• Aucun résultat trouvé

1 Les théories de la fiscalité foncière

L’étude de la rente foncière et l’analyse des effets distorsifs des taxes sont deux des questions les plus anciennes et les plus rémanentes de l’analyse économique. Ces deux questions se rejoignent pour dessiner la problématique de la fiscalité foncière. Cameron (2000) recense trois grandes théories modernes de la fiscalité foncière, connues sous les expressions de ‘classical view’ ou ‘traditional view’, ‘benefit view’ et ‘new view’. Ces trois théories considèrent chacune que le foncier se distingue des autres facteurs de production que sont le capital et le travail, par son immobilité, qui confère une plus grande inélasticité-prix à son offre. Chacune des théories analyse l’effet de l’instauration de taxes par une juridiction locale selon diverses hypothèses.

a L’analyse classique de la taxe foncière: la ‘classical view’

Cette théorie de la capitalisation fiscale reprend l’analyse classique66 de la fiscalité. L’analyse classique (‘classical view’) considère que l’offre foncière est parfaitement inélastique et que celle du capital est élastique à son rendement. Cette théorie analyse les effets d’une taxe au taux t sur le capital Kn ou sur le foncier Rn dans un cadre d’équilibre partiel au sein d’une seule juridiction. Après imposition d’une taxe au taux t, le rendement du capital Kn dans la juridiction diminue de Kntet s’établit à Kn(1−t). Comme le capital est par hypothèse mobile, suite à l’instauration d’une taxe dans une juridiction, la quantité de capital diminue en fonction de l’élasticité à son rendement. Si l’offre de capital est parfaitement élastique, tout le capital quitte la juridiction. En revanche, la parfaite inélasticité de l’offre foncière implique que le coût de la fiscalité se capitalise négativement et intégralement dans la rente foncière.

Lorsqu’un taux de taxe t est imposé sur une rente R , la valeur de cette dernière devient n

) 1 ( t

Rn − . Puisque l’offre foncière est parfaitement inélastique, il n’y a aucun effet distorsif de la taxe sur le reste de l’économie. L’effet de la taxe se cantonne à une baisse de la rente foncière (Cameron, 2000).

Dans ce modèle, il est possible de financer efficacement les biens publics locaux en taxant la rente foncière à l’instar de la proposition d’Henri George. S’appuyant sur l’analyse classique de la rente foncière, Henri George avait proposé de financer les BPL en taxant la rente foncière à hauteur du montant de la rente différentielle. La taxation publique en se capitalisant négativement dans les prix fonciers permettrait d’annuler le surplus du propriétaire foncier tiré des investissements publics. Fujita et Thisse (2003) soulignent que cette proposition est intéressante à deux titres car il n’est plus besoin de connaître le coût marginal des biens publics comme dans les conditions d’équilibre standard et de surcroît aucune distorsion n’est théoriquement introduite dans le système des prix puisque le foncier est un bien dont l’offre est inélastique.

b L’analyse de la ‘property tax’ : la ‘new view’

Une deuxième perspective, qualifiée de ‘new view’ et synthétisée par Mieszkowski et Zodrow (1989), analyse les effets distorsifs de la ‘property tax’. Cette dernière est une taxe qui porte à la fois sur le foncier et le capital d’un même bien immobilier. La ‘new view’ initiée notamment par l’article de Mieszkowski (1972), adopte une vision d’équilibre général. Le modèle suppose un rendement du capital homogène dans un pays. Le capital est parfaitement mobile entre plusieurs juridictions. L’application d’un taux uniforme de ‘property tax’ dans des juridictions ayant des demandes de services publics et des montants de capital différenciés, a pour conséquence de capitaliser différemment la ‘property tax’ selon la richesse des juridictions. L’effet moyen de la capitalisation de la taxe est appelé ‘profit tax’. Il correspond à l’effet de la taxe dans la juridiction ayant le niveau de capital moyen du pays. Dans les juridictions les plus riches, l’application d’un taux sur une base fiscale plus élevée, diminue plus fortement les valeurs foncières. Le capital migre afin de rétablir l’égalité du rendement du capital à long terme. Il quitte les juridictions riches où l’effet de la capitalisation de la taxe est très fort et permet au rendement du capital de s’accroître. Il rejoint les juridictions pauvres pour permettre au rendement du capital de diminuer jusqu’à retrouver un équilibre national. La différence entre la capitalisation moyenne (‘profit tax’) et celle capitalisée en plus par les juridictions riches ou en moins par les juridictions pauvres est appelée ‘excise tax’. Ce dernier effet est à l’origine de la mobilité du capital et du caractère distorsif de la ‘property tax’. Cette théorie conclut que la fiscalité sur la ‘property tax’

engendre les mêmes distorsions que les autres taxes (taxe sur le revenu…) du fait de la mobilité du capital.

c Le couple bien public local / ‘property tax’ : la ‘benefit view’

La ‘benefit view’, initiée par les travaux de Oates (1969) puis Hamilton (1975b), considère la production de biens publics locaux par des juridictions (ou des collectivités locales) dans un cadre concurrentiel. La ‘benefit view’ s’appuie sur le même cadre théorique que la ‘new view’, à savoir plusieurs juridictions avec des dotations en capital différentes, des préférences collectives différentes, une parfaite mobilité du capital ou des ménages. Cependant, à la différence de la ‘new view’, chaque juridiction détermine le taux de la ‘property tax’ alors qu’il était uniforme dans le modèle précédent. Au lieu de souligner les effets distorsifs de la ‘property tax’, ce modèle détermine les conditions sous lesquelles la production de bien publics locaux est efficiente. Lorsque les préférences collectives au sein de chaque juridiction sont parfaitement homogènes, la ‘property tax’ n’induit pas en principe de distorsions. La concurrence intercommunale confère à la ‘property tax’ les propriétés d’un prix des services publics locaux. Cependant dès lors que les agents ne sont plus homogènes, ces derniers sont incités à moduler leur consommation foncière et immobilière de telle manière à ce que le bénéfice, qu’ils retirent des biens publics locaux, soit supérieur ou égal à leur contribution fiscale. Tant que les agents peuvent moduler leurs bases fiscales par leur consommation foncière, il persiste un problème de passager clandestin et la production de biens publics n’est plus efficiente.

d La nécessité d’une forme de zonage

Mieszkowski et Zodrow (1989) mettent en perspective les trois théories de la taxe foncière afin de voir comment elles sont liées entre elles. En premier lieu, la vision classique (‘classic

view’) peut, à l’instar de la ‘benefit view’, être considérée comme un cas particulier de la ‘new view’. Dès lors qu’on ramène l’analyse la ‘property tax’ à une seule juridiction, les

conclusions des deux modèles redeviennent semblables. En second lieu, la ‘classic view’ et la ‘benefit view’ suggèrent que le contrôle de la population soit une condition nécessaire à l’efficience de la fiscalité foncière. La ‘classic view’ insiste sur les effets de congestion des biens publics tandis que la ‘benefit view’ souligne les risques de comportements de passager clandestin en matière de contribution fiscale. En dernier lieu, la ‘new view’ et la ‘benefit view’ se distinguent, selon ces derniers, de par l’existence d’un zonage implicite et contraignant les consommations foncières et de capital dans la ‘benefit view’. “[…], the property tax system

can be transformed into a set of nondistortionary user charges or head taxes with the appropriate explicit or implicit binding zoning constraints. However, if zoning requirements

specifying the minimum level of capital per taxpayer are not binding and thus do not determine precisely the amount of residential capital per household (or the level of industrial capital per firm), the property tax will be distortionary at the margin67 ” Mieszkowski et Zodrow (1989). Ces deux dernières idées sont au coeur de la théorie du zonage fiscal. Elles montrent que pour rendre efficiente la fiscalité foncière, une forme de zonage est nécessaire.