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3 Eléments d’analyse de l’évolution des dépenses publiques municipales

L’effet de la croissance démographique sur le niveau des dépenses publiques, observé à partir du tableau précédent, peut être analysé à l’aide des éclairages de l’étude de Ladd (1994). Le niveau de dépense publique locale par tête dépend selon Ladd de trois grands types de facteurs: (i) ceux qui affectent la demande de services publics, (ii) ceux qui affectent le coût de production de ces services et (iii) ceux qui jouent sur la répartition des compétences entre les pouvoirs publics locaux.

a Les coûts de production des BPL

Trois facteurs peuvent jouer sur le coût de production des BPL : les économies d’échelle, la congestion des équipements, la plus faible efficacité de la dépense publique unitaire.

La plupart des services publics sont des biens publics impurs qui ont des attributs proches des biens privés (rivalité et exclusion), de sorte que l’accroissement de population nécessite un accroissement quantitatif des prestations ou des capacités des équipements (Ladd, 1994). Aussi, la croissance de la taille de la population communale doit s’accompagner en théorie d’une hausse du montant global des dépenses publiques.

Cependant, on peut supposer qu’il existe pour un certain nombre d’équipements collectifs présentent des coûts fixes (station d’épuration, équipements de pompage et de traitement, équipements sportifs…) qui devraient, en théorie, induire une décroissance du coût marginal de l’accueil d’un habitant supplémentaire, et ce au moins sur un certain intervalle de population. Ainsi toutes choses égales par ailleurs, les dépenses publiques per capita pourraient aussi, en théorie, diminuer avec la croissance démographique.

En outre, les rigidités de l’emploi d’une masse salariale municipale sont également susceptibles de constituer une sorte de coût fixe. Le nombre de personnes employées par une municipalité ne peut être facilement réduit lorsque la fréquentation d’un service public baisse. Guengant (1998) estime ainsi qu’en raison de contraintes techniques ou politiques « les

communes en régression démographique ne peuvent pas toujours adapter la fourniture des consommations collectives aux réductions d’usagers et donc diminuer les charges ». Aussi, ce

ne sont pas seulement les équipements collectifs qui pourraient imposer des coûts fixes mais l’ensemble des services publics (cantine, garderie, services sociaux, animation culturelle, activités sportives, personnel administratif, personnel technique, comptabilité, urbanisme, police, espaces verts, voirie…). De plus, certains services publics obligatoires comme les démarches administratives en mairie imposent aux petites communes une sorte de coût fixe par l’emploi d’un personnel de mairie. Lorsque leur population s’accroît, le coût marginal des services administratifs pour l’accueil d’un habitant supplémentaire devrait décroître. L’acuité

du problème du développement de la charge salariale pourrait néanmoins tout aussi bien diminuer au-delà d’une certaine taille de population. En effet, plus la population d’une commune est importante, plus la gestion de la masse salariale offre des souplesses dans la permutation des ressources humaines vers les services les plus exigeants. Cette souplesse reste partielle car les agents municipaux sont aussi plus spécialisés dans les grandes communes. Par ailleurs, la croissance urbaine dans les communes déjà très urbanisées renforce la congestion urbaine (lenteur des déplacements, embouteillages…) et favorise la congestion de certains services publics. Ainsi, l’accroissement de la densité de population donne lieu à des effets de congestion qui, à qualité du service public inchangée, accroissent le coût de production et donc les charges per capita. Par exemple, la sécurité routière requiert plus de feux de signalisation à mesure que le trafic routier se densifie, le maintien d’un certain niveau de sécurité exige la création d’une police municipale, le ramassage des ordures exigent plus de points de collecte des déchets, la qualité du cadre de vie exige la création de parcs urbains pour permettre aux résidents de se détendre. On peut supposer que l’intercommunalité et la redistribution d’une partie des ressources fiscales pourraient permettre de réduire le coût d’opportunité de l’urbanisation en partageant les coûts fixes des services publics.

Les éléments d’analyse précédents montrent que la question de l’effet de la croissance démographique sur le coût de l’accueil d’un habitant supplémentaire reste une question controversée sur le plan théorique. D’après Ellickson (1977a), la production de biens publics locaux procède, en pratique, dans les juridictions de moins de 50 000 habitants selon des économies d’échelle. En outre, Ladd (1992) cite Downing et Gustely (1977), selon lesquels, les plus fortes densités de population réduisent le coût de production de la police, des pompiers, de la collecte des déchets, de l’eau courante, de l’assainissement mais non de l’école avec l’hypothèse que la densité de population est homogène sur le territoire. L’écrasante majorité des communes françaises se situe aussi dans cette tranche (99,8% d’après le RP 1999). Cependant, les résultats de l’étude des coûts de l’urbanisation rennaise réalisée par Guengant (1992) suggèrent plutôt l’existence de rendements d’échelle constants dans la production de biens publics locaux. Les résultats empiriques de Ellickson (1977a) et de Guengant (1992) ne sont pas nécessairement totalement contradictoires puisqu’ils dépendent des compétences effectives exercées par les municipalités françaises et américaines.

Si les communes françaises n’exhibent pas un coût marginal décroissant de l’accueil d’un nouvel habitant, c’est peut-être que certains services publics ont des rendements constants (fonctionnement de l’école) mais c’est aussi probablement à cause de l’absence des services et des équipements présumés présenter des coûts fixes dans les plus petites communes. Enfin, si l’effet global de la congestion urbaine dépasse les bénéfices marginaux des économies

d’échelle qui existent sur certains BPL, le coût marginal d’un nouvel habitant peut devenir croissant.

b L’évolution de la demande en BPL

Lorsque la population communale s’accroît sous l’effet des migrations, sa population a probablement tendance, au moins dans les petites communes, à devenir plus hétérogène par un effet statistique dans la distribution des revenus et des préférences. De même, lorsque la population communale s’accroît sous l’effet d’un solde naturel positif, la pyramide des âges a tendance à se diversifier au sens où les classes les plus jeunes prennent un poids plus important. Ladd (1994) explique que la diversification des préférences des ménages induit une plus grande disparité des demandes en biens collectifs. La diversification de la population communale en préférence et en revenu est alors susceptible d’entraîner une diversification des services publics proposés par une commune. Rose-Ackerman (1979) considère que c’est l’intérêt principal de la concurrence intercommunale que de permettre la différenciation des paniers de biens publics locaux entre communes.

Enfin, la diversification de la population est susceptible de réduire l’efficacité de la dépense publique. L’arrivée de ménages plus modestes dans une communauté peut, selon Ladd (1992), nécessiter de plus importants moyens financiers pour maintenir, par exemple, un même niveau scolaire.

En pratique, on constate en France une diversification des services publics avec l’accroissement de la taille des communes. Ainsi, les communes les plus petites ne proposent souvent que les biens et les services publics obligatoires (mairie, école élémentaire, cimetière, ramassage des ordures) tandis que les plus grandes proposent toutes, une série de biens et services publics depuis ceux qui dont l’offre est obligatoire jusqu’aux équipements de prestiges (opéra, salle des congrès…).

Cependant, il n’est pas possible sur la base de l’observation de la diversification des services avec la taille des communes de discerner si cette diversification provient d’une diversification de la demande ou si elle résulte d’une préférence des ménages pour la diversité des biens collectifs confrontée à un relâchement de la contrainte budgétaire municipale par le jeu des économies d’échelles. Les travaux de Guengant (1998) corroborent la deuxième hypothèse mettant en évidence le rôle primordial des ressources budgétaires municipales sur le niveau des dépenses communales.

c La faible autonomie financière des communes

La faible autonomie fiscale peut constituer selon Ladd (1994) une incitation à la prudence pour les municipalités en matière de dépenses publiques. Ladd (1994) soutient en effet que le partage du financement des services publics entre différents échelons (comté et Etat) reporte la pression de la maîtrise des dépenses sur les autorités locales, dès lors que l’échelon supérieur ne révise pas sa propre participation financière. Comme l’échelon supérieur n’est pas soumis à la pression des élections locales, il est plus facilement incité à ne pas réviser sa participation au financement d’un bien public local (en valeur ou en proportion) lorsque la demande pour ce bien s’accroît ou lorsque son coût de production s’élève. Guengant (1992) constate à ce titre que « la stabilité ou l’insuffisante progression des dotations de l’Etat en

relation avec la croissance démographique, exigent souvent un relèvement de la pression fiscale pour équilibrer le budget municipal ».

Aussi, les autorités locales devraient être incitées à investir avec prudence dans les services publics dont elles anticipent soit une croissance de la demande soit des coûts de production. Cette prudence est susceptible de retarder le développement des services publics et de renforcer les phénomènes de seuil pour l’apparition des services en fonction de la taille de la population communale. En particulier, les communes pourraient se révéler réticentes à financer les services publics qui comportent de lourdes charges de fonctionnement comme les services aux personnes.

Cette incertitude sur le montant des dotations de l’Etat peut être illustrée par la réaction de l’association des maires de France au projet de bouclier fiscal du gouvernement en 2005 qui pourrait faire supporter par celles-ci une partie des engagements en matière de plafonnement des prélèvement fiscaux sur les contribuables, pris par celui-ci.

En plus des dépenses publiques effectives, il convient de prendre en compte le coût de l’amortissement du capital public. Lorsque les taux d’intérêt s’accroissent ou lorsque les transferts financiers de l’Etat se réduisent, les communes font face à une hausse du coût financier de leurs investissements financés par l’emprunt.