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El Nacional et El Universal sont des journaux grand format, s’adressant à un

lectorat instruit, de classes moyennes et supérieures, relevant donc de la presse dite « élitiste » ou « de qualité ». Quant à Últimas Noticias, c’est un tabloïd (plus ou moins demi-format), destiné plutôt à un public de classes populaires, et relevant par conséquent de la presse dite « populaire » ou « tabloïd » 236 . Pour ce qui est de leur ligne

éditoriale, nous y reviendrons plus en détail dans la présentation du parcours historique de ces journaux, mais on peut rappeler d’ores et déjà, concernant leur position face au gouvernement de Hugo Chávez, que ce dernier était très critiqué depuis son élection par la plupart des journaux. El Nacional et El Universal se sont ainsi toujours montrés très virulents envers le président vénézuélien. Quant à Últimas Noticias, sa ligne éditoriale est plus ambiguë, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il s’adresse à des catégories de lecteurs plus enclines à soutenir Hugo Chávez.

2-3.

2.1. El Universal

El Universal est le plus ancien des trois journaux étudiés : il est créé en 1909 par

deux journalistes, Andrés Vigas et le poète Andrés Mata. Né sous le régime militaire – et dictatorial – du général Juan Vicente Gómez, il s’en montre tout de suite partisan. Dans leur premier éditorial, les deux directeurs expriment ainsi leur confiance envers le gouvernement (Díaz Rangel 2009 : 28). Selon le journaliste Gabriel Espinoza, qui y travailla quelques années plus tard, le quotidien recevait un appui financier du parti au pouvoir (Díaz Rangel 2007 : 28). Il fut d’ailleurs accusé par un journal concurrent de faire partie des journaux officiels ou semi-officiels (ibid. : 29).

236 Pour Gilles Lugrin, la distinction traditionnelle entre ces deux types de presse se définit non pas par son type de lectorat, mais plutôt par son mode de communication. Ainsi, la presse populaire se caractérise selon lui d’une part, par des thématiques privilégiées : « une prédilection pour le sport, le scandale et le sexe, mais aussi pour des informations pratiques, au détriment des actualités nationales et internationales », et d’autre part, par mode de structuration de l’information, « la large utilisation d’images et la brièveté » étant notamment caractéristiques de la presse populaire (Lugrin 2001 : 72-74). Comme on va le voir, le journal

Par la suite, le journal continue le plus souvent de faire preuve de complaisance vis- à-vis des gouvernements en place. En 1922, il acclame la réélection de Gómez dans un éditorial (ibid. : 47). Puis en 1936, sa complicité avec la politique menée par le gouvernement militaire du général Eleazar López Contreras, qui venait de présenter un projet de loi attentant à la liberté de presse, est dénoncée par d’autres journaux (Díaz Rangel 2007 : 82). En 1987, encore, sous le gouvernement de Jaime Lusinchi – qui se caractérisa notamment par des restrictions importantes de la liberté de presse – El

Universal est le seul quotidien à appuyer la loi de protection de la vie privée dans la presse

proposée par le président (ibid. : 141).

Il ne peut toutefois être considéré comme un journal totalement dépourvu d’indépendance : en 1940, il est le premier quotidien vénézuélien à introduire entre ses pages la « página 4 » ou « page éditoriale ». L’éditorial, qui jusque-là se trouvait en première page, parmi les annonces des autres articles du journal, est déplacé sur une page spécialement consacrée aux articles d’opinion signés (même si en définitive, comme le note Eleazar Díaz Rangel (2007 : 84), cette page ne comptait que rarement de véritable éditorial). Peu après l’apparition de cette page, le quotidien y publie ainsi un éditorial intitulé « La posición del periodista venezolano frente al hombre de poder »237, dans lequel il fustige la presse financée par les hommes d’Etat et se fait le défenseur d’un journaliste victime de répression. De plus, si à partir des années 1950, le journal avait été l’un des premiers à adopter la « Doctrine de l’Objectivité » (voir 1.2.2.1.3), dans les années 1990, il est l’un des pionniers du développement du journalisme d’investigation, instaurant des départements spéciaux afin de permettre aux reporters de travailler sans pression et avec une certaine liberté d’opinion (Dragnic 2002 : 63).

Globalement, le journal El Universal s’est néanmoins toujours caractérisé par une ligne éditoriale conservatrice et plutôt modérée, comme l’explique son directeur, Andrés Mata Otorio, dans une interview réalisée en 1995 : « [...] siempre seremos un diario ponderado, conservador, nos interesa más la verificación de la noticia que el tubazo » 238.

237 « La position du journaliste vénézuélien face à l’homme de pouvoir », El Universal, éditorial du 30 juin 1941, cité dans Díaz Rangel 2007 : 85).

238 « [...] Nous serons toujours un journal pondéré, conservateur, la vérification de l’information nous intéresse plus que le scoop ». Interview réalisée par Eleazar Díaz Rangel et retranscrite dans son ouvrage (2007 : 255)

Le journal bénéficie par ailleurs auprès de ses lecteurs d’une réputation de journal sérieux (Díaz Rangel 2007 : 66). Actuellement, d’après ce qu’indique le journal sur son site Internet, ses lecteurs ont majoritairement un niveau d’étude élevé, ils sont par ailleurs « mariés et ont une famille »239.

2-3.2.2.

El Nacional

Selon Eleazar Díaz Rangel, El Nacional est le journal qui, durant ses cinquante premières années d’existence, a apporté le plus d’innovations au journalisme vénézuélien (Díaz Rangel 2007 : 91). Il est créé en 1943 par Miguel Otero Silva, sous le gouvernement du général Isaías Medina Angarita, qui apparaît comme un président démocratique et progressiste face à son prédécesseur le dictateur López Contreras. Le quotidien se positionne à ses débuts comme un quotidien de gauche, soutenant le gouvernement de Medina Angarita et exprimant souvent son accord avec le Parti Communiste Vénézuélien.

Toutefois, El Nacional est le premier des quotidiens vénézuéliens à ne pas publier d’éditorial (exemple qui suivra par la suite l’ensemble de la presse). Dans son premier numéro, il affirme vouloir s’engager auprès de ses lecteurs à lui « fournir une information rapide, complète, exacte et impartiale »240. Il se distingue des autres journaux dès ses débuts, de par son design et sa typographie.

Dans les années 1950, il prend parti contre la dictature de Marcos Pérez Jiménez, et subit en retour la répression du gouvernement (Díaz Rangel 2007 : 110). Mais c’est surtout dans les années 1960, sous le gouvernement de Rómulo Betancourt, que El Nacional sera victime de sa liberté d’opinion. Celui-ci doit en effet se confronter à un boycott de la part des entreprises d’annonceurs les plus importantes, regroupées au sein de l’ANDA. Ces dernières refusent de publier leurs annonces dans ce journal en raison de sa volonté affichée de garder son indépendance vis-à-vis de certains groupes économiques puissants

239 « La mayoría de nuestros lectores y usuarios tienen estudios de postgrado y un gran porcentaje están casados y forman parte de una familia. Por lo tanto, se trata de un público que toma las cosas en serio y que utiliza este medio de comunicación como una herramienta básica para tomar decisiones y mantenerse cien por ciento informado », http://anunciantes.eluniversal.com/page/el-universal-2. (« La majorité de nos lecteurs a suivi des études supérieures et un pourcentage élevé d’entre eux est marié et a une famille. Par conséquent, il s’agit d’un public sérieux et qui utilise ce moyen d’information comme outil de base pour prendre des décisions et se tenir informé à cent pour cent »).

240 « Con nuestros lectores, compromisos de suministrarle una información rápida, completa, exacta e imparcial », El Nacional, 3 août 1943, in Díaz Rangel 2007 : 91.

(Díaz Rangel 2007 : 125-127). Selon José Calvo Otero, directeur de El Nacional en 1995, ce boycott fut aussi causé par les positions adoptées par le journal en faveur de Fidel Castro et en opposition aux grandes entreprises nord-américaines. Le quotidien résistera pendant deux ans, jusqu’à ce que son fondateur et quelques rédacteurs quittent le journal, qui verra alors une réorientation de sa ligne éditoriale. Puis de nouveau, sous Lusinchi (1984-1989), il décide de cesser l’autocensure – imposée par les pressions gouvernementales – et perd la publicité officielle. Dans les années 1990, il sera l’un des piliers de la campagne anti-partis, dénonçant l’inefficacité et la corruption des gouvernants du système de Punto Fijo (Dragnic 2002 : 77) et commence d’ailleurs à publier quotidiennement des éditoriaux à partir de 1996 (Rodríguez Núñez 2004 : 50).

On constate donc qu’El Nacional a tenté de maintenir, au cours de son histoire, une ligne éditoriale indépendante du pouvoir politique241. Lorsque Hugo Chávez se présente aux élections de 1998, le journal se montre plutôt bienveillant envers le candidat, mais il ne tardera pas à se retourner contre lui et à la critiquer avec virulence après son arrivée au pouvoir (voir 1.2.2.2.1). Son directeur actuel, Miguel Henrique Otero, affirmait ainsi en 2010 dans une interview au journal régional La nueva prensa de Oriente que « El Nacional avait toujours eu une position critique envers le gouvernement »242. Aujourd’hui, le journal se présente comme offrant au lecteur une information plurielle, et dont la motivation principale est la « défense de l’objectivité journalistique »243). Pour Eleazar Díaz Rangel

(2007 : 91), il est le journal qui a la plus grande influence sur les classes moyennes vénézuéliennes.

2-3.2.3.

Últimas Noticias

Últimas Noticias est créé en 1941 par quatre journalistes, sous l’impulsion de Pedro

Beroes. Il apparaît comme une figure du journalisme populaire dès ses débuts : il affiche en effet sur sa première page, à son apparition et jusqu’aux années 2000 au moins, la formule

241 Voir également à ce sujet l’interview de José Calvo Otero dans Díaz Rangel 2007 : 281.

242 « El Nacional siempre ha tenido un línea crítica hacia el gobierno », La nueva prensa de Oriente, 28 octobre 2010, http://nuevaprensa.web.ve/content/view/43143/2/, consulté le 21 août 2011.

243 http://www.el-nacional.com/www/site/p_contenido.php?q=m/6/213/nodo/1591/La%20Empresa, consulté le 21 août 2011.

« El diario del pueblo »244. Il se présente à l’origine comme un projet de quotidien du Parti Communiste Vénézuélien, mais s’il adopte à ses débuts une ligne éditoriale proche de ce parti, il n’en eut jamais néanmoins le statut d’organe officiel. Comme El Nacional, il soutient le gouvernement de Isaías Medina Angarita (Díaz Rangel 2007 : 90).

Dés sa création, il surprend par son format de tabloïd, par sa mise en page, et par le fait qu’il envoie ses reporters sur le terrain. Il traite en priorité des problèmes populaires, en particulier des barrios (voir 1.1.3.1.2), et accorde une importance particulière aux affaires policières. Il marque ainsi le début de la tendance au sensationnalisme dans le journalisme vénézuélien (Díaz Rangel 2007 : note 59 : 169). Il est, par ailleurs, le quotidien le moins cher à l’époque de son apparition. De plus, il est le premier journal à faire participer son personnel aux décisions concernant l’organisation de leur travail et l’élaboration de l’agenda (Díaz Rangel 2007 : 90).

Lors des élections municipales de 1944, Últimas Noticias appelle ouvertement à voter pour la Coalition Démocratique Populaire (favorable au gouvernement et comportant un parti d’orientation communiste). C’est également la position adoptée par le quotidien El

Nacional, tandis que El Universal appelle seulement à voter : « No importa por quién, pero

siempre votar »245. Ce schéma se reproduit en 1946, lors pour l’élection d’une Assemblée nationale constituante, sous le gouvernement de Rómulo Betancourt : Últimas Noticias et

El Nacional prennent explicitement parti contre le parti COPEI, au profit du parti AD

(parti d’orientation alors assez progressiste) et du Parti Communiste vénézuélien, alors que

El Universal adopte une position plus mesurée (Díaz Rangel 2007 : 105).

En 1950, Miguel Ángel Cápriles achète les actions du journal Últimas Noticias, puis en 1956, devient propriétaire du quotidien La Esfera et de la revue Élite. Naît alors la

Cadena Capriles l’un des deux plus importants groupes de presse actuels. Quelques années

plus tard, Últimas Noticias prendra part à la grève de la presse du 20 janvier 1958, qui sera l’un des éléments déclencheurs de la chute du dictateur Marcos Pérez Jiménez246. Dans les

244 « Le journal du peuple ». La formule apparaît dans le bandeau comportant le titre du journal, en première page (voir Rodríguez Nuñez 2004 : 43 et Díaz Rangel 2007 : 276).

245 « Peu importe pour qui, mais il faut toujours voter », El Universal, éditorial du 22 octobre 1944, in Díaz Rangel 2007 : 98.

246 Voir la présentation historique du journal sur son site Internet :

années 1960, lors du boycott de El Nacional, la Cadena Capriles publie dans ses journaux des avis hostiles au quotidien. Puis en 1969, a lieu la première alliance électorale entre un groupe de presse et un parti politique : Miguel Ángel Cápriles s’allie avec Rafael Caldera, candidat à la présidence du COPEI (parti centriste), offrant au parti des espaces d’expression dans ses quotidiens et ses revues (voir 1.2.2.1.3). Néanmoins, il est difficile de savoir si les deux derniers faits exposés traduisent un réel changement de ligne éditoriale de la part du quotidien Últimas Noticias, dû à son rachat par Miguel Ángel Cápriles, ou s’il ne s’agit que de prises de positions ponctuelles, clairement assumées par la chaîne Cápriles elle-même.

Depuis 2001, Últimas Noticias est dirigé par le professeur, journaliste et écrivain Eleazar Díaz Rangel, qui avait été auparavant directeur de la chaîne de télévision publique VTV. Il est aujourd’hui le quotidien de plus grande diffusion au Venezuela, et continue de se destiner en particulier à un lectorat de classes populaires : dans une interview réalisée par nos soins en décembre 2007, son directeur affirmait que celles-ci représentaient 70% des lecteurs du journal, tandis que seulement 28% d’entre eux appartenaient aux classes moyennes247 .

Selon Eleazar Díaz Rangel (2007 : 310), les quotidiens Últimas Noticias et El

Nacional, à leur apparition, ont véritablement modernisé le journalisme et la conception du

journalisme vénézuélien, notamment en faisant passer au second plan les intérêts économiques pour adopter des lignes éditoriales en accord avec le positionnement politique de leurs éditeurs.

247 Interview réalisée par courrier électronique. Les propos de Miguel Ángel Cápriles vont également dans ce sens : « siempre quise que fuese una prensa popular, de la gente de abajo, y así ha sido Últimas Noticias, no lo inventé yo, me la encontré hecha y así ha seguido [...] » (« j’ai toujours voulu que ce soit de la presse populaire, de la presse de ceux d’en bas, et Últimas Noticias a été comme cela, je ne l’ai pas inventé, je l’ai trouvé comme cela, et il a continué ainsi »).

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Chapitre 3-

MOMENT DISCURSIF ET DISPOSITIF

JOURNALISTIQUE

Nous observerons dans ce chapitre si le bouleversement que représentent les événements d’avril 2002 se traduit « physiquement », dans notre corpus, dans le dispositif des journaux. Tout journal quotidien répond à une routine : il a une périodicité, une classification en rubriques, une mise en page, etc. relativement stables, nous regarderons donc tout d’abord si le traitement de ces événements provoque des changements dans la structure même des journaux étudiés. Nous verrons ensuite de quelle manière il se manifeste dans le péritexte de nos quotidiens, avant d’examiner quelle est la surface consacrée aux événements dans les numéros qui composent notre corpus.