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2 Les fondements économiques de la décentralisation de la planification urbaine

Derycke et Gilbert (1988) expliquent que la théorie du fédéralisme financier est née du constat selon que « le gouvernement central ne peut disposer, sans coûts très élevés, de toute

l’information requise pour une action efficace. Par ailleurs, la diversité et la complexité des problèmes à résoudre nécessitent la spécialisation donc le découpage des administrations. »

Gilbert (1996) distingue une démarche normative d’une démarche plus positive du fédéralisme financier. La démarche normative prend comme point de départ l’existence une hiérarchie de collectivités publiques aux territoires emboîtés dont la géométrie d’ensemble peut varier. Il apparaît alors nécessaire d’optimiser ce découpage des territoires en rationalisant le découpage optimal des pouvoirs publics et de la distribution des compétences entre ces derniers. La version plus positive du fédéralisme financier suppose les limites des territoires fixées et les compétences réparties entre les échelons de pouvoirs publics. L’analyse positive se limitera à une analyse de l’efficience de la répartition effective d’une compétence entre différents échelons hiérarchique de pouvoirs publics.

a Une meilleure prise en compte des circonstances locales

La théorie du fédéralisme financier soutient que la subsidiarité facilite l’adéquation entre les réponses de l’intervention publique et la spécificité des circonstances locales. Bernard (2000) explique ainsi que « l’hypothèse de départ de celui-ci est que la diversité des régions, celles

des préférences de leurs populations et des coûts de production des services publics, rend variable les niveaux optimaux de production publique. La valeur sociale de la décentralisation est de permettre une telle différenciation de la production publique ».

Bernard illustre cette idée par le graphique suivant où qa et qb sont les niveaux optimaux de production publique de deux collectivités a et b. Si la production de ces biens publics est centralisée, un compromis qc sera choisi et provoquera une perte de bien-être équivalente à la surface hachurée sur le graphique.

Figure n°14 : Analyse des pertes de bien-être social d’une production centralisée

Source : Bernard (2000)

Ainsi, ce graphique illustre le théorème de la décentralisation de Oates (1972) qui énonce selon Gilbert, (1996) que: « concernant un bien public pur dont la consommation est définie

sur un sous-ensemble limité de la population totale et pour lequel les coûts de fourniture sont identiques, que l’offre émane du gouvernement central ou de collectivités locales, il est plus efficace (en tous cas au moins aussi efficace) de les faire fournir par des entités locales en quantités paréto-optimales collectivité par collectivité, que de les offrir par le gouvernement central en quantité unique, quelle que soit la collectivité d’appartenance ».

Inman et Rubenfield (2000) soulignent, de plus, que les systèmes décentralisés réduisent l’hétérogénéité des préférences au sein de chaque juridiction et de ce fait accroissent la probabilité que la réglementation soit mieux adaptée aux pratiques et aux préférences locales. Derycke et Gilbert (1988) résument que « l’offre décentralisée d’un service public local

particulier est plus efficace, à coûts d’information donnés, qu’une offre centralisée car elle permet la prise en compte des disparités locales de préférences concernant les SPL ». Cet

avantage est d’autant plus important que les préférences en matière de biens collectifs sont hétérogènes entre les localités et que ces demandes sont inélastiques au prix.

La concurrence intercommunale conduit, selon le modèle de Tiebout (1956), à une différenciation des communes. Les préférences des agents en matière de consommation

Cm, Prix Cm/tête Da Db quantité qc qb qa

collective sont liées à l’âge, au revenu, à leur catégorie socioprofessionnelle. Comme la structure démographique est variable selon les communes, il est peu probable que les communes aient les mêmes préférences en matière d’aménagement de leur territoire. Telle municipalité privilégiera une croissance démographique pour pouvoir attirer ensuite un supermarché tandis que telle autre pourra privilégier, à un certain moment, une croissance de l’urbanisation plus mesurée pour préserver un certain cadre de vie naturel ou retrouver une meilleure santé financière avant d’engager de nouveaux investissements. Dans cette perspective, les demandes en services publics locaux sont variables selon les communes, tout comme les niveaux d’urbanisation, les problématiques budgétaires et les effets externes de l’urbanisation. C’est pourquoi, les restrictions du zonage doivent nécessairement différer d’une commune à l’autre pour répondre efficacement aux enjeux spécifiques posés par le développement urbain de chaque commune. Au regard de ce critère, la décentralisation de la compétence d’urbanisme facilite l’adaptation des POS aux circonstances locales et répond à une logique de minimisation des pertes de bien-être engendrées par une réglementation uniforme.

Par ailleurs, Derycke et Gilbert (1988) précisent que « l’avantage collectif tiré de la

décentralisation de décisions relatives aux biens collectifs est d’autant plus élevé que les fonctions de demande sont différentes de collectivité à collectivité et que ces demandes sont peu sensibles par rapport au prix ». Or, la demande résidentielle est fortement inélastique au

prix immobilier selon Malpezzi et Mayo (1997). Par contre, la demande foncière de terrains à bâtir est plus élastique au prix (-0,5 à -0,7) selon Cavailhès et Goffette-Nagot (2002). Les ménages dont la demande foncière se verra contrainte par les restrictions d’un POS, se reporteront d’autant plus facilement sur une autre commune que leur demande foncière est élastique. De ce fait, la décentralisation de la compétence d’urbanisme est susceptible d’accroître d’autant plus l’efficacité de la planification urbaine si celle-ci régule le logement que si celle-ci régule les terrains affectés à l’urbanisation. On pourrait s’attendre à ce que la planification urbaine ait d’autant plus d’effet sur les prix immobiliers que sur les prix fonciers.

b Réduction de l’asymétrie informationnelle

Derycke et Gilbert (1988) expliquent qu’« Une offre décentralisée de service collectif local

pur est en général moins coûteuse en information qu’une offre centralisée ». Ainsi, la

décentralisation de la planification urbaine pourrait permettre d’obtenir l’information nécessaire à son élaboration à moindre coût. A ce titre, les méthodes et les guides opérationnels de planification urbaine (Chevalier, 1999) insistent sur l’évaluation des bénéfices et des coûts de l’urbanisation et pour cela sur la connaissance de l’état des finances

publiques communales et des prévisions des évolutions démographiques de la commune. L’état des finances publiques communales est très probablement mieux connu des municipalités qui votent et gèrent leur budget que des services de l’Etat. De plus, les anticipations sur le marché foncier ou sur les évolutions démographiques ne sont pas des informations facilement transmissibles. En outre, les municipalités ont plus intérêt que les services de l’Etat à anticiper les évolutions démographiques car elles supporteront directement les conséquences de leurs choix de planification urbaine. Ruegg (2000) explique aussi que « le rôle de l’échelle locale mérite d’être pleinement évalué. Sa présence n’est pas due au

hasard. […] Sur un plan technique, le choix de l’échelle locale répond à une certaine logique. Le zonage revient à attribuer au sol des valeurs marchandes différentes selon les usages prescrits. Pour être menée correctement, la délimitation des zones devrait donc au moins tenir compte de l’histoire, du parcellaire, de la topographie, de l’utilisation du sol, du paysage, de l’accessibilité, des conditions micro climatiques, voire des réseaux d’énergie. Mais l’acquisition de ces informations exige une connaissance du terrain seulement accessible par des investigations menées à l’échelle locale ».

c Un renforcement de la concurrence intercommunale

Derycke et Gilbert (1988) soutiennent que selon le fédéralisme financier « l’incitation à gérer

efficacement une collectivité publique croît avec le nombre de collectivités rivales et avec le champ de leurs compétences ». La décentralisation de la compétence d’urbanisme

(planification) peut s’interpréter, dans cette perspective, comme un moyen de renforcer la concurrence intercommunale (et les bienfaits attendus de celle-ci sur le bien-être collectif) en mettant à la disposition des communes de nouvelles marges de manœuvre pour optimiser leur développement urbain. Au lieu de se limiter à la production de bien publics locaux et de la fiscalité locale pour jouer sur son attractivité, une municipalité peut élargir ses moyens d’action en régulant le développement urbain. L’insertion de l’urbanisme dans le champ de la concurrence intercommunale et l’élargissement des compétences des municipalités sont de nature à accroître l’efficacité de la planification urbaine. L’adoption d’un plan d’urbanisme correspond dans la pratique à un accroissement considérable du champ effectif de compétences des municipalités. Les communes qui adoptent un POS sont mieux à même de maîtriser la cohérence de leurs politiques locales. Les municipalités peuvent, grâce au POS, réduire la croissance de la demande de services publics en régulant la croissance démographique et par ce biais mieux maîtriser le niveau et la nature des dépenses publiques. En outre, le zonage permet également de jouer sur les bases fiscales par les TML et donc sur les recettes budgétaires.

Selon cette proposition, plus vive sera cette concurrence, plus les communes seront incitées à accroître l’efficacité de leur fiscalité locale et de la production de biens publics. On constate que toutes choses égales par ailleurs, ce sont préférentiellement les communes périurbaines (par rapport aux communes rurales de l’EDR) qui sont aussi les plus sujettes à la mobilité des ménages, qui adoptent préférentiellement des POS ou des PLU.

Derycke et Gilbert (1988) rapportent que « la multiplication de collectivités territoriales aux

compétences étendues élargit le domaine et facilite la transparence des choix de localisation des agents. Ceux-ci expriment mieux que dans un contexte centralisé leurs préférences en matière de services collectifs locaux ». L’élargissement des compétences d’une commune qui

résultent de l’adoption d’un POS prolonge le processus de différenciation intercommunale engagée par les migrations résidentielles. Les résidents-électeurs-contribuables savent que l’existence d’un POS donne à la municipalité le pouvoir de maîtriser la croissance urbaine et en retour de mieux maîtriser la croissance des dépenses budgétaires et la pression fiscale. La plus grande responsabilité et la plus grande proximité des électeurs de leurs élus sont de nature à renforcer l’efficacité du contrôle des pouvoirs publics par les citoyens.

d Un renforcement de l’innovation institutionnelle

Derycke et Gilbert (1988) expliquent que «la décentralisation favorise l’expérimentation et

l’innovation en matière de services collectifs locaux ». Le renforcement de la concurrence

entre communes par la décentralisation, est supposé à ce titre, inciter les communes à innover dans les modalités de mise en œuvre des POS (PLU) pour trouver les formes de planification urbaine les plus efficaces. La décentralisation de la compétence d’urbanisme rend chaque conseil municipal responsable de l’élaboration du POS (PLU). A ce titre, Kaplow (2000) rapporte que le dispositif législatif encadre avec un degré de précision et un niveau de détail variables l’élaboration des règles locales. La réforme de la loi d’orientation foncière (LOF) de 1983 et la loi SRU de 1999 accordent en pratique une certaine liberté aux communes pour élaborer leur POS (PLU). La structure du document d’urbanisme est certes encadrée par la loi mais le soin avec lequel les autorités locales rédigent les différents documents du plan ou les modalités de la procédure de concertation avec la population confèrent des marges de manœuvre non négligeable à la municipalité. On peut supposer dans cette perspective que la décentralisation des POS ait multiplié les innovations. En pratique, les municipalités sont incitées à réussir au mieux les procédures d’élaboration pour minimiser les coûts d’application de leur plan (recours au tribunal administratif, annulation de POS). Elles cherchent également à optimiser le rythme de révision pour minimiser les coûts associés aux rigidités réglementaires. Enfin, les communes devraient chercher à optimiser le zonage pour

maximiser l’accueil de bases taxables. La concurrence intercommunale est une puissante incitation à trouver des formes de planification plus efficaces. Lorsque celles-ci sont identifiées, elles sont susceptibles d’être imitées et de se diffuser. Toujours est-il que la concurrence entre les communes dans un système décentralisé ne permet l’innovation que lorsque les ressources techniques et financières dont disposent les communes sont suffisantes. En pratique, ce sont souvent encore les directions départementales de l’équipement (DDE), en tant que service public d’appui, qui élaborent les POS des petites communes même après 1983. Demouveaux (1999) estime que les DDE ont élaboré des POS en série dans les années 1980 avec un manque singulier d’imagination.