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De la gestion intégrée à la Directive Cadre sur l’Eau Directive Cadre sur l’Eau Directive Cadre sur l’Eau Directive Cadre sur l’Eau

1.2 Le modèle français comparé aux Pays-Bas

1.2.4 La tradition d'une gouvernance fondée sur le consensus social

Aujourd'hui l'enjeu inondation est de premier ordre aux Pays-Bas, du fait de la topographie du pays, particulièrement plate et basse, et du fait du changement climatique annoncé qui expose une proportion importante de la population aux risques des crues.

Les Pays-Bas sont un « pays d’eau ». Dans la moitié sud du territoire des Pays-Bas se trouve un grand delta où se jettent d’importants fleuves dont les plus importants sont le Rhin, la Meuse et l’Escaut. Une mer intérieure, le lac d’Ijssel, couvre une partie du nord du pays. La surface totale des Pays-Bas actuels est de 41 526 km², dont 7 643 km² sont couverts par les eaux (lacs et cours d’eau) : près de 20 % du territoire néerlandais est aquatique.

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Deuxièmement, les Pays-Bas présentent une topographie sans relief voire dépressionnaire puisque 30 % du territoire est situé en dessous du niveau de la mer, ainsi que 60% en zones inondables. Cette variable topographique est ici décisive pour saisir toute l'importance de l'enjeu inondation aux Pays-Bas.

Depuis le Moyen Age, les Néerlandais ont asséché les marais et gagné des nouvelles terres sur la mer et sur les lacs appelés polders. Pour pouvoir aménager des polders, les Néerlandais ont développé au fil du temps non seulement une ingénierie hydraulique (construction de digues, tracé de canaux et évacuation de l’eau par des procédés de pompage comme les moulins à vent), mais également une organisation sociale spécifique pour la gestion de la ressource et l'entretien des infrastructures, qui à terme a pris la forme des wateringues. Cette organisation est née d'une conscience collective dans laquelle les acteurs partagent des objectifs et des intérêts communs110.

On a pu parler ainsi du phénomène de poldérisation pour désigner le rôle central de cette conscience collective qui s’est développée, parallèlement à la morale protestante, autour de la nécessité de s’imposer face à la nature111 . Il s’agit d'un univers de significations rapporté à l’organisation corporatiste néerlandaise : l'intérêt général ne se définit pas par opposition aux intérêts particuliers, mais avec eux. Il s'agit pour l'État de rechercher un consensus au sein de la société et avec la société, ce qui engage des formes de dialogue entre acteurs publics et acteurs privés.

La recherche de consensus social est généralement présentée comme une « tradition politique nationale » qui remonte au début du XXe siècle au moment où les Pays-Bas renforcent les fondements de leur démocratie112. C’est l’ère dite de la pacification entre les « trois grands piliers de la société » (protestant, catholique, et « humaniste » subdivisé en libéraux et socialistes), où chacun des groupes conscient de l’avantage de la cohésion nationale, consent à prendre part aux questions collectives au côté des autres groupes.

A la différence de la France où la loi de 1901 limite le phénomène associatif aux domaines privés, l’État néerlandais institutionnalise et subventionne des organisations associatives largement impliquées dans le domaine public (enseignement, syndicalisme, partis politiques,

110 Ibid.

111 DE VOOGD C. (2003), Histoire des Pays-Bas, Paris, Fayard.

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51 hôpitaux, médias …). Rappelons qu’en ce début de XXe siècle, la politique de l’eau n’était pas un domaine accessible aux corporations. Il demeurait une prérogative exclusive de l’État et du RWS.

Cette forme de corporatisme, où les trois tendances sociales prennent publiquement part au fonctionnement de l’action collective publique est appelée verzuiling (de zuilen qui signifie piliers en néerlandais). Ce modèle d’organisation sociale dominera la société néerlandaise entre la fin de la première guerre mondiale et les années 1960.

Ainsi les Pays-Bas trouvent à l’origine de leur démocratie une compartimentalisation de la société mise en place par l’État dans le but avoué de maintenir la cohésion nationale en favorisant les liens entre le pouvoir politique et la société via ces corps intermédiaires. En revanche cette organisation sociale corporatiste ne convenait pas en réalité aux libéraux, favorables à l’émancipation des individus, encore moins aux socialistes désireux de voir disparaître le clergé et la bourgeoisie. En effet, la mise en place du verzuiling permit aux tendances confessionnelles de se maintenir dans les secteurs clefs de la société et de la politique, alors que leur représentativité diminuait.

Cependant, les Pays-Bas ont pu organiser de la sorte leur action collective jusqu’au troisième quart du XXe siècle, grâce à ces corporations dont les leaders poursuivaient des objectifs communs malgré leurs idéologies divergentes.

Or le verzuiling s’épuise à la fin des années 1960. Les Pays-Bas sont affectés, comme ailleurs en Occident, par la remise en cause profonde de l’organisation sociale. A sa place, l’État néerlandais dans les années 1980 instaure une autre manière de réaliser du consensus social : le Polder Model113. Dans le domaine de la protection de la nature, l’État inaugure en 1985 les premiers « comités directeurs par consensus » où les groupes-cibles, les acteurs économiques principalement, sont convoqués par les pouvoirs publics pour négocier avec eux les objectifs des politiques publiques et les conditions de leur mise en œuvre. Suivront bientôt les domaines du développement local, de l’agriculture et la politique de l’eau.

113 HENDRIKS F., TOONNEN Th.A.J., (2001), Polder politics. The Re-Invention of Consensus Democracy in

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La France et les Pays-Bas convergent aujourd'hui en ce qui concerne la gouvernance de la ressource en eau. La subsidiarité est devenue une norme d'action publique incontournable. Le

local et les usagers de l'eau constituent des éléments essentiels pour faire émerger les

problèmes collectifs et pour contribuer à leur résolution. Cependant la France et les Pays-Bas ont un héritage différent en termes d’organisation de la gestion de l'eau. La France, marquée par une tradition plus centralisée avait de longue date travaillé à éliminer les forces centrifuges de la nation. Aux Pays-Bas, la gestion communautaire et locale de la ressource en eau a survécu aux transformations économiques et sociales du pays, la création du RWS n'ayant pas entraîné la disparition des wateringues, qui ainsi ont pu se réaffirmer fortes de leur expérience. On constate par ailleurs la persistance de divergences décisives au sein de cette renaissance convergente des territoires de gestion depuis les années 1960, précisément concernant le rôle du public dans la gouvernance de l'eau. Si aux Pays-Bas, la plupart des représentants des usagers de l'eau au sein des wateringues sont élus par les habitants, ce n’est pas le cas des Comités de bassin en France, dont la composition est fixée par la loi. Et le fait qu'une instance publique non-élue puisse percevoir une taxe expose la gestion intégrée de l'eau française à un certain nombre de critiques, et principalement celle de favoriser certains usagers de l'eau au détriment de l'ensemble de la communauté d'usagers114

. Depuis les années 2000, les État européens organisent la gestion intégrée de la ressource en eau en fonction de la DCE. Étant données ces spécificités nationales en matière de participation du public, on peut se demander si ces spécificités pèsent lors la transposition de la DCE, et notamment de l'article 14. La consultation prend-elle forme différemment dans chacun des cas? Nous observerons en effet des différences de transposition dans le troisième chapitre.

A présent nous proposons d'examiner la DCE en montrant qu'elle est elle-même le résultat des leçons tirées de l'échec relatif des règlementations européennes, ce qui donne à penser que le « recours au public » constitue une des solutions envisagées pour remédier au déficit d'implémentation des règles communautaires.

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Section 2

Section 2Section 2

Section 2. . . . L’Europe et L’Europe et L’Europe et la Directive Cadre européenne sur l'EauL’Europe et la Directive Cadre européenne sur l'Eaula Directive Cadre européenne sur l'Eaula Directive Cadre européenne sur l'Eau

La DCE représente aujourd'hui pour les États membres de l'Union, la réglementation de référence pour la gestion de la ressource en eau. Elle prévoit une harmonisation des objectifs en termes de préservation de la ressource en eau, ainsi qu'une harmonisation des méthodes en vue d'y parvenir. Elle comporte trois grands principes fondamentaux : l’obligation de bon état

écologique (article premier), l’obligation de récupération des coûts (article 9) et l’obligation d’information et de consultation du public (article 14). Nous postulons que ce sont

précisément ces trois obligations et leur articulation qui doivent normer la réforme de la gestion intégrée de l'eau des États membres, par le renforcement de la redevabilité des pouvoirs publics et des usagers de l'eau. En effet nous faisons l’hypothèse que l'obligation d’information et de consultation du public appelle des mécanismes, qui sans être nouveaux, conduisent de manière inédite les acteurs de l'eau à une plus grande responsabilité, en demandant que les enjeux et les compromis collectifs de la gestion de l'eau soient plus explicites, plus transparents, et plus accessibles au grand public. Et in fine le mécanisme de « prise à témoin du public » incarné par l’article 14 DCE est censé aboutir à une plus grande efficacité de la politique de l'eau en termes de bon état écologique de la ressource.

L'objectif de cette seconde section est de montrer que l'Union européenne a opté pour

l’obligation d’information et de consultation du public en tirant les conséquences de l'échec

relatif des réglementations européennes précédentes qui avaient rencontré des obstacles au moment de leur transposition par les États membres. Nous verrons que les obstacles envisagés ici, par l'Europe et par certains auteurs, sont situés dans les configurations corporatives de la gouvernance de l'eau, suspectées de dévier les objectifs environnementaux des directives européennes.