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1-2.1.1.

Bref historique

En Amérique Latine, le journalisme, dans son sens le plus large, trouve ses origines dans les relaciones, récits dans lesquels étaient déjà réunies beaucoup des caractéristiques du futur reportage journalistique (Checa Godoy 1993 : 15-18). La première voit le jour deux ans après l’apparition, en 1539, de la première presse sur le Nouveau Continent, et relate un tremblement de terre au Guatemala. Puis apparaissent les gazettes ; si celles-ci ne sont au départ que de simples rééditions de celles réalisées à Madrid, les gacetas se forgent rapidement une personnalité et un contenu propre. La première est la Gaceta de México, qui paraît en 1667 ; mais ces gacetas peinent à acquérir une véritable périodicité. Le premier périodique quotidien sera le Diario Erudito, Ecónomico y Comercial de Lima123, qui circule de 1790 à 1793, Lima étant, durant cette période précédant l’indépendance, la principale ville éditrice de presse du continent. Au Venezuela, très peu de journaux

122 Nous reviendrons de manière plus approfondie sur ces aspects (médiatisation et sens de l’événement) dans le chapitre 2.

123 Voir Henriquez Ureña Pedro, Historia de la cultura en la América hispánica, cité dans Lavallé 1993 : 275.

circulent à cette époque. On peut noter néanmoins l’apparition, en 1808, de la Gaceta de

Caracas.

C’est au XIXème siècle que la presse latino-américaine se consolide véritablement124. Celle-ci est alors conçue comme un instrument politique, au service d’un parti ou d’un homme, ou en opposition à une personnalité ou une tendance politique. Dans les années 1850, l’offre d’information écrite est déjà fort abondante : gazettes, quotidiens, magazines, revues dominicales, journaux spécialisés, etc. C’est également à cette période que les agences de presse commencent à prendre de l’importance dans ce marché. En effet, on peut compter sur les doigts de la main le nombre de journaux latino-américains ayant alors leur propre réseau de correspondants. Les agences de presse deviennent ainsi le cœur du système, par lequel devra passer toute la matière première qui arrive aux médias. A la fin du XIXème siècle, rare est la capitale qui ne dispose pas d’au moins une centaine de titres. Les grandes distances et la précarité des voies de communication rendent difficile la consolidation d’une presse réellement influente dans tout l’Etat et entraînent un développement important de la presse locale. Néanmoins, on constate une prédominance de la presse de la capitale. Entre 1880 et 1900, presque toutes les capitales doublent leur nombre de quotidiens ; la presse politique va alors progressivement disparaître pour laisser place à une presse dont la finalité est essentiellement commerciale. Non pas que celle-ci n’ait plus de ligne politique définie, mais il s’agit maintenant d’entreprises de presse qui se doivent d’entretenir de bonnes relations avec l’administration, la politique, la justice, etc. Cette évolution s’accompagne du développement de puissants groupes de presse. Parallèlement, le lectorat évolue lui aussi : au XIXème siècle, celui-ci est essentiellement constitué de classes moyennes et supérieures, de personnes participant à la vie publique. Puis, à partir de 1900, on assiste à une forte immigration, en grande majorité venue d’Europe, vers les villes latino-américaines. Il s’agit d’une population principalement urbaine, ayant eu accès à de nouvelles idées politiques (comme le communisme ou l’anarchisme), ainsi qu’aux nouveaux produits de consommation (la bicyclette, la voiture, la radio, etc.), et qui constitue un public idéal pour de grands tirages. C’est dans la première moitié du XXème siècle que naissent et se consolident la plupart des plus grands titres de quotidiens latino-américains d’aujourd’hui. On passe donc, du XIXème siècle au

XXème siècle, d’une presse politique à une presse commerciale, régie par de grands groupes et – malgré l’augmentation du nombre de titres – concentrée sur les journaux les plus importants125. Mais en dépit de cette évolution, selon Frank Priess126, la presse écrite reste néanmoins, en Amérique Latine, un média d’élites.

1-2.

1.2. Une presse influencée par l’Europe et les Etats-Unis

Au fur et à mesure qu’ils se proclament indépendants, au début du XIXème siècle, les pays latino-américains adoptent le modèle d’information dominant en Europe et aux Etats-Unis, caractérisé par deux tendances principales : d’une part, un système d’information limité par les frontières territoriales (chaque pays possède son propre système d’information) ; d’autre part, une infrastructure de réseaux et de flux de l’information qui dépassent les frontières (Timoteo Alvárez et Martínez Riaza 1992 : 9). Telles sont les deux caractéristiques qui définiront, et définissent encore aujourd’hui, la presse de ce continent : une presse à la fois nationale et dépendante des systèmes d’information internationaux (Martín Diez 2001 : 21). En effet, à partir de 1859, les agences de presse internationales127 vont signer une série de contrats reposant sur les principes de non-concurrence et d’échange réciproque de l’information. Elles se partagent ainsi le monde en zones d’influence. Au départ, l’Amérique latine échappe à ce partage et fait partie des zones ouvertes à la concurrence. Puis, à partir de 1876, elle devient « territoire Havas » : c’est cette agence, qui, depuis Paris, redistribue dans le monde entier l’information qui arrive (via Londres) d’Amérique Centrale et Amérique du Sud par câble sous-marin. Cependant, Havas va progressivement perdre son influence, tout d’abord en 1909, lorsque la Continental remet en cause cet accord et obtient l’accès, pour l’information allemande, à d’autres pays du monde, et en particulier à ceux d’Amérique latine. Mais c’est surtout avec la guerre de 1914-1918 qu’Havas perd de son emprise : d’autres agences, et principalement l’agence nord-américaine AP (Associated Press),

125 Pour l’ensemble de ce paragraphe, nous renvoyons à Checa Godoy 1993 : 11-13 ; Timoteo Álvarez et Martínez Riaza 1992 : 17-18, 179-180.

126 Priess (2002 : 107). Frank Priess est journaliste de métier, et, à cette époque (2002), chargé du programme Latino-Américain « Médias et démocratie » de la Fondation Konrad Adenauer.

127 Tout d’abord les agences européennes Havas (Paris), Reuter (Londres) et Wolff – qui deviendra par la suite Continental – (Berlin) entre elles, puis avec la nord-américaine New York Associated Press. Sur l’histoire des agences de presse internationales, voir Mathien et Conso (1997 : 42-64).

s’approprient l’espace latino-américain et remplacent petit à petit Havas. En 1918, c’est New York, et non plus Paris, le centre depuis lequel est redistribuée au monde entier toute l’information produite en Amérique Latine, et celui par lequel arrive, pour toute l’Amérique Latine, l’information du reste du monde (Timoteo Álvarez Jesús et Martínez Riaza 1992 : 180-181). C’est donc à cette époque que va se renforcer l’influence nord- américaine sur la presse sud-américaine.

Ainsi, si la presse, en Amérique Latine, a un caractère éminemment national, grâce à l’existence de journaux d’élite « vétérans » (El Mercurio au Chili, El Espectador en Colombie, La Prensa en Argentine, El Comercio au Pérou, ou encore El Universal au Venezuela), elle est cependant marquée par des influences européennes et nord- américaines (Martín Diez 2001 : 21-24). Le modèle médiatique latino-américain lui-même est inspiré de celui des Etats-Unis, dans le sens où il s’agit d’un domaine qui s’est constitué essentiellement autour de financements privés (contrairement au modèle européen, même si celui-ci évolue de plus en plus vers un modèle à l’américaine, avec financement par la publicité, etc.). De plus, avec l’arrivée des nouvelles démocraties latino-américaines, on va observer une tendance à l’occidentalisation des médias (parallèlement à celle de l’économie) : certaines entreprises médiatiques cherchent à s’éloigner de tout ce qui peut avoir rapport avec le Tiers-monde, et à se rapprocher de l’Occident, particulièrement en Colombie, en Argentine et au Venezuela. De plus, bien souvent, le contenu de l’information est soumis à l’influence du Département d’Etat des Etats-Unis, et parfois, ce sont les pouvoirs économiques et politiques du pays eux-mêmes qui font pression pour maintenir la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Il existe en outre de plus en plus d’alliances entre des organisations latino-américaines et extérieures, comme par exemple, la Organización de la Televisión Iberoamericana (OTI), soumise aux règles techniques de l’Eurovision, ou la Agencia Centroamericana de Noticias, (ACAN-EFE), liée à l’agence espagnole EFE. Enfin, la présence d’entreprises étrangères sur le territoire latino-américain participe de cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur. C’est le cas en particulier d’entreprises espagnoles, comme par exemple Telefónica, qui a constitué avec l’agence EFE et le groupe suisse Publicitas la filiale Hispaservices S.A. de diffusion publicitaire.

1-2.

1.3. L’Amérique latine et la globalisation culturelle

Du fait de la « globalisation » culturelle, on peut établir certaines caractéristiques générales de la presse latino-américaine qui valent également pour la plupart des pays du monde. Cette globalisation s’est accompagnée, en Amérique Latine comme ailleurs, d’une croissance importante du secteur des communications et, simultanément, d’une révolution technologique. La presse écrite est le média qui a pris part à cette révolution technologique le plus tard, ce qui ne l’a pas empêchée d’en subir les conséquences, c’est-à-dire, d’une part, le renforcement du monopole de quelques entreprises sur le marché de l’information écrite, et, d’autre part, une baisse de la qualité de l’information128. Les nouvelles technologies de design, qui permettent à la presse de faire concurrence à la télévision, vont entraîner de nouvelles tendances : prédominance de l’image sur le texte, brièveté des articles afin de les rendre plus faciles à digérer, plus grande implication des journalistes dans la mise en page du journal. De plus, afin de réduire les dépenses, on comble les manques de personnel avec des stagiaires ou des journalistes non qualifiés ; les mauvaises rémunérations et les mauvaises conditions de travail engendrent la disparition d’un journalisme d’investigation au profit d’un journalisme de plus en plus basé sur des rumeurs ou des sources anonymes. Au niveau économique, la tendance est à la constitution de grandes entreprises multimédia qui se partagent le marché et nuisent d’une certaine manière à la diversité de la presse. Pour Jesús Timoteo Álvarez et Ascensión Martínez Riaza (1992 : 309), la globalisation culturelle entraîne une ressemblance croissante entre les journaux du monde entier. Ainsi, si aujourd’hui les médias latino-américains subissent très peu de contrôle politique de la part des gouvernements, ils n’en sont pas moins soumis à des intérêts économiques, qui bien sûr, conditionnent l’information et lui donnent une certaine orientation politique.

128 Martín Barbero (2002 : 91. Pour les répercussions sur la qualité de l’information, Jesús Martín Barbero souligne en particulier la menace qui pèse sur l’existence d’un journalisme d’investigation.