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4-3.2.1.

Les titres courants avec nominalisation(s)

La remarque que nous ferons ici à propos de ces titres courants a pour point de départ une observation de Patrick Sériot concernant la nominalisation. Comme on l’a signalé précédemment, cet auteur remet en question l’équivalence entre cette dernière et l’énoncé verbal qui lui est sous-jacent, d’une part parce que celui-ci n’est pas toujours reconstituable à partir de la seule nominalisation, d’autre part, et c’est cela qui nous intéresse ici, parce qu’il existe selon lui entre ces deux types d’énoncés, une « différence de statut assertif » (Sériot, 1986 : 24). En effet, dans une nominalisation, l’énoncé verbal

sous-jacent n’est pas asserté, il est implicite. Pour cet auteur, l’énoncé nominalisé apparaît donc le plus souvent, comme un préconstruit380 :

c’est-à-dire qu’il n’est pas pris en charge par le sujet énonciateur, mais se trouve comme un objet du monde « déjà là », préexistant au discours, qui va servir à instancier une place dans la relation : ses conditions de production ont été effacées (Sériot, 1986 : 24) .

En d’autres termes, la nominalisation constituerait une sorte de rappel abrégé d’un énoncé verbal complet déjà produit, ou présenté comme déjà produit. L’auteur souligne ainsi l’effet de réel et d’évidence produit par la nominalisation – et, plus généralement, par ce qui est préconstruit :

Tel le nom d’un objet, la relation prédicative sous-jacente à une Nmz [nominalisation] est désignée, et non énoncée : l’énoncé antérieur désigné par la Nmz est alors dénivelé par rapport au plan de l’énonciation de l’énoncé où se trouve l’occurrence de la Nmz (ou du SN [syntagme nominal], de façon plus générale), provoquant un effet de réel (Idem : 29).

La nominalisation suppose, par conséquent, plusieurs énonciateurs au sein d’un même locuteur, qui « éclate en une place où l’on dit “je”, d’où l’on prend en charge, hic et nunc, un énoncé, et une autre qui est celle d’un “sujet universel”, place que “tout le monde”, “quiconque” est censé pouvoir occuper » : il y a donc, selon lui, « assujettissement du sujet énonciateur au sujet universel impliqué par la préconstruction des termes à partir desquels est produit un énoncé » (Idem : 32-33).

Cet effet d’évidence, d’effacement derrière un « sujet universel » ne se produit néanmoins que dans les cas où la nominalisation n’est pas la reprise d’un énoncé verbal complet introduit précédemment. Sophie Moirand (1975) remarque ainsi dans le cas de la presse écrite, que le plus souvent, lorsqu’un article est annoncé à la Une et se poursuit en pages intérieures, le titre de la Une se présente sous la forme d’une phrase à prédicat verbal, repris en pages intérieures sous forme de nominalisation, ou forme

380 Patrick Sériot reprend cette notion travaillée par M. Pêcheux (1975) et P. Henry (1975), à la suite de Culioli (1970). Patrick Sériot (1986 : 24) définit les préconstruits comme des « énoncés simples tirés de discours antérieurs, ou présentés comme tels. Ces énoncés, extérieurs à l’acte d’énonciation actuel, sont importés comme des relations prédicatives où chaque élément est déjà muni d’opérations d’assertion effectuées ou supposées effectuées lors d’un acte d’énonciation précédent, qu’il soit intérieur ou extérieur au discours en question ».

« déprédicativisée ». Nous avons donc observé si nos titres courants comportant des nominalisations (« Protesta y represión », « Reconstrucción », et « 24 horas de cambios ») pouvaient être la reprise anaphorique d’un énoncé verbal complet de la Une. Or on constate que ce n’est le cas pour aucun d’entre eux.

En effet, si la photo en Une de El Nacional le 12 avril – sur laquelle on peut voir un mort au milieu de manifestants – évoque bien la « protestation » et la « répression », la page ne contient aucun énoncé explicite dont le titre « Protesta y represión » pourrait être l’anaphore (du type : « La société civile a protesté et le gouvernement l’a réprimée » ou même : « La manifestation a été réprimée »).Quant au titre « Reconstrucción », il apparaît dans El Universal du 13 avril dés la Une, d’une part sous forme de titre courant381, d’autre part comme titre de l’éditorial, se trouvant en première page, et intitulé lui aussi « Reconstrucción ». Il s’agit cependant, dans les deux cas, d’une forme déjà nominalisée et non d’un énoncé verbal comportant le verbe « reconstruir ». Enfin le titre « 24 horas de cambios » n’est pas, lui non plus, la reprise d’un énoncé complet de la Une contenant le verbe « cambiar ». Néanmoins, on peut y voir une reprise « conceptuelle »382, un récapitulatif de l’ensemble des titres de cette page, dans lesquelles sont énumérées les étapes successives du revirement de situation. Ce dernier se distingue donc un peu des deux autres titres courants, dans lesquels les nominalisations, n’étant pas la reprise d’énoncés verbaux explicites, produisent l’effet de réel et d’évidence mentionné par Patrick Sériot. En effet, dans « Protesta y represión » et « Reconstrucción », on a l’impression que quelqu’un a déjà énoncé, et donc annoncé, le fait que des personnes aient

protesté et qu’elles aient été réprimées d’une part ; que quelqu’un soit en train de reconstruire quelque chose d’autre part. Cela entraîne donc un effet d’effacement du

locuteur – ici, le méta-énonciateur du journal – qui semble se contenter de récapituler des faits déjà énoncés dans un « “ailleurs” du discours »383 : ces derniers sont ainsi présentés comme allant de soi.

381 Les titres courants apparaissent dès la Une dans les trois éditions de El Universal que comporte notre corpus (voir tableau des titres courants, section 3.2.1) ainsi que dans les éditions hors-corpus que nous avons consultées (08/04/02 ; 10/04/02 et 11/04/02 par exemple).

382 Nous reprenons ici les mots de Sophie Moirand (1975 : 69) qui indique que dans un titre, la nominalisation peut apparaître comme une « reprise “conceptuelle” d’une idée majeure de l’article »

Titres de « style nominal »

4-3.2.2.

Cette observation peut en fait s’appliquer à l’ensemble des titres courants de notre corpus, à l’exception, encore une fois, du titre « Chávez reasume el poder », qui consiste en une phrase complète. En effet, on a vu que tous ces titres – excepté ce dernier – se présentaient sous la forme d’un « bloc syntaxique unique », catégorie la plus condensée et la plus nominale de la classification de Françoise Sullet-Nylander, se caractérisant, entre autres, par l’absence de prédicat verbal. Leo H. Hoek (1981 : 61) signale à propos de ce type de titres, de « style nominal », qu’ils sont « à considérer comme des syntagmes qui ont la forme d’une phrase nominale mais la fonction d’une phrase complète ». En ce sens, nos titres courants ont ceci de commun avec la nominalisation qu’un prédicat verbal leur est sous-jacent.On pourrait effectivement tous les paraphraser, qu’ils contiennent ou non une nominalisation, sous forme d’une phrase complète munie d’un verbe (par exemple :

cette journée a été décisive ; Chávez est acculé ; une période de transition débute ; ces événements sont survenus le jour d’après, etc.). Or pour Hoek, l’absence d’éléments

verbaux entraîne la conséquence suivante :

l’énoncé nominal est posé hors de portée du temps et du mode qu’impose au prédicat une copule, et hors de la subjectivité du locuteur (1981 : 61).

Ainsi, comme dans le cas des titres comportant des nominalisations, dans ces titres de style nominal, la relation prédicative est « non assertée » (pour reprendre les termes de Patrick Sériot, 1986 : 28). L’absence de prédicat verbal provoque par conséquent un effet d’effacement énonciatif, dans la mesure où les marques verbales comptent parmi les principaux indices de prise en charge de l’énoncé par le locuteur. On a donc l’impression que dans ces titres, le locuteur s’efface derrière les faits, qu’il se contente de les transmettre de manière objective. De plus, à l’instar de la nominalisation, la relation prédicative semble avoir déjà été énoncée, elle semble « préassertée » (Sériot Patrick, 1986 : 28). Et on constate que, comme dans le cas des titres avec nominalisations, aucun de ces titres courants de « style nominal » n’est la contraction d’un énoncé complet de la Une : l’information contenue dans ces titres et présentée comme « hors de la subjectivité du locuteur », comme évidente, n’a pas été, dans un premier temps, annoncée explicitement.

4-3.2.3.

Thème et rhème

Une dernière remarque sur l’effet d’évidence produit par ces titres courants concerne la structure thématique des énoncés, soit la distribution du thème et du rhème.Françoise Sullet-Nylander, cherchant à observer les régularités de cette distribution au sein de chacune de ses catégories syntaxiques de titres de presse, constate que le plus souvent, pour ceux de la catégorie du bloc syntaxique unique (à laquelle correspondent la majorité de nos titres courants) « la présence d’un thème et d’un rhème ne peut être attestée » (1998 : 70), et qu’ils constituent en fait tout entiers le thème de l’article lui- même. De plus, comme nous l’avons mentionné précédemment, nos titres courants se rapprochent de ce que Mouillaud et Têtu appellent « titres anaphoriques », appartenant à la catégorie plus large des « titres de référence »384 (comprenant, en plus des titres anaphoriques, les titres-rubriques). Selon ces auteurs, ce type de titres consiste en un « découpage d’un cadre de référence (l’invariant) », quant au titre informationnel ou à l’article qui le suit. Et ces derniers consistent en « l’énonciation d’une information (variable) à l’intérieur du cadre » (1989 : 120) ; opposition qui rappelle, soulignent ces auteurs, la distinction thème / rhème. Dans le cas de notre corpus, il nous semble que les

titres courants, de par leur position dans la page et leur statut à l’intérieur du journal,

fonctionnent eux aussi, tout entiers, comme thème des autres titres de la page, et par conséquent, des articles qui s’y trouvent.

Comme le signale Patrick Sériot, on peut « mettre en position de “thème” des noms ou des énoncés nominalisés qui n’ont jamais été construits nulle part dans le discours, qui n’ont jamais été introduits auparavant en tant que “rhèmes” » (1986 : 32). Et cela accentue encore, selon nous, l’effet d’évidence déjà observé, dans la mesure où, dans un énoncé, le thème est « le groupe qui porte l’information déjà acquise », et le rhème, celui « qui porte l’information nouvelle » (Maingueneau, 1990 : 145). L’information contenue dans nos titres courants est donc supposée déjà acquise, déjà connue du lecteur ; or on a vu qu’aucun de ces titres n’avait été introduit explicitement dans un premier temps, à la Une, sous forme d’énoncés complets. En tant que thèmes, ces titres constituent donc, en quelque

384 Voir 3.2.1. Sur les « titres de référence » et « titres anaphoriques », voir Mouillaud et Têtu (1989 : 118- 119), sur les « titres de référence », voir aussi Mouillaud (1982).

sorte, un présupposé nécessaire à la lecture de l’ensemble des autres titres et des articles de la page.

Cet aspect peut apparaître sans conséquence pour certains de ces titres, pour lesquels on a vu que le contenu informatif sur les événements était nul ou presque : ainsi « Jornada decisiva », « 24 horas de cambios », « El día después », ou bien pour « Chávez reasume el poder », dont le contenu informatif est explicite et qui n’implique pas de prise de position particulière. En revanche, il prend toute son importance dans le cas des autres titres qui, bien qu’indéterminés, traduisent un point de vue ou une prise de position sur les événements (« Protesta y Represión », « Chávez acorralado », « Período de transición », « Reconstrucción », « La nueva Venezuela », « Constitucionalidad »). En effet, ils sont présentés comme le « point de départ »385 de l’information, et de cette façon, ne sont pas

censés faire l’objet d’explications ou être discutés. On peut rappeler enfin que ces titres, fonctionnant comme présupposés du contenu de chaque page qu’ils surmontent, comportent eux-mêmes une part importante d’implicite, ce qui conforte de nouveau l’idée que le discours sur l’événement repose, pour une part importante, sur des informations supposées connues du lecteur.

4-4.

Les titres d’article : analyse syntaxique des titres