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1 De l’économie du bien-être à l’école des choix publics

a Un changement de paradigme

La théorie normative de l’intervention publique, formalisée par Arrow et Debreu (1966), confère à la puissance publique un rôle essentiel : la correction des échecs du marché. Cependant Bernard (2000) rappelle qu’« elle demeure silencieuse sur un aspect essentiel de la

collectivité qu’elle doit gérer : sa dimension souhaitable ». En effet, le critère de Pareto ne dit

rien sur le choix entre plusieurs équilibres efficaces qui se distingueraient les uns des autres par une répartition différente du bien être entre les agents. Cependant, le débat sur la désirabilité des états de l’économie traverse toute la pensée économique. Le second théorème de l’économie du bien-être énonce que l’équilibre concurrentiel peut être un optimum social si un planificateur social redistribue préalablement les dotations des agents. Mais en l’absence de critère objectif de justice74, la nouvelle économie du bien être est incapable sur un plan positif de se prononcer sur la désirabilité des différents équilibres efficaces. L’école des choix

74 Depuis l’équité égalitariste (le bonheur du plus grand nombre) de J. Bentham, basée sur utilité cardinale qui sera reprise par l’utilitarisme néoclassique de Edgeworth, Pigou, et Marshall, basée sur la décroissance de l’utilité marginale. La nouvelle économie du bien-être, fondée par l’école de Lausanne (Walras, Pareto), basée sur l’utilité ordinale avait abouti au critère de Pareto. L’utilité ordinale sera affirmée par l’intransigeance dogmatique de Lionel Robbins. L’usage de l’utilité ordinale sera pourtant abandonné par Samuelson qui considère l’optimum social comme un choix normatif relevant de l’économie : fonction de bien être social par agrégation de fonction de préférence individuelle. Le théorème d’impossibilité de Arrow limite à nouveau le développement de l’utilitarisme. Mais la résurgence de la comparaison des utilités interpersonnelles sera proposée par Kaldor, Hicks et Scitovsky sur un critère « objectif » de compensation des perdants par les gagnants. Enfin critère de justice sociale de Rawls propose une maximisation de l’utilité de l’agent le plus mal loti.

publics propose de dépasser cette question, sans pour autant la résoudre, en rendant compte des choix collectifs. Cette école de pensée consiste à étendre la démarche de l’analyse économique, l’agent rationnel maximisateur d’utilité, à des décisions politiques a priori hors marché. Mueller (1976) résume cette idée « the application of economics science to political

science 75». Cette dernière école de pensée renouvelle profondément le paradigme de l’économie publique par rapport aux analyses précédentes de la nouvelle économie du bien être. « L’école des choix publics postule que ce n’est pas au nom des résultats recherchés que

l’on doit recommander ou non l’intervention publique mais au seul vu des procédés et chemins utilisés » (Greffe, 1994). On passe dès lors d’une démarche essentiellement

normative d’équilibre général, basée sur le critère de Pareto qui indique ce qui devrait être, à une démarche plus positive d’équilibre partiel qui explique ce qui est76. L’école des choix publics substitue à la recherche de l’équilibre socialement optimal l’explication de l’équilibre obtenu.

Appliqué au zonage, l’école des choix publics permet, en conservant une démarche d’individualisme méthodologique, de rendre compte des choix collectifs et d’attribuer des finalités au zonage. Dans cette optique, les économistes ont adopté des approches compréhensives des politiques de planification urbaine. Il s’agissait d’identifier les groupes d’intérêts mis en jeu par le zonage, de présenter les arbitrages réalisés par des autorités locales rationnelles et de révéler les incitations des collectivités à mettre en place des restrictions foncières. Davis (1963) semble être le premier, d’après Fischel (1989), à avoir considéré les municipalités comme des agents rationnels adoptant des restrictions sur le développement urbain. Pogodzinski (1992) rapporte comment Davis (1963) esquisse une théorie du zonage. Davis étudie dans quelle mesure une procédure de vote majoritaire peut conduire à une allocation efficiente pour trois types d’agents : les promoteurs immobiliers, les résidents propriétaires de leurs logements et les locataires. Davis conclut que le vote majoritaire ne conduit pas nécessairement à un équilibre Pareto efficient : « [majority zoning will] not

always impose those constraints which would result in the elimination of external diseconomies in the pricing system of urban property77 » Pogodzinski (1992). Selon Davis, les promoteurs immobiliers devraient être favorables à un zonage qui supprime les effets

75 L’application de l’analyse économique aux sciences politiques 76

Il existe néanmoins un autre programme normatif de recherche de l’école des choix publics qui consiste à recherche les procédures de décisions collectives optimales au regard de certains critères. Ce programme a conclu qu’il n’existait aucune procédure démocratique capable de mener à des choix stables, efficaces et cohérents, voir Mueller (1976).

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Le vote majoritaire ne conduira pas toujours à l’imposition des contraintes qui internaliseraient les effets externes par un système de tarification de la propriété foncière

externes négatifs (« proper zoning »). Cependant, ils n’ont pas d’incitations à promouvoir un zonage qui favorise les effets externes positifs, étant donné que les bénéfices se capitaliseront dans la rente foncière et que les promoteurs seront incapables d’en tirer profit. A l’inverse, les résidents propriétaires immobiliers devraient être favorables à un zonage rigoureux qui maximise les effets externes positifs (« overzoning »). Les locataires adopteraient une position semblable à celle des promoteurs attendu les locataires préfèrent des faibles loyers même si la qualité de l’environnement local ne s’améliore pas. Davis soutient qu’un électorat rationnel sera presque toujours en faveur de l’instauration d’un zonage puisque les résidents propriétaires de leur logement et les locataires sont favorables au zonage. Seuls les propriétaires de terrains non développés, qui se verraient pénaliser par les restrictions sur le développement urbain de leur terrain, devraient s’opposer au zonage.

La plupart des économistes qui ont travaillé sur les justifications du zonage ont emprunté chacune des deux perspectives de la nouvelle économie du bien être et de l’école des choix publics. En effet, ces deux approches sont complémentaires et l’école des choix publics s’appuie toujours sur l’une des deux justifications théoriques du zonage fiscal. Le glissement conceptuel vers l’école des choix publics a cependant conduit les économistes à porter un regard souvent sévère sur le zonage en abandonnant l’hypothèse de bienveillance des autorités locales (Mills, 1989 ; Brueckner, 1990).

b Les modèles de choix publics appliqués au zonage

En nous appuyant sur la synthèse de Fischel (2000) sur le zonage, la littérature de l’école des choix publics distingue quatre grands types de modèles de contrôle politique : l’électeur médian encore appelé l’élu partisan, l’élu Léviathan (Brennan et Buchanan, 1977), les groupes de pression et enfin la hiérarchie des pouvoirs publics.

En France, le législateur a délégué la compétence d’urbanisme aux communes depuis 1983, mais il n’existe pas de relation hiérarchique entre les différentes collectivités locales. Aussi, on peut considérer que le modèle hiérarchique n’est pas pertinent pour étudier le contrôle de la planification urbaine en France alors qu’il l’est dans de nombreux autres pays européens. Le modèle de groupes de pression se réfère aux associations de défense de l’environnement, pris comme un bien public, aux associations de défense des plus défavorisés, aux syndicats interprofessionnels… Ce modèle revêt, sans doute, une certaine pertinence pour décrire la complexité des choix publics dans les grandes villes ou rendre compte de l’activisme des associations de défense de l’environnement, spécialisées dans l’attaque des documents d’urbanisme.

Le modèle de l’élu (ou de l’administration) Léviathan, considère que les autorités locales cherchent à maximiser une fonction d’intérêt qui leur est propre. On suppose souvent qu’ils cherchent à maximiser les recettes fiscales sous contrainte de mobilité des bases. Cette hypothèse apparaît assez pertinente dans le cas des municipalités puisque le développement de leurs compétences (et donc leur pouvoir et leur influence) est directement en prise avec les ressources dont elles disposent. Une commune disposant d’une assiette fiscale réduite devra se limiter essentiellement à assurer ses compétences obligatoires (équipement école primaire, ramassage des ordures…) tandis qu’une commune plus riche n’aura pratiquement pas de limites à l’élargissement de ses domaines d’intervention (équipements de prestige, coopération internationale, services sociaux…)

Le modèle de l’électeur médian considère que si les choix collectifs relève d’un vote majoritaire et que les préférences collectives peuvent être ordonnées de telle manière qu’elles présentent un unique pic de préférence, alors les élus ont intérêt, pour remporter les élections, à proposer un programme qui corresponde aux préférences de l’électeur médian. Dans ce cas, le choix collectif de la commune peut être modélisé par la maximisation de l’utilité de l’électeur médian sous contrainte de son revenu individuel et des dépenses communales. En résumé, les économistes ont développé des modèles politiques dans lesquels les autorités en charge du zonage, agissent dans l’intérêt des électeurs locaux ou de groupes de pression. Trois hypothèses fondamentales sont communes à ces modèles selon Fischel (1990b) :

• discerner les anciens des nouveaux résidents

• concevoir le zonage comme le fruit d’une activité politique rationnelle

• supposer souvent implicitement que les bénéfices et les coûts du zonage se capitalisent dans les prix fonciers.