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3 L’intégration d’un ‘pseudo’ marché de droits de développement

La planification urbaine intégrait jusqu’à la loi SRU des dispositifs qui s’apparentaient à un marché de droits de développement. Nous justifions dans un premier temps par une analyse coasienne du zonage l’absence de marché de droits au sein du zonage. Nous montrons comment en pratique la législation française a levé partiellement les obstacles théoriques à l’instauration d’un marché de droit.

a L’analyse coasienne du zonage

Fischel (1978) propose, en partant d’une démarche compréhensive, d’analyser le fonctionnement du zonage en « termes coasiens ». Coase (1960) s’est illustré en montrant qu’une complète définition des droits de propriété (sans incertitude) permettait, en l’absence de coûts de transaction, d’instaurer un quasi-marché et de régler le problème du coût social par des solutions privées. Coase a mis également en lumière l’indifférence de l’équilibre à l’allocation initiale des droits. Dans cette perspective théorique, Fischel (1978) propose une analyse originale du zonage (et l’ensemble des restrictions foncières) en considérant ce

dernier comme la dissociation des droits à bâtir du droit de propriété foncière. L’instauration d’un zonage transfère les droits à bâtir des propriétaires individuels vers une autorité locale sous la forme d’un droit de développement collectif. Les propriétaires fonciers conservent le droit de vendre (abusus) et d’exploiter leurs terrains au minimum dans son usage initial (usus) mais ils perdent le droit de changer son usage (fructus).

Le droit de développement collectif constitué par le zonage est géré par la municipalité en fonction des préférences de l’électeur médian. Le transfert des droits de propriété reste souvent incomplet puisque la municipalité ne contrôle que l’affectation du sol et l’intensité de son usage (fructus) tandis que le propriétaire foncier conserve le droit de vendre (abusus) ou de louer son terrain librement (usus). Mais surtout les autorités locales ne peuvent céder ou vendre les droits de développement dont elles ont la charge à cause d’interdictions légales. En effet, le pouvoir de police détenu par les pouvoirs publics n’est en principe pas « marchandable ». Fischel défend l’idée que c’est cette incomplétude de la définition des droits de propriété du zonage qui est à l’origine de la sous-optimalité de la pratique du zonage du point de vue de l’ensemble de l’économie. Fischel soutient que la gestion du zonage par les juridictions décentralisées conduit à un équilibre encore plus inefficace que celui d’un monopoleur privé en termes de bien-être collectif. Une définition plus complète des droits de propriété sur le développement urbain institués par le zonage permettrait de retrouver une plus grande efficience du marché.

b Des marchés de droits de développement en pratique ?

Les droits de développements transférables (‘transferable development right’ TDR) distinguent le droit de développement des autres droits attachés à la propriété foncière. Il est possible de les échanger sur un marché de droits de développement. Carpenter et Heffley (1982) ont proposé une analyse économique de cet outil. Selon ces derniers, les politiques qui mettent en place des TDR peuvent varier selon que la participation est volontaire ou obligatoire, que le droit de développement concerne la taille du lot, la surface constructible ou la hauteur… et du niveau d’intervention des pouvoirs publics dans le marché. L’instauration d’un marché de droits de développement correspond à l’instauration d’un système d’incitation sur le comportement microéconomique des agents. Mais Carpenter et Heffley soulignent, qu’à la différence du zonage qui impose une contrainte rigide sur les facteurs de production du logement, les TDR laissent le soin au marché de déterminer, dans un cadre défini par les autorités locales, la combinaison la plus efficace des facteurs de production et la localisation optimale des développements urbains. A la différence d’une taxe pigouvienne qui requiert une

importante quantité d’information, les autorités locales peuvent déterminer un seuil de développement urbain qu’elles jugent souhaitable et le réviser par la suite.

L’intérêt des TDR est renforcé lorsque la croissance de l’urbanisation est soutenue puisqu’ils permettent de mieux répondre à la demande du marché urbain tout en poursuivant des objectifs d’internalisation de coûts sociaux urbains. Réciproquement, Carpenter et Heffley constatent que c’est là où le développement urbain est le plus pressant que les politiques cherchent à préserver les espaces ouverts de l’urbanisation et c’est là que les TDR sont susceptibles d’être mis en œuvre et donc de faciliter l’urbanisation. Carpenter et Heffley concluent que les TDR ne sont pas des instruments substituables au zonage puisqu’ils requièrent un cadre institutionnel spatialisé dans lequel les transactions peuvent avoir lieu. Ils servent plus d’instrument d’affinage (‘fine tune’) du zonage.

En France, de sérieuses contraintes juridiques limitent la mise en place d’un marché des droits de développement urbain. Jacquot (1997b) rappelle que « la jurisprudence repose sur l’idée

que l’aménagement de l’espace, et en particulier la définition de l’usage qui peut en être fait, constitue une prérogative de puissance publique qui ne peut être partagée avec des représentants d’intérêts privés ». Malgré ces restrictions, la création des transferts de

coefficient d’occupation du sol (COS) en 1975, supprimés en 2001, s’apparente assez nettement aux TDR. Jacquot (1997a) explique que « Le transfert de COS est l’opération par

laquelle un propriétaire cède à un autre propriétaire des droits de construire conférés à son terrain. Initialement prévu par la loi foncière de 1967 pour les seules zones urbaines, ce mécanisme a été étendu à certaines zones naturelles en 197657». L’opération de transfert de COS commence par un accord, conclu entre les propriétaires des terrains concernés, « suspensive à l’obtention permis de construire ». L’accord est rédigé par écrit puis une demande en mairie doit être établie par le terrain qui reçoit les possibilités supplémentaires de construction. Enfin, le conseil municipal doit fournir son autorisation pour procéder au transfert de COS. Ce dernier point constitue une barrière sérieuse à l’exercice d’un véritable marché des droits de développement. Il empêche la généralisation du procédé. « Le

dépassement du COS sur la parcelle qui reçoit les droits de construire, a pour contrepartie l’institution d’une servitude « qui réduit les possibilités de construire d’une quantité équivalente au dépassement en cause58 » » (Jacquot, 1997a). L’intérêt du transfert de COS est

de mieux répartir les coûts d’opportunité entre les propriétaires. Les instruments économiques comme les transferts de COS permettent aux autorités en charge de la planification urbaine d’économiser sur les coûts d’information associés à la connaissance des besoins du marché et

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(C. urb Art L. 123-2)

de la valeur des ressources foncière. Le transfert de COS permet de profiter des différentiels de coûts du développement urbain selon les lieux. Le contrôle par la commune assure que le voisinage du terrain souhaitant acquérir des droits ne sera pas lésé, selon l’appréciation de la municipalité, par le développement urbain. Les autorités municipales gardent la possibilité de refuser l’opération et par ce bais conservent le contrôle direct du niveau de développement urbain. Les transferts de COS conduisent à un développement urbain souvent plus dense puisqu’ils épuisent plus les possibilités de développement. Le transfert de COS a été décrié59 pour ses effets sur l’accroissement du développement urbain par certains juristes tels que Le Cornec (1997) ou dans sa version américaine par certains économistes comme Levinson (1997).

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Supprimé lors de la loi SRU en 2001 à l’instar des PLD, il semble avoir déjà été réinstitué depuis. Réponse à la question écrite de Jacques le Guen, JO de l’Assemblée nationale du 20 septembre 2005, P8816, n°64912

Conclusions

L’analyse économique des modes de régulation des effets externes oppose traditionnellement les instruments économiques et les solutions réglementaires. Si les analyses théoriques mettent en évidence la plus grande efficacité des instruments économiques, leur transposition dans le monde réel est souvent délicate. La planification urbaine s’avère être en pratique une solution réglementaire relativement simple dans son principe d’action. L’intérêt du zonage est de pouvoir différencier à moindre coût les régulations dans l’espace pour s’adapter aux circonstances locales. Le zonage peut être un instrument de politique publique plus efficace que les taxes lorsque :

• L’efficacité des taxes incitatives dépend de l’élasticité-prix du bien.

• La fonction d’acceptation sociale des nuisances présente des discontinuités60. • Les quantités sont plus faciles à observer que les prix.

• L’évaluation de l’impact marginal des agents sur le coût social est difficile.

Il ressort de notre analyse que la planification urbaine et le zonage apparaissent comme une solution moins coûteuse qu’un système de taxes pigouviennes et plus efficace que la mise en œuvre d’une taxe pigouvienne uniforme. Cependant le zonage présente les inefficacités de la réglementation. Certaines caractéristiques des POS permettent de limiter celles-ci. La concurrence intercommunale apparaît comme un moyen de réduire les affectations foncières inefficaces du zonage. L’efficacité des POS à répondre aux besoins des différents usages fonciers suppose une certaine flexibilité du zonage. Les procédures de révisions et de modification permettent de prendre en compte les évolutions des circonstances locales et d’accroître l’efficacité des POS. L’efficacité du POS est aussi renforcée par les dispositifs financiers tels que la fiscalité de l’urbanisme ou le régime des participations qui permettent de mieux financer les coûts collectifs du développement urbain. En outre, l’aménagement urbain par les ZAC offre un cadre qui permet de planifier le financement des coûts collectifs. Enfin, les transferts de COS et les participations pour dépassement des PLD sont des instruments internes au POS qui permettent d’accroître l’efficience du zonage en épuisant des possibilités de transactions. La partie suivante propose une analyse plus poussée sur l’intérêt de la décentralisation de la compétence d’urbanisme sur l’efficacité des POS.

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Les gens supportent une pollution ou une nuisance jusqu’à un certain seuil (celui de leur perception par exemple) puis le coût social de cette pollution croît de manière exponentielle.

III Les fondements économiques de la décentralisation