale des sociétés établies dans le but

de sédition et trahison, et pour une meilleure prévention des pratiques de trahisons et de sédition », mérite une remise en contexte et quelques explications, vu qu’elle allait, come le note Andrew Prescott, former la base des relations entre la franc-maçonnerie et l’Etat britannique pendant près de deux cents ans.2 A l’époque, la menace révolutionnaire planait et les groupes liés aux radicaux étaient négativement perçus en Grande-Bretagne. En effet, la Révolution française qui avait eu lieu une décennie avant, était présente dans l'esprit de tous, et le gouvernement conservateur dirigé par William Pitt se méfiait d'une telle menace. On pensait que les radicaux, qui avaient réussi à faire tomber la monarchie en France, pourraient bien avoir des homologues en Angleterre, des hommes qui auraient une influence sur le peuple, qui induiraient un changement politique, une réforme parlementaire et, finalement, prendraient le contrôle de la société toute entière. On craignait qu’il s’en suive le même chaos qu’en France, où les membres des classes supérieures et de l'aristocratie furent

1

« In the context of the French Revolution the Grand Lodges had to make sure that they would be considered as respectable institutions, and therefore they should not give the impression they were condoning religious dissent in anyway. » Cécile REVAUGER, Freemasonry and religion in eighteenth-century Britain. The Canonbury Papers, vol. 3. London : Canonbury Masonic Research Centre, 2006.

2

« [The Act] was, almost by accident, to form the mainstay of the relationship between freemasonry and the state in Britain for nearly two hundred years. » Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799. The Canonbury Papres, vol. 1, London : Canonbury Masonic Research Centre, 2002.

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impitoyablement décapités. La montée des groupes radicaux en Grande-Bretagne après la Révolution française ne peut être niée, avec des factions comme les Irlandais Unis (United

Irishmen - la plus importante en termes d'adhésion, créée en 1791), mais aussi les Anglais et

Ecossais Unis (United Englishmen et Scotsmen), ainsi que la London Corresponding Society, créée par le cordonnier Thomas Hardy et dont l'objectif était une meilleure représentation de la classe ouvrière par le biais de la réforme parlementaire. Bien que ce groupe fût en réalité un mouvement radical « modéré », il représentait une menace dans le sens où il n'était pas le seul, et ceux cités précédemment ralliaient de plus en plus de soutien au sein de la middle

class montante et de la toute récente classe ouvrière anglaise, en particulier dans les villes

industrielles du nord du pays. Cependant, le mouvement radical diminua légèrement en 1798 en raison de l'arrestation de plusieurs de ses dirigeants, jugés pour trahison après la tentative avortée de l’Irish Rebellion de 1798. L’intention derrière cette rébellion avait été de la mener conjointement avec les troupes françaises, mais elle fut brutalement réprimée et le nombre d’adhérents à la cause, environ 280.000, chuta par la suite. Néanmoins, le gouvernement Pitt avait encore des doutes quant à l'importance de la menace de ces factions unies, craignant qu'elles ne soient en train de se reformer1. Par conséquent, des commissions parlementaires furent nommées avec pour mission d’examiner des preuves secrètes que le gouvernement avait en sa en possession2 concernant diverses sociétés. La commission de la Chambre des Communes conclut le 15 mars 1799 que suivant l’examen de ces éléments on avait découvert:

« Les preuves les plus évidentes d'un projet élaboré en collaboration avec des traîtres nationaux, adopté et mis en place depuis longtemps par la France…. avec pour but de renverser la loi, la constitution, le gouvernement, et toutes les institutions existantes, civiles ou ecclésiastiques, à la fois en Grande-Bretagne et en Irlande, ainsi que la dissolution des liens entre les deux royaumes... Le moteur le plus efficace utilisé à cet effet a été la mise en place de groupes politiques de nature et de type jusqu’alors inconnus dans tous les pays, et incompatibles avec la tranquillité publique et l’existence d’une gouvernance publique. » 3

1

Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic Research Center, 4-5 novembre 2000.

2

Idem.

3

«The clearest proofs of a systematic design, long since adopted and acted upon by France, in conjunction with domestic traitors...to overturn the laws, constitution and government, and every existing establishment, civil or ecclesiastical, both in Great Britain and Ireland, as well as to dissolve the connection between the two kingdoms...The most effectual engine employed for this purpose has been the institution of political societies, of a nature and description before unknown in any country, and inconsistent with public tranquility and with the existence of public government.» Commons’ Journals 54 (1799), p.329-371. Cité par Andrew PRESCOTT, The

Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du

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Les différents éléments qui préoccupaient plus particulièrement la commission étaient les serments, le secret, les signes, la hiérarchie et le rapport à l'argent. De plus, « les parlementaires craignaient le développement de clubs parmi les membres des classes inférieures. »1 Pitt décréta donc que ces sociétés (les United Britons, Englishmen, Scotsmen et

Irishmen) seraient rendues illégales, ainsi que d'autres sociétés de même nature. Il décrivit en

outre les caractéristiques de ces groupes qui étaient impliqués dans des

« engagements malfaisants et illégaux basés sur la fidélité mutuelle et le secret, l'élection secrète des membres, l’aspect secret de la gouvernance et de la conduite des affaires du groupe, des rendez-vous secrets tenus à l’insu de la majeure partie des membres, des présidents et des commissions [...] qui conspirent et dirigent la trahison. » 2

Le projet de loi indiquait clairement que les sociétés qui obligeaient leurs membres à prêter serment seraient désormais rendues illégales, et exigeait que les initiations aient lieu lors d'une réunion publique. Bien sûr, il est aisé de voir que les francs-maçons auraient dû être affectés par cette loi, de par ces deux derniers aspects.

Par conséquent, les deux Grandes Loges anglaises et la Grande Loge écossaise demandèrent une audience à Pitt. Lord Moira (Grand Maître par intérim de la Grande Loge d'Angleterre), le duc d'Atholl (Grand Maître de la Grande Loge des Anciens et Passé Grand Maître de la Grande Loge d’Ecosse)3

, ainsi que d'autres grands officiers, se rendirent à Downing Street le 2 mai 1799. On dit que Pitt leur fit part de « sa haute estime de la société », et qu’il était «disposé à recommander la rédaction d’une clause pour empêcher que la nouvelle loi ait une influence néfaste sur la franc-maçonnerie.»4 Pitt fut donc rassuré sur les intentions des maçons, et voyant qu'ils étaient prêts à coopérer afin que la franc-maçonnerie ne soit jamais utilisée comme couverture pour des activités radicales, il proposa de présenter des amendements pour que la franc-maçonnerie soit exemptée de cette loi. Il fut convenu qu’un système d'autorégulation serait mis en place par la Grande Loge. En pratique, cela signifiait

1

« The Committee was ‘concerned about the establishment of clubs among the lowest classes of the community’. » Cité par Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic Research Center, 4-5 novembre 2000.

2

« wicked and illegal engagements of mutual fidelity and secrecy, the secrecy of electing the members, the secret government and conduct of the affairs of the society, secret appointments unknown to the bulk of the members, presidents and committees which […] plot and conduct the treason. » The Parliamentary Register, 3rd

series, 8 (1799), pp. 456-482. Cité par Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic Research Center, 4-5 novembre 2000.

3

Pour Grand Maître et Passé Grand Maître, voir glossaire des termes maçonniques.

4

Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic Research Center, 4-5 novembre 2000.

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que chaque année le Grand Secrétaire1 remettrait un compte-rendu détaillé aux officiers en charge de consigner les rapports des tribunaux (ce compte-rendu indiquerait l’heure et le lieu de chaque tenue et ce dans chaque comté, et il ferait part de l'approbation de ces loges par le Grand Maître). En outre, les membres, au moment de leur adhésion, devraient déclarer dans le registre tenu par les loges qu'ils étaient «bien affectés à la constitution et au gouvernement de ce royaume, par les rois, les Lords et la Chambre des Communes, comme il est établi par la loi. »2 Lors des débats houleux qui se tinrent à la Chambre des Lords et notamment sur la possibilité d'exemption de la franc -maçonnerie, le Duc d' Atholl fit valoir que la position de la franc-maçonnerie en Grande-Bretagne n’était pas la même que sur le continent :

« Il n'y a pas de groupe dans le royaume qui soit plus loyal ou attaché à la personne de leur souverain ou à la cause de leur pays. Il n'y a rien dans l'institution maçonnique qui soit hostile à la loi, la religion ou au gouvernement établi du pays. »3

Il insista également sur le fait que l'institution ne servirait pas de façade à des activités séditieuses. Andrew Prescott indique que ce qui arriva par la suite n’est pas clair.

D’après un premier rapport, l'exemption de la franc-maçonnerie ne fut pas adoptée, et par conséquent « la franc-maçonnerie en Angleterre était à deux doigts de devenir une association de malfaiteurs.»4 Mais finalement Lord Grenville, le Ministre des Affaires Etrangères, proposa de modifier la clause qui donnait pouvoir aux grandes loges de se réguler elles-mêmes, et ajouta que les réunions qui étaient autorisées ne devraient porter que sur des affaires purement maçonniques.

«Le mode de certification devrait être, que deux membres de la loge devraient faire une déclaration écrite sous serment devant deux ou plusieurs magistrats de la ville où se trouvait la loge, déclarant le nombre et les noms de ses membres. Ces rapports devraient être transmis au greffier de la paix, qui devrait, une fois par an au moins, fournir un compte-rendu global de l'ensemble de sa circonscription aux

1

Voir glossaire des termes maçonniques.

2

« Well affected to the constitution and government of this realm, by Kings, Lords, and Commons, as by law established. » Cité par Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic Research Center, 4-5 novembre 2000.

3

« There were no set of men in the kingdom who could possibly be more loyal or attached to the person of their sovereign or the cause of their country. There was nothing in the masonic institution hostile to the law, the religion or the established government of the country. » Cité par Andrew PRESCOTT, The Unlawful Societies

Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du Canonbury Masonic

Research Center, 4-5 novembre 2000.

4

« Freemasonry in Britain was within an ace of becoming a criminal conspiracy. » Andrew PRESCOTT, The

Unlawful Societies Act of 1799, communication présentée lors de la Deuxième Conférence Internationale du

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magistrats siégeant en sessions trimestrielles. Dans le cas d’une plainte fondée contre une quelconque loge, ces magistrats devraient être habilités à supprimer les tenues de la dite loge.» 1

Cette législation resta en vigueur ... jusqu'en 1967, lorsqu'elle fut abrogée par le Criminal

Justice Act.