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2.2 Vers une standardisation de la participation du public

2.2.3 La participation du public institutionnalisée (1990/2000)

Après l'essoufflement de la participation ascendante à la fin des années 1970, et le renforcement du pouvoir des notables dans les années 1980, le thème de la participation réapparait dans les années 1990 et 2000, cette fois-ci de manière descendante par la voie institutionnelle. Désormais ce sont les gouvernements nationaux qui prescrivent la norme participative, en consacrant une série de législations qui renforcent les termes de la transparence et de la participation.

Plusieurs législations françaises ont progressivement inscrit la participation du public comme une norme légale dans l'action publique. En France, ce phénomène débute avec la circulaire Bianco du 15 décembre 1992, relative à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures. Cette circulaire prévoit une procédure de concertation démocratique et

transparente sur l’opportunité des grands projets d’infrastructures dès la conception des

projets, en amont de l’enquête publique, afin de réduire l’opacité des processus de décision et de renforcer l’acceptabilité des projets et la légitimité des décisions218.

A l’issue de cette première étape est adoptée la loi Barnier du 2 février 1995 qui a créé une instance permanente chargée d’organiser le débat public : la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). En complément de la loi Barnier, la loi de 2002 dite de « démocratie de proximité », promeut la CNDP en autorité administrative indépendante et reconnait la légitimité, lorsqu’elles se présentent, des demandes d’implications citoyennes au sein du processus décisionnel219.

La concertation est également devenue un volet obligatoire dans le cadre de l'élaboration des Plans Locaux d'Urbanisme (loi sur la Solidarité et le Renouvellement urbain, décembre 2000). Le principe participatif fut finalement inscrit dans la Constitution française en 2004 avec la Charte de l'environnement qui précise que « toute personne est en mesure de demander aux

autorités publiques toute information relative à l'environnement qu'elle détient » (art.7).

218 BLATRIX C. (2002), Op. cit.

219 MONNOYER-SMITH L. (2006), « La pratique délibérative comme invention politique », Sciences de la

103 De plus, au niveau communal, on a assisté depuis les élections municipales de 1995, à une diversification des techniques et des procédures permettant d’établir le contact et le dialogue avec les habitants, présentées comme relevant de la démocratie participative220 : conseils de quartier, référendums, questionnaires postaux, système de questions / réponses dans la presse locale, pratique des sondages, forums Internet, etc.

Ainsi s’est progressivement développée une législation qui gratifie d’un caractère obligatoire

la prise à témoin du public durant la conduite de projets polémiques. Ce phénomène a déjà

fait l’objet d’un nombre important de recherches consacrées d’une part à analyser le déroulement de débats publics et de procédures de consultation mis en œuvre autour d’études de cas devenus emblématiques (politique de la ville221, définition de périmètres protégés222, projets de barrages223, de lignes électriques à haute tension224, de voies ferrées pour le passage du TGV225, de controverses autour des OGM226, d’accidents industriels227 …), et consacrées d’autre part à mesurer la robustesse et les effets de ces procédures dans le processus décisionnel.

L’analyse du déroulement des procédures interroge principalement les méthodes employées (modes d’expression et de production des compromis collectifs), le statut des acteurs ainsi que leurs capacités stratégiques (le rôle et le comportement de chaque catégorie d’acteurs ; en se focalisant particulièrement sur la société civile et les habitants / groupes-cibles / usagers ; sur la formation et la reformation des coalitions ; sur l’appropriation des enjeux ; et sur les effets

220 LEFEBVRE R., NONJON M. (2003), « La démocratie locale en France. Ressorts et usages », in Démocratie

locale et internet, Sciences de la société, n°60

221

LEFEBVRE R., NONJON M. (2003), Op. cit.

222 BECERRA S. (2003), Protéger la nature. Politiques publiques et régulations locales en Espagne et en

France, thèse de sociologie, UTM, Toulouse

223 MARCANT O. (2005), « Le débat public Charlas : scène dramatique entre concertation institutionnelle et contestation associative », Sud-Ouest Européen, n°20

224 SIMARD L., LEPAGE L., FOURNIAU J.M., GARIEPY M., GAUTHIER M. (dir.), 2006, Le débat public en

apprentissage. Aménagement et environnement. Regards croisés sur les expériences française et québécoise,

Paris, L’Harmattan.

225 BLATRIX C. (2002), Op. cit.

226

CALLON M., LASCOUMES P., BARTHE Y. (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie

technique, Paris, Le Seuil.

227 SURAUD M.G (2007), La catastrophe d’AZF. De la concertation à la contestation, Paris, La documentation française.

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de débordement), ou encore sur la production des savoirs et le déplacement des paradigmes gestionnaires.

* * *

L’histoire de la participation du public ne donne pas à voir une évolution linéaire. Partie du succès populaire du thème de l’autogestion dans les années 1960 et 1970, en porte-à-faux avec le pouvoir étatique et le pouvoir local traditionnels, les protagonistes des mesures de décentralisation ont trouvé dans la revendication participative un prétexte pour réformer l’administration territoriale en faveur de conceptions fédéralistes longtemps honnies par les partisans du jacobinisme. La lutte entre ces deux conceptions de l’action publique, remontant à la Révolution française, n’a mobilisé pour l’essentiel que des acteurs politiques institutionnels et a fait perdre de vue que l’objectif initial de la réforme était de rapprocher les individus de leurs représentants. Ces éléments confirment la thèse de la coexistence de la

légitimité autoritaire et de la légitimité démocratique au sein de l'État libéral, y compris après

la recherche de dépassement de l'État Providence, compte tenu du peu de place accordé aux citoyens durant les processus de décision.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les procédures participatives ont trouvé un regain d’intérêt, devant l’inquiétude suscitée par la montée de la défiance des citoyens à l’égard de leur représentant légaux228 et devant les défis posés par les enjeux environnementaux et territoriaux aux formes de gestion centrées sur la prépondérance des pouvoirs publics. Les recherches menées autour de l’institutionnalisation des procédures participatives ont précisément interrogé en quoi consiste ce regain d’intérêt manifesté par la sphère politique.

228 SUE R. (2003), Op. cit. ; BALME R., MARIE J.L., ROZENBERG O. (2003), « les motifs de la confiance (et de la défiance) politique : intérêt, connaissance et conviction dans les formes du raisonnement politique », Revue

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