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Chapitre II : Les conséquences de la guerre

II) Maçons anglais déportés et camps de prisonniers (Prisoner-Of-War camps) : la fraternité par delà les (Prisoner-Of-War camps) : la fraternité par delà les

1. Continuer… prudemment

Plusieurs choses tendent à indiquer que dès 1937 les francs-maçons, et notamment par la voix officielle de la Grande Loge Unie d’Angleterre, avaient commencé à se montrer prudents, voire méfiants à l’approche de la guerre. Le secret a toujours entouré la franc-maçonnerie, quel que soit le pays (et à fortiori durant la première moitié du XXe siècle) ; il est donc délicat d’établir si la prudence qui redoubla alors que la guerre se profilait était liée à cet état de tension, ou si elle aurait été de mise quelle que soit l’issue des négociations qui se déroulaient en 1937-1938.

Ces précautions avaient déjà prises par la GLUA en temps de guerre. Ce fut également le cas en 1914, lorsque les frères allemands furent éconduits devant les portes des loges.

Dès septembre 1938, la Grande Loge mit en garde contre les « organisations para-maçonniques » ou quasi-masonic bodies en anglais. En effet, le Grand secrétaire rappella dans les comptes-rendus des réunions trimestrielles les objectifs et les relations qu’entretenait la franc-maçonnerie anglaise, et il attira l’attention sur un des principes fondateurs que celle-ci respectait (au contraire de la franc-maçonnerie dite continentale), à savoir : « l’interdiction des discussions politiques ». Il conclut :

« Rester à l’écart de toutes les questions qui affectent les relations entre un gouvernement et un autre, ou entre les différents partis politiques, ou encore les questions qui touchent aux différentes théories de gouvernements contradictoires. La Grande Loge a conscience de l’existence de telles organisations, qui se font appeler franc-maçonnerie, qui n’adhèrent pas à ces principes. Et quand bien même cette attitude existe, la Grande Loge d’Angleterre refuse catégoriquement toute relation avec de telles organisations, et refuse de les considérer comme maçonniques. Aucun des principes de base de la franc-maçonnerie n’est entouré de secret. »1

1

« To stand aloof from every question affecting the relations between one government and another, or between political parties, or questions as to rival theories of government. The Grand Lodge is aware that there do exist

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Ces explications, qui aux yeux du Grand Secrétaire se devaient d’être rappelées lors des

Quarterly Communications, les réunions trimestrielles de la GLUA, étaient la conclusion

d’une réunion plus informelle qui s’était tenue le 20 juin 1938.1

Ces commentaires reprennent donc la problématique plus générale de la reconnaissance et de la régularité des obédiences2, notion sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement. Nous soulignerons donc ici que la distinction entre les obédiences considérées comme « régulières » par la GLUA et les autres est primordiale. La Grande Loge s’est octroyé un rôle de juge quand se posent les questions des relations entre les obédiences, surtout à un niveau international comme il est souligné dans le communiqué en question. Ce principe régit donc les relations à un niveau individuel également. Le comité mit en garde chaque maçon sur la question de la régularité, à fortiori pour ceux qui se rendaient fréquemment à l’étranger. On peut imaginer que ce fut souvent le cas en temps de guerre, notamment pour tous ceux qui étaient mobilisés sur le continent. Il fut précisé que :

« Le comité souhaite souligner l’importance auprès des frères qui voyagent à l’étranger, qu’il est essentiel qu’ils ne visitent de loge, ou ne s’associent maçonniquement avec un frère, que s’ils ont la preuve qu’ils appartiennent à une juridiction reconnue par la GLUA. »3

Sans qu’il ne soit fait mention de cas particuliers où des maçons se seraient effectivement rapprochés de groupes non-reconnus par la GLUA (et on peut se demander ici si la GLUA fait référence à des obédiences non-régulières, comme le Grand Orient en France ou de Belgique par exemple, ou bien à d’autres groupuscules qui se revendiquent de la maçonnerie de façon beaucoup plus lointaine), les autorités considérèrent néanmoins bon de rappeler encore une fois la faute que cela constituait de prendre contact avec ces communautés 4. Elles allèrent

bodies, styling themselves Freemasons, which do not adhere to these principles. And while that attitude exists the Grand Lodge of England refuses absolutely to have any relations with such Bodies, or to regard them as Freemasons. There is no secret with regard to any of the basic principles of Freemasonry.

»

United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, septembre 1938, Aims and relationships of the Craft, p.239.

1 Idem. 2

Voir glossaire des termes maçonniques.

3

« The Board wishes to impress upon brethren who are travelling abroad, that it is essential that they should not visit any lodge, or associate masonically with any brother, unless satisfied that they belong to a jurisdiction recognised by UGLE. » Vol. XXIII, septembre 1938, p.235.

4

En 1877, le Grand Orient de France décida de supprimer de sa constitution l’obligation de croire en « l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme », retirant de facto la reconnaissance de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

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même jusqu’à trancher que quelqu’un « qui s’est associé avec ces organisations para-maçonniques ne devrait jamais être initié en franc-maçonnerie. »1

Ce traitement, plutôt sévère s’il en est, fut certainement dicté par un climat de tension grandissante depuis 1938 et les Accords de Munich, sur lesquels le journal maçonnique le

Freemason’s Chronicle d’octobre 1938 commenta : « ces derniers jours ont créé un état

d’anxiété et de tension lié aux nuages sombres de la guerre qui s’amassent rapidement»2

, et ceci malgré le fait que les francs-maçons britanniques ne débattent aucunement de politique en temps normal. La violation manifeste des accords de Munich provoqua la colère du gouvernement britannique, comme le proclama le Glasgow Herald du 16 mars 1939 : « Le Premier Ministre regrette amèrement ce qui s’est passé »3

, et souligne encore davantage cet état d’anxiété au niveau national et international. En trame de fond, on retrouve également la honte provoquée par les maçons allemands qui, quelques années auparavant, avaient consenti à retirer de leurs rituels toute mention de l’Ancien Testament, et s’étaient pliés sans mal aux prérogatives nazies en formant l’Ordre Chrétien de Frédéric le Grand, strictement interdit aux Juifs.

L’obligation de ne traiter qu’avec des obédiences reconnues et légitimes n’était pas récente (une mention précédente datait de 1929), mais se fit certainement plus pressante selon le contexte géopolitique du moment.

Il en allait de même dans le cas inverse, pour les maçons étrangers qui étaient amenés à visiter des loges anglaises. L’admission de ces visiteurs, même avant la déclaration de guerre, était déjà sujette à précaution :

« Il est nécessaire de procéder à un contrôle plus rigoureux des références des frères que l’on désire inviter comme visiteurs dans les loges. Les Constitutions prévoient qu’aucun frère ne doit être admis dans une loge sauf s’il est connu personnellement par l’un des frères présents qui se portera garant, ou sauf s’il est reconnu sans aucun doute après examen approprié. Des preuves et documents écrits devront être fournis. »4

1

« Someone who associated with any quasi masonic body should not be initiated into the Craft. » United Grand Lodge of England Proceedings, Vol. XXIII, juin 1939, p.350.

2

« The past days have created a state of tense anxiety by the swiftly gathering clouds of war ». The Freemason’s Chronicle, octobre 1938. Cité par Diane CLEMENTS dans Masons at War. MQ Magazine, numéro 13, avril 2005.

3

« Premier bitterly regrets what has occurred » Glasgow Herald, 16 mars 1939. Consultable sur https://news.google.com/newspapers?nid=2507&dat=19390316&id=MElAAAAAIBAJ&sjid=j4UMAAAAIBA J&pg=5036,2589698&hl=fr Consulté le 21/03/16.

4

« There is a necessity for a more careful scrutiny of the credentials of brethren whom it is desired to invite as visitors to lodges. The Constitutions require that no brother shall be admitted into a lodge unless he be personally

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