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2.1 Les usages anticipés de la consultation du public d’un point de vue stratégique

2.1.2 La consultation du public comme stratégie de reconquête de l’opinion

D'un côté, les wateringues s’estiment injustement placées sous la tutelle des Provinces, considérant que ces dernières sont incapables techniquement et politiquement de porter cette responsabilité. De leur côté les Provinces, mais surtout le Rijkswaterstaat (RWS), jugent inapproprié de maintenir la trop grande autonomie des wateringues, compte tenu de leurs tendances présumées à recycler les normes environnementales au profit des groupes d'intérêts. Ce contexte est ainsi propice à une controverse autour de la légitimité du nouveau régime, et comme en démocratie la stabilisation du pouvoir politique repose en grande partie sur la

191 capacité à gagner le soutien de l’opinion du public (chapitre 2), la consultation est naturellement envisagée comme une source de légitimation à l’usage des pouvoirs publics en compétition. Deux déclinaisons de cette dynamique de légitimation ont été identifiées ici. Premièrement, la prise à témoin du public comme dispositif destiné à faire la démonstration de son savoir-faire, et à arbitrer entre les pouvoirs, en plus de sa capacité officielle à informer/sensibiliser l’opinion sur les problématiques environnementales. Deuxièmement une fois le public rallié grâce aux dispositifs de consultation mobilisés, on considère envisageable de gagner à travers lui ceux dont on souhaite la participation active (élus, organisations), en vue de former des coalitions nouvelles, afin de maintenir un rôle actif et indépendant dans la configuration politique.

En tant que destinataires des services publics, les habitants sont de fait bien placés pour évaluer la prestation des services dont ils bénéficient et qu’ils financent en vue de répondre à des besoins précis : protection contre les crues, alimentation en eau potable (même si ce sont les municipalités qui en sont comme en France responsables), irrigation, travaux d’aménagement, entretien des équipements collectifs …

« Moi je suis de cette école : ''Laissons-nous faire notre travail, mettons-le en œuvre, suivons la procédure. Ne consacrons pas trop d'énergie en réorganisation et en discussion, mais essayons de faire du bon travail et l'organisation suivra''. […] La légitimité démocratique et la transparence sont les deux éléments sur lesquels nous devons investir à présent. Et je ne suis pas effrayé de ces discussions […] car les échelles d'action sur lesquelles nous travaillons sont bien plus pertinentes que celles des collectivités. » [Représentant des ONGE, wateringue, 2007]

Dans le cadre d’une concurrence organisée entre plusieurs types de prestataires, notamment après l’activation des Provinces, les wateringues sont soucieuses de la qualité de leur service et de leur réception par le public. Il s’agit pour elles, en l’occurrence, de faire leur démonstration de leur savoir-faire, de leur supériorité, de leur réactivité vis-à-vis du feedback renvoyé par le public. Ici, la légitimité démocratique n’est pas assurée d’emblée, elle se gagne et se mérite en vertu de la qualité du travail accompli. Sur ce terrain-là, persuadés que les « bureaucrates » des Provinces ne seront pas à la hauteur étant dépourvus du savoir-faire nécessaire, les membres des wateringues sont persuadés qu’ils auront l’ascendant à partir du moment où le public pourra évaluer le travail des uns et des autres.

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« Il est important que les habitants soient au courant de ce que nous faisons ici, de la manière dont nous utilisons leurs taxes. Il est important qu’ils sachent que cet argent est utilisé pour répondre à leurs besoins, que nous essayons de ne rien gaspiller, que nous faisons bien notre travail. […] [C’est pourquoi] nous envoyons ces lettres d’information aux habitants. […] Les habitants sont les seuls à qui nous devons rendre des comptes. » [Représentant des agriculteurs, wateringue, 2007]

Il est donc admis que l’exigence de transparence et de redevabilité due au public passe par la mise à disposition d’outils qui permettent l’évaluation des services publics. Nous verrons plus bas la manière dont ces autorités conçoivent ces outils, et par quels biais elles tentent de convaincre l’opinion. Nous avons relevé par ailleurs un autre élément susceptible d’être pensé pour gagner les faveurs du public. Il s’agit pour les wateringues de diversifier leurs activités en vue de mieux servir les habitants, en s’inspirant d’une entreprise de séduction selon une démarche marketing.

« Nous venons de différentes origines. Et nous cherchons encore notre voie. Nous étions hier la plus grande wateringue et la plus avancée. Aujourd'hui nous sommes devenus une wateringue moyenne. […] Et nous faisons désormais d'autres choses que de gérer la qualité et la quantité de l'eau. Nous nous occupons des questions de la nature, du loisir, de la propriété privée, de la voirie, du ramassage des ordures … Nous sommes à la recherche de diversifier nos activités. » [Représentant des ONGE,

wateringue, 2007]

Quitte à prendre des initiatives pour assurer sa survie, autant faire des choix qui dépassent les prérogatives traditionnelles de l’institution. Depuis qu’elles existent, les wateringues sont destinées à trouver des règlements aux problématiques de l’eau. Qu’il s’agisse de l’allocation de la ressource pour répondre aux besoins des habitants, ou qu’il s’agisse de se prémunir contre les crues. Plus récemment, elles se sont penchées sur des problématiques plus qualitatives (assainissement, lutte contre les pollutions, sanctuarisation d’espaces aquatiques protégés …), et désormais elles ont quasiment toute latitude pour le choix des services publics qu’elles comptent mettre en œuvre. Le savoir-faire dont elles se prévalent consiste pour une part importante en de la maîtrise d’ouvrages, de l’organisation de marchés publics, de la gestion d’équipements collectifs, de la régulation croisée avec les autres pouvoirs publics … Ce qui est réalisé dans le domaine de l’eau peut être reproduit dans d’autres domaines où les démarches à conduire sont similaires. Alors autant en tirer partie si cela peut renforcer la légitimité des wateringues.

193 Par ailleurs, les wateringues savent qu’en réalisant leurs propres programmes de mesure, elles seront également évaluées par les autorités européennes qui en mesureront la validité. Loin d’être perçue comme une épée de Damoclès supplémentaire, cette autre évaluation est représentée comme une opportunité de se soustraire de la tutelle provinciale, de passer outre son jugement.

« En 2008, nous aurons à achever le plan de bassin du ''Rhine west'', et en 2009 le public pourra donner son opinion. Et ensuite nous l'enverrons à Bruxelles. […] Vous avez ici tout le processus gouvernemental interne pour définir le définir le niveau de qualité de l'eau que nous envisageons. Ils nous diront alors si nos propositions sont conformes à leurs attentes. […] [Cela permettra aussi de déterminer si] les propositions des Provinces sont nécessaires ou non. Si les objectifs des Provinces sont trop élevés compte tenu de nos moyens réels, l’Europe nous demandera sans doute de modérer leurs ambitions. » [Représentant des agriculteurs, wateringue, 2007]

Espérer que l’Europe serve davantage d’évaluateur et de référent que les tutelles de wateringues dans la configuration néerlandaise, les Provinces et les ministères, revient effectivement à affaiblir l’autorité de ces derniers, notamment leurs capacités à s’imposer auprès des wateringues. Dans un même esprit, l’adoption de l’impératif de bons résultats, loin d’être appréhendée comme une contrainte, est envisagée comme une opportunité de renforcer l’autorité des wateringues en les dotant d’une responsabilité nouvelle.

« Aux Pays-Bas, nous avons le ''Polder Model''. Cela provient des wateringues. Le Polder Model signifie que toutes les autorités publiques discutent jusqu'à ce qu'elles trouvent un règlement aux problèmes. Or désormais les wateringues sont responsables de la plupart des traitements qualitatifs de l'eau, et ce au nom de l'obligation de résultats. […] Si les services de l'eau ne sont pas assez performants, nous serons pénalisés. C'est nouveau. Parce qu'autrefois, nous étions seulement obligés de faire de notre mieux. Par conséquent, cela nous procure une nouvelle autorité. Parce que quand vous êtes responsables de quelque chose, les autres doivent coopérer avec vous. »

[Représentant des entreprises, wateringue, 2007]

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Devoir rendre des comptes aux habitants d’une part, à l’Europe d’autre part, devoir investir dans sa communication, diversifier ses activités, être réceptif aux besoins des habitants, tout ce qui d’ordinaire serait apparu comme contraignant, contre-productif, comme des lourdeurs

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bureaucratiques, est perçu comme autant d’opportunités de renforcer sa légitimité et son

autorité au sein de la configuration de l’eau et du jeu stratégique. Pour l’illustrer, arrêtons-nous un instant sur l’argument défendu dans le dernier verbatim : « quand vous êtes

responsables de quelque chose, les autres doivent coopérer avec vous. ». Cette réflexion

explique cet optimisme inattendu à l’endroit de l’injonction européenne à la redevabilité. On peut ainsi supposer que les responsables des wateringues cherchent, pour maintenir leur autonomie, à recomposer des liens d’interdépendances qui les positionnent à leur avantage, tout en acceptant les conditions de la DCE. Cette recomposition nécessite précisément de constituer ou de renforcer le tissu de coalitions qui leur permettra de retrouver une place de choix dans la gouvernance de l’eau.